La foire Art Paris résiste à la crise

L’édition 2020, qui réunit 112 galeries de quinze pays au Grand Palais, est le premier grand rendez-vous du marché de l’art en Europe depuis six mois.

Par  Publié hier à 23h55, mis à jour à 06h09

La manifestation Art Paris Art Fair au Grand Palais, à Paris, le 9 septembre.

Art Paris est la première foire du monde ! Précisons : la première à ouvrir depuis le début de la pandémie liée au Covid-19, et l’interruption brutale de la foire de Maastricht (Pays-Bas), la Tefaf, le 11 mars, quatre jours avant la date prévue, après que plusieurs cas de la maladie s’y sont déclarés.

Depuis, tous les grands événements de ce type ont été annulés, à commencer par le plus attendu, la foire de Bâle (Suisse), au mois de juin. Art Basel a par ailleurs annoncé renoncer à organiser sa version américaine, à Miami (Floride), prévue en décembre. Même décision du côté de la foire de Londres, Frieze, qui devait avoir lieu en octobre. La Fiac et Paris Photo, à Paris, sont toujours incertaines à l’heure qu’il est.

On a beaucoup reproché à Art Paris d’être une foire n’attirant qu’un public national, voire local. C’est devenu un atout

Alors, pourquoi Art Paris et pas les autres ? C’est que ces mastodontes n’ont de raison d’être que parce qu’ils drainent un public international : les collectionneurs viennent du monde entier, des Amériques comme d’Asie. Voyager étant devenu complexe, de tels événements, coûteux pour les galeries qui y exposent, n’ont pas de sens. Ce qui n’est pas le cas d’Art Paris : on lui a beaucoup reproché d’être une foire n’attirant qu’un public national, voire local, avec seulement 25 % d’étrangers. C’est devenu aujourd’hui un atout.

« Montrer la scène française »

Un « régionalisme cosmopolite », préfère dire Guillaume Piens, le responsable artistique de la foire, qui se targue de « montrer la scène française, mal représentée ailleurs, et la mettre en valeur en faisant par exemple appel à un commissaire d’exposition indépendant qui propose une thématique regroupant une vingtaine d’artistes ».

Sont ainsi passés par Art Paris, en 2018, le critique François Piron sur les artistes issus de la contre-culture, en 2019, la conservatrice Camille Morineau sur les femmes, et, cette année, le critique Gaël Charbau sur la scène émergente.

Au fil des années, la foire a aussi mis l’accent sur la Russie, la Chine, Singapour, la Corée, l’Afrique et des pays d’Europe de l’Est. « Des pays où l’art n’est pas un hobby, plaide-t-il, mais quelque chose d’essentiel, où être artiste est plus compliqué qu’ailleurs, et peut même parfois, cela s’est vu en Amérique latine notamment, vous coûter la vie. »

Initialement prévue en avril, la foire a pourtant failli être annulée, mais la décision de la Biennale Paris (nouveau nom de la Biennale des antiquaires) de renoncer, elle aussi, à son édition 2020 a libéré ce créneau du mois de septembre au Grand Palais.

Soutenir les jeunes galeries

Julien Lecêtre, codirecteur général d’Art Paris – une PME d’une douzaine de personnes –, a sauté sur l’occasion d’autant plus volontiers qu’un conflit l’opposait à certains de ses exposants, soutenus par le Comité professionnel des galeries d’art : il était dans l’incapacité de restituer les avances faites, déjà engagées dans les salaires et les frais d’organisation.

Toutefois, la Réunion des musées nationaux, qui gère le Grand Palais, a rendu à Art Paris l’avance faite pour la location d’avril, et Julien Lecêtre a obtenu un prêt de la banque publique d’investissement Bpifrance.

