Le rap sénégalais, ferment politique qui s’exporte.

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Dans le hip-hop mondial, le rap sénégalais a une place à part. Très ancré dans ses racines, il n’a jamais renoncé à l’engagement politique de ses débuts. Par deux fois au cours de l’histoire récente du Sénégal, les rappeurs ont favorisé l’alternance en mobilisant la jeunesse sénégalaise.

En  2000, les artistes de la première génération, Positive Black Soul, Xuman, Wa BMG rassemblent leurs forces pour le sopi (le changement en wolof) et font gagner Abdoulaye Wade qui bat alors Abdou Diouf au pouvoir depuis dix-neuf ans.

En janvier  2011, le mouvement Y’en a marre, créé par le journaliste Fadel Barro et les rappeurs Keurgi et Fou malade, se battent pour que ce même Wade, 85 ans, ne modifie pas la Constitution afin de briguer un troisième mandat. Quand le Conseil constitutionnel valide le 27  janvier 2012 la candidature de celui qu’ils appellent alors dans leurs raps, le Vieux, ils manifestent, activent les comités qu’ils ont créés dans le pays, et diffusent leur clip ”  Faux  ! Pas Forcé  “.

Fou Malade, fils de policier, cadet d’une fratrie de militants de gauche et rappeur populaire, devient le porte-parole du mouvement sur les plateaux télé. C’est lui qui invente l’hymne des Y’en a marre, en reprenant la mélodie des chants qui accompagne les combats de lutte sénégalaise.

Le 25  mars 2012, Macky Sall, fraîchement élu, remerciera chaleureusement le mouvement, et Fou malade de rappeler, le premier, leur indépendance. Le 6  avril, le documentaire d’Aïda Grovestins, Quitte le pouvoir, diffusé au cinéma Louxor à Paris, racontait cette épopée en ouverture de la semaine Rap is Dakar du Festival Banlieues bleues, qui se conclut le vendredi 10  avril par un concert des trois leaders de la scène rap sénégalaise dont le fameux journal rappé de Xuman et Keyti.

Sollicités partout en AfriqueCe que ne dit pas le film, c’est que depuis trois ans, les Y’en a marre sont sollicités partout en Afrique mais aussi par les syndicalistes français. Le 15  mars, ils étaient arrêtés à Kinshasa en République démocratique du Congo après avoir participé à une conférence de presse du mouvement contestataire congolais, Filimbi. Libérés quatre jours plus tard, Fou malade et ses compères étaient déclarés persona non grata en RDC, preuve que leur mobilisation pacifique dérange les pouvoirs en place.

Rencontré à Paris fin 2014, Fou malade, 40 ans, de son vrai nom, Malal Almamy Tall rappelait le rôle de son rap, ”  levier d’émancipation citoyenne, outil de mobilisation et de conscientisation des masses. En vingt-cinq ans, notre musique n’a pas été transformée par le capitalisme de l’industrie du disque.  

En décembre  2014, le rappeur était invité en France par les cégétistes du Rhône: ”  Ils voulaient échanger avec nous sur des stratégies de communication pour engager les jeunes dans les mouvements syndicalistes. Je leur ai dit que je les trouvais dépassés. Par exemple, ils portent un tee-shirt qui dit  : “Pas né pour subir”. Quand je le lis ça, moi, ça ne m’encourage pas à les rejoindre. C’est négatif, de la victimisation, ça ne produit pas de l’espoir. Pas plus que  : “Réveille-toi, syndique-toi  !”, c’est un ordre. Tu ne donnes pas d’ordres aux jeunes, il y a leurs parents pour ça.  ” Comme Matador, présent aussi vendredi, Fou malade travaille toute l’année dans la banlieue dakaroise, dans des structures comme Guediawaye hip-hop, pour former les jeunes aux métiers de la culture urbaine.

Les Y’en a marre ont, quant à eux, créé des observatoires de la démocratie dans quatorze régions du Sénégal.

Stéphanie Binet