Le pape bute sur la résistance des évêques.

15040508_8PAPE+X1P1_ori.jpg.567

A six mois du second synode des évêques, qui aura lieu en octobre, les déclarations du pape François sur la famille accroissent l’incertitude sur l’issue du débat ouvert en  2014 au sujet de la place des familles ” irrégulières ” dans l’Eglise catholique.

Ces derniers temps, le pape brouille les pistes. Dans un entretien à la télévision mexicaine Televisa, le 13  mars, jour anniversaire de son élection, deux ans plus tôt, François a estimé ” qu’il y a des attentes démesurées “ sur une plus grande ouverture aux divorcés remariés ou aux homosexuels. Il affirmait notamment qu’on ne ” résout rien “ en se contentant d’envisager d’accorder la communion aux divorcés remariés comme une simple ” cocarde, un titre honorifique “. Aujourd’hui, elle leur est refusée.

Cette déclaration a pu surprendre, tant, depuis un an, il a lui-même semblé encourager ces attentes. Depuis janvier, les catholiques du monde entier ont à nouveau débattu de la famille dans leurs diocèses. Le Vatican avait diffusé auprès d’eux un nouveau questionnaire qui reprenait les conclusions du premier synode d’octobre  2014. Les conférences épiscopales doivent envoyer à Rome la synthèse de ces réflexions d’ici la mi-avril. A la demande du Vatican, elles ne seront pas rendues publiques.

” L’Eglise d’Afrique s’opposera “Le pape avait misé sur la longueur du processus enclenché il y a un an pour surmonter les désaccords manifestes sur ces sujets au sein de la hiérarchie catholique et donner à une voie médiane le temps de se dessiner. Mais les dernières semaines semblent indiquer que les termes du débat n’ont guère progressé et que les clivages demeurent vifs.

Les opposants à un assouplissement de la discipline de l’Eglise face aux familles irrégulières n’hésitent pas à se manifester. Le cardinal guinéen Robert Sarah l’a fait dans un livre. Dans Dieu ou rien (avec Nicolas Diat, Fayard, 424 pages, 21,90  euros), le préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements – l’un des plus hauts responsables de la curie romaine – dit tout le mal que pensent la plupart des prélats africains d’un éventuel affaiblissement du magistère : le sacrement du mariage, c’est un homme et une femme unis pour la vie et ouverts à la procréation. L’affaiblir en permettant des accommodements, c’est, selon lui, ” une rébellion contre Dieu, une bataille organisée contre le Christ et son Eglise “. ” L’Eglise d’Afrique, prévient le cardinal, s’opposera fermement à toute rébellion contre l’enseignement de Jésus et du magistère. “

Elle ne sera pas seule au sein du prochain synode : dans un certain nombre de pays, les élections des délégués des conférences épiscopales semblent faire la part belle aux opposants au changement. C’est ainsi le cas aux Etats-Unis.

” Une bataille est en cours “, a commenté, selon le site de l’hebdomadaire britannique Catholic Herald, le cardinal allemand Walter Kasper, le théologien que le pape avait choisi, il y a un an, pour ouvrir le débat sur la place des divorcés remariés et plaider en faveur d’un chemin de réintégration qui permettrait à certains d’entre eux de pouvoir à nouveau communier. Au Royaume-Uni, près de 500  prêtres ont signé un appel public au maintien de la doctrine traditionnelle de l’Eglise sur la famille, s’attirant une réprimande de la part du cardinal Vincent Nichols, archevêque de Westminster.

Sans doute sensible à l’expression de ces inquiétudes, le pape a lui-même insisté, ces trois derniers mois, sur la défense de la conception chrétienne de la famille, qu’il juge ” attaquée de tous côtés “ dans le monde actuel, par ” la mentalité nuisible du provisoire “, ” une culture individualiste et égoïste “ qui ” n’aime pas la vie “, le ” relativisme “, les ” colonisations idéologiques “, les politiques économiques, etc.

Le débat sur la ” politique ” familiale de l’Eglise a ouvert une autre controverse, non moins vive dans la mesure où elle touche, elle aussi, le cœur de l’Eglise. Il ne s’agit plus cette fois de sa doctrine, mais de sa structure. En février, le cardinal Reinhard Marx, archevêque de Munich et président de la Conférence des évêques d’Allemagne, avait laissé entendre que l’Eglise allemande pourrait bien adapter sa pratique sur la famille indépendamment des conclusions du synode. ” Nous ne sommes pas une simple filiale de Rome. Chaque conférence des évêques est responsable de sa pratique pastorale dans son contexte culturel “, avait affirmé ce proche du pape, partisan d’un assouplissement. Le cardinal Gerhard Müller, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi au sein de la curie romaine, a réagi sans ménagement. ” L’idée d’une Eglise nationale serait totalement hérétique “, a-t-il déclaré, le 30  mars, dans un entretien à La Croix.

Lors de son déplacement à Palerme, le 21  mars, François a dit qu’il ” n’avait pas de recette “ pour le prochain synode. C’est sans doute aussi à cette aune qu’il faut comprendre l’annonce, le 13  mars, d’une ” année sainte “, du 8  décembre  2015 au 20  novembre  2016. Son thème : la miséricorde, celle qui ” va au-delà de la justice “, a dit le pape dans son homélie. ” Personne ne peut être exclu de la miséricorde de Dieu. (…) L’Eglise est la maison qui accueille tout le monde et ne refuse personne. Dieu pardonne tout, Dieu pardonne toujours. “ Après le synode d’octobre, qui de toute façon n’a pas de pouvoir normatif, ce jubilé pourrait donner un peu de souplesse à François. Devant les résistances, la réflexion pourrait donc se prolonger dans l’Eglise catholique.

Cécile Chambraud