Rome « capitale de la pauvreté ».

 

La crise économique a accru les inégalités et la précarité en Italie. Le nombre d’indigents a doublé en quatre ans selon Caritas.
REPORTAGEITALIE « Rome capitale de la pauvreté » : ce titre choc ouvre le rapport de l’association Caritas, publié à l’occasion de la Journée mondiale des pauvres que l’Église catholique a célébrée le week-end dernier pour conclure le Jubilé de la Miséricorde. La Ville éternelle compte 16 000 personnes vivant dans un dénuement absolu.Certaines ont encore un logement mais plus aucune ressource financière. La plupart sont des sans-abri. Au soir venu, on les trouve aux abords des gares, sous les arcades de la grande poste d’Ostiense, dans les tunnels routiers ou encore à Saint-Pierre, sous les colonnades du Bernin, emmitouflés du mieux qu’ils peuvent dans des cartons, des couvertures et des sacs de couchage.Agostino Ferracci s’estime heureux d’en être sorti. À partir de 54 ans, cet auxiliaire de santé a vécu pendant cinq ans dans la rue à la suite d’un revers de fortune, « une vie infernale », dit-il. Du jour au lendemain, il s’est trouvé dépouillé de tout et sans ressource: «Au début, des amis m’ont hébergé, mais bien vite, j’ai dû m’arranger tout seul avec le peu que j’avais, en proie à un désespoir continu.» Auprès de la communauté catholique Sant’Egidio, il a trouvé « soupe populaire, chaleur humaine et la force de continuer à vivre». Finalement, une famille l’a chargé de s’occuper d’un parent aveugle. «J’ai retrouvé ma dignité», dit-il. Mais Agostino en veut aux services sociaux, qui, assure-t-il, n’ont rien fait pour l’écouter ni lui venir en aide : « L’État nous a tous abandonnés. »Inégalités recordsLa crise économique a fait des ravages parmi les couches les plus pauvres de la population. L’Italie compte, selon Caritas, 4,7 millions d’indigents : «C’est un chiffre relativement stable depuis 2016, mais qui a doublé au cours des quatre années précédentes, entre 2012 et 2015. » La pauvreté a changé de visage. Alors qu’elle touchait autrefois surtout les personnes âgées, la crise a fait apparaître une forte proportion de pauvres en âge de travailler. Sur ces 4,7 millions de pauvres, «600000 à 700000 ont plus de 65 ans, tandis que 1,1 million sont de jeunes adultes et 3 millions des actifs ayant perdu leur emploi », explique Enrico Giovannini, l’ancien ministre du Travail et du Bien-être social dans le gouvernement Letta (2013-2014). L’Istat (l’Insee italien), que le professeur Giovannini a présidé de 2009 à 2013, relève que 7,6% des Italiens sont dans un état de pauvreté absolue et que 28,7se trouvent « à risque de pauvreté et d’exclusion sociale». «L’Italie est le pays d’Europe aux inégalités de revenus les plus élevées », souligne l’Institut.À Rome, 45% des 16000 indigents sont italiens. Un tiers détient même un diplôme de l’enseignement supérieur. «Jusqu’à récemment, ils étaient en mesure de mener une existence économiquement digne. Ils ont été jetés à la rue après un licenciement, une maladie grave, une séparation », note Caritas.«Le vrai drame, c’est quand on perd sa famille », relève Guglielmo Tuccimei. Séparation, décès, éloignement forcé: ce volontaire de Sant’Egidio connaît bien tous les degrés de la déchéance. Depuis plus de vingt ans, il s’occupe des sans-abri qui viennent à la communauté et coordonne les distributions de vivres. Comme ce jour d’automne, par un crachin glacial, sur l’esplanade de la station ferroviaire Tiburtina de Rome. Dans l’attroupement, les migrants sont les plus nombreux : Gambiens, Nigérians, Somaliens ou Roumains, ils attendent avec stoïcisme. Une distribution séparée de sandwichs sans viande de porc est prévue pour les musulmans.À côté, les Italiens se pressent autour des volontaires. Surtout des femmes âgées, cabas au bras, et des hommes au visage fermé : « le désespoir de ces gens crève le coeur », dit Guglielmo. Au centre Sant’Egidio, dans le quartier de Trastevere, qui sert 600 à 800 repas par soir, les jeunes gens et les familles avec enfants sont en majorité.« Pour résorber cette masse énorme de pauvres, il faudrait une croissance de 3 à 4% par an pendant plusieurs années. On en est loin », relève Enrico Giovannini, aujourd’hui professeur d’économie à l’université Luiss. Les derniers chiffres, pourtant encourageants, font état d’une augmentation du PIB de 1,5% seulement cette année. En 2015, quand il était ministre, il avait institué un « soutien pour l’insertion active », devenu depuis « revenu d’insertion» et doté cette année d’un milliard d’euros. Il s’agit d’un premier pas vers la création d’un authentique revenu minimum, qui a toujours fait défaut en Italie.
Le Figaro.
www.lefigaro.fr/