Les Républicains, à peine nés et déjà divisésSifflés lors du congrès du parti, MM. Juppé et Fillon, candidats à la primaire, se sont affranchis de M. Sarkozy

Ce devait être le grand rassemblement. Une belle démonstration d’unité. Mais le scénario rêvé s’est brutalement heurté à la réalité, samedi 30 mai, lors du congrès de refondation de l’UMP, devenue Les Républicains. Malgré les efforts de Nicolas Sarkozy pour s’imposer comme le fédérateur de son camp, la droite est finalement apparue traversée par de profondes divisions internes. Loin d’être une force homogène, le parti a montré le visage d’une addition d’écuries présidentielles, au service de personnalités déterminées.
La responsabilité en revient aux partisans de l’ancien chef de l’Etat, ultra-majoritaires dans une salle moins remplie que prévu (moins de 10 000 personnes présentes, contre 20 000 annoncées), qui ont copieusement hué Alain Juppé et François Fillon à leur arrivée à la tribune. La preuve que la compétition présidentielle sera rude en dépit des sourires de façade. ” C’est plus qu’un couac, a regretté Nathalie Kosciusko-Morizet, dimanche, sur France 3. Pour moi, ça, c’est la résurgence de l’ancien parti. Ça ne doit pas être ça, Les Républicains ! ”

Déjà sifflé en février lors du conseil national de l’UMP, alors qu’il prônait l’union avec le centre, M. Juppé a regretté ” le sectarisme ” de certains militants. De fait, le mouvement lancé par M. Sarkozy, censé rassembler ” au-delà des clivages droite-gauche “, a surtout donné l’image d’un parti recroquevillé sur les seuls partisans de l’ex-président.

A la tête de l’appareil, M. Sarkozy rêve de mettre tout le parti en ordre de marche derrière lui pour mener le combat de 2017. Mais ses rivaux lui ont montré samedi qu’ils n’avaient nullement l’intention de poser un genou à terre. Tous ont joué leur propre partition. Au moment où M. Sarkozy invoque la République, chacun a mis en avant un autre thème : la nation pour Alain Juppé, la liberté pour François Fillon, le renouveau pour Bruno Le Maire et le travail pour Xavier Bertrand.

Exister

Une manière de cultiver leur singularité dans l’optique de la primaire pour la présidentielle, qui aura lieu en novembre 2016. Les deux premiers se sont même permis d’égratigner la vedette du jour, devant ses fans. ” Notre société a besoin d’apaisement, pas de revanche “, a lancé M. Juppé. ” Notre congrès ne peut pas être un ripolinage du passé mais un nouveau départ “, a averti M. Fillon.

Leur seul objectif : exister sans se faire écraser par la machine sarkozyste. L’exercice est subtil, alors que le président du parti entend profiter de sa position pour occuper tout l’espace à droite. D’ici à la primaire, il leur faut créer leur propre calendrier, être à l’origine de débats et se démarquer sans être perçus comme des diviseurs. Leur stratégie diffère de celle de M. Sarkozy. Alors que celui-ci cible avant tout le noyau dur des militants pour disposer d’un réservoir de voix pour la primaire, eux visent un public plus large. Leur pari ? Que le poids des sympathisants de droite et du centre soit supérieur à celui des adhérents, dans un scrutin rassemblant près de trois millions de personnes.

C’est le calcul d’Alain Juppé, qui est donné vainqueur de la primaire dans certains sondages. ” Nicolas Sarkozy a le parti, moi pour l’instant j’ai l’opinion “, a-t-il résumé dimanche au ” Grand Rendez-Vous ” Europe 1 – Le Monde – i-Télé. Offensif, M. Juppé a conditionné sa participation à la primaire à la tenue d’un scrutin ouvert, avec ” suffisamment de votants “, et non une primaire réservée aux seuls adhérents.

