Migrants : des moyens, mais pas de stratégie pour l’UE.

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Al’issue du sommet extraordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne (UE), organisé à Bruxelles, jeudi 23  avril, pour élaborer une réponse aux drames survenus récemment en Méditerranée, le président du Conseil européen, Donald Tusk, a pointé ce qui était, à son sens, le principal résultat de cette réunion : le projet d’aller détruire les embarcations des passeurs en Libye. En revanche, son homologue de la Commission, Jean-Claude Juncker, a manifesté un certain dépit. ” J’aurais voulu que nous soyons déjà plus ambitieux “, a déclaré le Luxembourgeois, dans une allusion au manque de solidarité entre Européens.

La réunion n’aura pas permis de dégager des solutions sur le long terme pour la question migratoire, mais elle a au moins engrangé un résultat concret. L’opération de surveillance ” Triton “, menée par l’agence Frontex, sera renforcée. Plusieurs pays (la France, l’Allemagne, la Belgique, la Lettonie…) ont déjà décidé de lui fournir de nouveaux moyens matériels. Paris enverra un navire patrouilleur, un remorqueur en haute mer, des avions de surveillance et doublera le nombre de ses experts engagés, a indiqué le président François Hollande. Jusqu’ici, la France avait mobilisé deux bateaux et un avion.

Le Royaume-Uni, qui ne participe pas à ” Triton ” – opération menée sous bannière européenne –, a promis deux patrouilleurs et trois hélicoptères équipés de radars de détection. Il enverra aussi dans la zone l’un des principaux bâtiments de la Royal Navy, le HMS-Bulwark. Le premier ministre, David Cameron, a toutefois prévenu : si un de ces navires récupère des migrants, il les déposera dans le pays le plus proche, à savoir, sans doute, l’Italie. Pas question, en pleine campagne électorale, d’ouvrir la porte à des immigrés, a indiqué le Britannique à ses homologues. Le chef du gouvernement italien, Matteo Renzi, a apparemment admis cette option qui, à elle seule, résume la tonalité de la rencontre : il fallait, à la suite de l’émotion suscitée par le naufrage d’un chalutier et la mort de quelque 850  personnes, évoquer les aspects humanitaires, sans négliger la question sécuritaire.

RéticencesC’est une logique identique qui a prévalu pour l’avenir de la mission ” Triton “, dont le budget passera de 2,9 à 9  millions d’euros mensuels. Soit, il faut le relever, un retour aux moyens consacrés antérieurement – par la seule Italie – à ” Mare Nostrum “, l’opération de sauvetage arrêtée en octobre  2014 parce qu’elle aurait facilité la tâche des passeurs en recueillant des milliers de personnes.

Une position difficilement défendable au plan moral, mais contredite, en outre, par les faits : quand ” Triton ” a remplacé ” Mare Nostrum “, on a enregistré une hausse de 160  % des tentatives de traversée.

A la suite des réticences exprimées, jeudi, par de nombreuses capitales, le mandat de ” Triton ” ne sera, en tout cas, pas modifié et sa zone d’intervention limitée, en principe, à 55  km au large des côtes européennes. La Commission européenne affirme cependant que les bateaux de Frontex pourront effectuer des sauvetages dans les ” zones contiguës ” et même en haute mer. Le flou entourant ces futures opérations inquiète des organisations comme Amnesty International France, dont la présidente, Geneviève Garrigos, estime que ” la moitié du travail “ seulement a été accomplie par les dirigeants européens.

L’autre objectif proposé par la Commission, à savoir la saisie et la destruction des embarcations utilisées par les réseaux criminels, suscite également des doutes. Il se heurte, comme prévu, aux contraintes du droit international : les Européens veulent obtenir l’aval du Conseil de sécurité des Nations unies. François Hollande a indiqué qu’il évoquerait, dès ce vendredi, lors de son déplacement en Arménie, la question avec Vladimir Poutine. Il estime pouvoir le convaincre de ne pas opposer le veto de la Russie à une nouvelle intervention en Libye, ” à condition que nous soyons très clairs sur nos objectifs et les moyens utilisés “.

Obtenir une décision à l’ONU devrait, en toute hypothèse, prendre beaucoup de temps. Dans l’intervalle, la diplomate en chef de l’UE, Federica Mogherini, doit présenter les options pratiques d’une telle intervention.

” Risque d’erreur “Jeudi soir, les chefs d’Etat n’indiquaient toutefois pas clairement quelle piste était privilégiée, certains évoquant une action de type policier, appuyée par une mission de renseignement sur l’organisation, les méthodes et les liens des réseaux criminels actifs en Libye. D’après une source militaire, l’option la plus vraisemblable au plan pratique serait un recours à des hélicoptères capables d’effectuer des tirs à 2  km de distance. Avec, à la clé, ” un risque d’erreur assez évident “.

Il reste le volet de la solidarité entre Européens pour l’accueil des réfugiés et, sur ce plan, on a assisté à un recul par rapport au projet de conclusion qui circulait avant le sommet. Une réforme de ” Dublin II “, qui oblige l’Etat dans lequel arrive le migrant à traiter seul son dossier, est-elle envisagée ? ” Une perspective, nous allons y travailler “, élude François Hollande. Idem pour le ” projet pilote “ visant à permettre à 5 000 réfugiés syriens séjournant actuellement dans des camps de rejoindre un pays de l’Union. Le chiffre est oublié et une éventuelle répartition ne se fera que sur une base volontaire, comme l’a exigé M. Cameron.

Oubliée également, dès lors, l’idée de ” quotas “ obligatoires pour chaque pays, mise en avant par l’Allemagne et les conservateurs du Parlement européen.

Au sein de ce dernier, le ton monte pour critiquer la frilosité du Conseil, et le président Tusk est attendu de pied ferme à Strasbourg pour une séance d’explication, mercredi 29  avril.

Jean-Pierre Stroobants