Podemos fait des petits.

Le lieu est presque tenu secret. Dans une artère du 20e arrondissement de Paris, à la limite du périphérique, les portails électriques se ressemblent tous. Seul un discret papier griffonné au stylo et scotché au-dessus de la sonnette d’un petit hôtel sert de message de bienvenue : ” Podemos, Lola Sánchez “. L’événement n’a pourtant rien de confidentiel : chez Podemos Paris, il n’y a ni carte de membre, ni inscription, ni invités. Que des sympathisants. Mais faute de local pour héberger leurs débats et leurs assemblées quasi hebdomadaires, les militants du cercle font avec les moyens du bord. Dans la salle de réception de l’hôtel transformée en auditorium, le cercle parisien a choisi d’accueillir, pour la Journée internationale des droits des femmes, une des figures les plus influentes de Podemos, l’une des cinq députés qui représentent le parti de gauche radicale espagnol au Parlement européen aux côtés de son leader, Pablo Iglesias. Les cheveux noirs de jais, coupés court, Lola Sánchez s’installe derrière un grand drapeau violet, la couleur du parti. Aujourd’hui, on vient débattre du Tafta (Trans-Atlantic Free Trade Agreement) – ce projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis -, du rôle des femmes en politique… Et, bien sûr, de Podemos.

Face à l’eurodéputée, une cinquantaine de sympathisants chuchotent dans plusieurs langues. On ne sait plus très bien qui est espagnol, qui est français, qui est Podemos et qui est venu un peu par hasard. Ils sont pourtant là : Irma, Alberto ou encore Alfonso… Le noyau dur du cercle parisien, pour la plupart des ” exilés forcés “ qui ont quitté l’Espagne et ses salaires à 1 000 euros pour tenter leur chance en France.

Né il y a presque un an, Podemos Paris n’est ni une association ni une antenne officielle du parti. Simplement un rendez-vous de sympathisants, entre 200 et 300 au total, du tout jeune parti anti-austérité : quelques professeurs de fac de tradition marxiste, beaucoup de jeunes travailleurs précaires, certains retraités à la maigre pension. Tous déçus de la politique des partis socialiste et communiste espagnols. Alfonso a milité à gauche toute sa vie avant de voir ses espoirs s’effondrer avec le PSOE (Parti socialiste). D’autres, comme Eva, se sont découvert une conscience politique en refusant un système où ils doivent cumuler deux boulots pour payer leur loyer. Elle votera pour la première fois de sa vie lors des législatives espagnoles à la fin de l’année. Après avoir fui la crise il y a quelques années, ils ont découvert Podemos à travers le 15-M, le mouvement des ” indignés “, qui a rassemblé des centaines de milliers de manifestants partout dans le monde. Frustrés d’observer de loin leur pays qui bascule, ces Espagnols de France ont décidé de rejoindre la vague de contestation depuis Paris, en créant leur propre groupe.Pour Podemos, un ” cercle ” est une sorte d’agora moderne, hébergée un soir dans un bar, l’autre dans une cave, où chacun peut faire entendre sa voix selon le principe de décision horizontale du parti. Un excès de démocratie qui oblige à consulter tout le monde pour la moindre décision. ” Au cercle, nous n’avons pas de porte-parole “, explique Irma, une Franco-Espagnole arrivée à Paris il y a sept ans. Pas de chef, pas de leader, pas même une allégeance à Pablo Iglesias, qui ne donne – pour l’instant – aucune règle de conduite au cercle parisien.Alors, à quoi ça sert ? Leur mission tient en un mot : ” podemizar “. En clair, rendre le pouvoir aux citoyens, et expliquer ce qu’est Podemos. Une tâche loin d’être évidente, quand le programme n’est toujours pas établi et que même le coeur du parti en Espagne ne sait pas exactement où il va. Le cercle a beau buter sur des questions comme l’immigration, la création d’une banque citoyenne nationale ou la distance à prendre avec Bruxelles, ça ne l’empêche pas de faire parler de lui en France. ” On est sollicités de partout “, explique Alfonso, faisant allusion au Front de gauche qui fait régulièrement du pied au parti d’Iglesias.De l’autre côté des Pyrénées, le petit cercle parisien est loin d’être pris à la légère. Comme Lola Sánchez, des élus du parti viennent régulièrement lui donner du crédit et le politiser. ” Ils sont le ciment de Podemos “, soutient la jeune eurodéputée, qui s’apprête à poursuivre son tour d’Europe des cercles à La Haye et en Pologne. Et si Podemos gagne ? ” On rentre en Espagne ! “, laisse échapper l’une des militantes, plaisantant à moitié. Lola Sánchez, elle, ne plaisante pas : ” Nous nous sommes engagés à les faire revenir. “

Amandine Sanial