La veille, lors du congrès, le maire de Bordeaux avait pris un moment pour grignoter une focaccia avec ses jeunes partisans, à l’extérieur de la salle. Une façon de signifier que 2017 se joue aussi en dehors des structures partisanes. ” Il est tout à fait logique et normal que Nicolas Sarkozy refaçonne le parti à sa main, c’est classique dans notre parti bonapartiste. Mais la primaire ce n’est pas un congrès, c’est la rencontre d’un homme avec les Français. Que représenteront les 90 000 personnes qui ont voté pour le changement de nom face à 3 ou 4 millions de votants ? “, s’interroge le député Benoist Apparu, porte-parole de M. Juppé. ” Détenir le parti ne permet pas à Nicolas Sarkozy de tuer le match, car la primaire change totalement la donne. Tous les Français pourront s’exprimer et non uniquement les militants “, observe quant à lui le député Franck Riester, soutien de M. Le Maire.

A chacun son projet

Avec la ” primarisation ” de la droite, chaque ténor peut suivre sa propre partition sans suivre le chef d’orchestre du parti. Aucun ne se sent lié par le programme présidentiel que M. Sarkozy veut faire adopter par les adhérents en juin 2016. Il leur faut construire un projet et monter une structure logistique en marge du parti. C’est ainsi que procède M. Juppé. ” J’organise ma petite PME, parfois il arrive que des PME performantes soient plus efficaces que des grandes entreprises du CAC 40 “, a-t-il déclaré dimanche. La petite entreprise girondine se développe. Le réseau et les soutiens s’étoffent. Environ 250 comités locaux ont été lancés. Mardi 2 juin, M. Juppé lancera son mouvement de jeunes dans un café à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Lui et les autres prétendants à la primaire misent sur le fond pour faire la différence face à M. Sarkozy. Depuis l’automne 2014, près de 200 personnes travaillent sur le projet que M. Juppé présentera à partir de septembre.

M. Le Maire peaufine également son projet avant d’entrer officiellement dans la course début 2016. En attendant, le député de l’Eure ne s’oppose jamais frontalement à M. Sarkozy mais saisit des opportunités dans l’actualité pour émerger, ce qui fut le cas lors du récent débat sur la réforme du collège. ” Quand on voit une vague politique où l’on pourrait se placer, on la prend et on la surfe jusqu’au bout “, explique Jérôme Grand d’Esnon, son conseiller politique. Celui qui s’est imposé comme le troisième homme de la droite pour 2017, derrière MM. Sarkozy et Juppé, n’a pas l’intention de changer de ligne de conduite. Celle-ci lui permet, selon lui, de grignoter des parts de notoriété et de crédibilité.

M. Fillon, enfin, continue de miser sur son ” projet de rupture ” d’inspiration libérale, en dévoilant régulièrement ses propositions. Après l’éducation, l’économie ou l’emploi des jeunes, l’ex-premier ministre présentera ses recettes en matière de santé et d’immigration ces prochaines semaines. Sans dévier de sa route. ” Il va continuer à travailler sur le projet, mobiliser ses soutiens, poursuivre ses rencontres avec les Français et multiplier les interventions médiatiques “, indique son porte-parole, Jérôme Chartier.

Autant de concurrents déterminés pour Nicolas Sarkozy, qui a montré lui aussi qu’il était prêt à en découdre. ” L’unité, ce n’est pas la fin des ambitions “, a-t-il remarqué, dimanche, au ” 20 heures ” de France 2, avant de comparer la popularité d’Alain Juppé à celle… d’Edouard Balladur, qu’il soutenait et qui fut défait par Jacques Chirac en 1995.

Matthieu Goar et, Alexandre Lemarié

Le contexte

équipe renouvelée

Après avoir lancé son nouveau parti, Les Républicains, samedi 30 mai à Paris, Nicolas Sarkozy s’attelle à la constitution de la nouvelle direction. ” Il va consulter toute la semaine, en particulier lundi et mardi “, indique son entourage. L’ancien président de la République pourrait annoncer une équipe renouvelée, le 9 juin, lors du premier bureau politique du mouvement. Principal changement possible : l’éviction ou au moins la rétrogradation de la numéro deux de l’ex-UMP, Nathalie Kosciusko-Morizet, et du numéro trois, Laurent Wauquiez. L’ancien ministre du budget Eric Woerth, qui vient d’être blanchi dans l’affaire Bettencourt, doit pour sa part être promu.