Art Paris Art Fair au Grand Palais, à Paris, le 9 septembre 2020.
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Cela lui a permis de rembourser, au moins partiellement, celles des galeries qui ont préféré renoncer à leur participation. Et mieux encore : un fonds de dotation alimenté par la billetterie permettra de soutenir les jeunes galeries (moins de six mois d’existence) présentes à la foire, mais fragilisées par la crise. Elles sont une quinzaine, qui toucheront entre 4 000 et 6 000 euros, en fonction des résultats des entrées. Sachant que le coût d’un petit stand (26 m2) avoisine les 10 000 euros, le geste n’est pas négligeable.

La situation sanitaire a de toute manière contraint à réduire le nombre d’exposants : ils sont 112 au lieu de 150, aux stands répartis selon un plan modifié pour la circonstance : l’allée centrale est élargie à 4 mètres, pour permettre une sécurité des circulations.

« Are you fucking crazy ? »

De même, la jauge du Grand Palais est de 5 000 visiteurs simultanés, mais elle a été ramenée, par décision des organisateurs, à 3 000, soit une personne pour 2 m2, y compris dans les stands : un stand de 40 m2 ne pourra pas accueillir plus de vingt personnes en même temps. Le port du masque est bien sûr obligatoire, du gel hydroalcoolique est disponible un peu partout, et un médecin, sur place, peut effectuer des tests à la demande.

Enfin, le traditionnel vernissage du mercredi soir, qui drainait une foule considérable, est supprimé, remplacé par un accès privilégié entre 10 heures et 12 heures tous les matins, l’ouverture au grand public se faisant ensuite. Une réponse, raisonnée, à un marchand qui, interrogé par Guillaume Piens sur son éventuelle participation, lui avait rétorqué « Are you fucking crazy ? » (« mais, tu es malade ? »).

« Le virus, il faut apprendre à vivre avec », constate M. Piens, qui a passé ces derniers mois en contact régulier avec l’Institut Pasteur et avec Jean-François Delfraissy, le président du conseil scientifique Covid-19, pour évaluer l’évolution de la pandémie.

Et ce n’est pas la première fois que les organisateurs d’Art Paris sont confrontés à des problèmes indépendants de leur volonté : en 2019, les « gilets jaunes » avaient contraint à boucler le quartier, en 2018, alors que la Suisse était le pays invité d’honneur, des grèves de la SNCF et d’Air France avaient empêché les Helvètes de venir. L’édition 2017 était une année d’élections, et 2016 celle d’une grève générale contre la loi El Khomri…

Soutien de certains galeristes

Toutefois, Guillaume Piens est confiant. D’abord parce que ouvrir une foire dans ce contexte fait déjà figure d’événement : « J’ai le sentiment, dit-il, que les gens vont participer, acheter quelque chose. Il y a une envie. Les collectionneurs étrangers ne viendront peut-être pas, mais leurs conseillers artistiques si. Beaucoup ont déjà signalé leur intérêt. Une trentaine de groupes de collectionneurs, et d’amis de musées se sont inscrits. Nous avons aussi des galeries importantes, qui ne participent pas à la foire, mais ont annoncé vouloir la voir. » On ne dira pas « pour prendre la température », ce serait mal venu.

« Quand on n’a pas fait de foire pendant sept mois, on est en manque de rendez-vous avec nos collègues, de sentir leur état d’esprit », Emmanuel Perrotin, galeriste

Il a pu également compter sur le soutien de certains galeristes, et notamment Nathalie Obadia, qui s’est battue pour que la foire se maintienne, allant jusqu’à remonter le moral des organisateurs quand elle le sentait faiblir, et les bretelles des opposants à l’événement quand cela lui semblait nécessaire.

Mais aussi d’Emmanuel Perrotin, aujourd’hui l’un des plus puissants marchands d’art contemporain du monde, qui n’avait jamais participé à Art Paris et a décidé cette fois-ci d’y prendre un stand – qu’il a intégralement payé, contrairement à une rumeur malveillante faisant état d’un cadeau de la foire – afin, dit-il, de témoigner sa « solidarité avec la scène parisienne ».

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Et d’ajouter : « Quand on n’a pas fait de foire pendant sept mois, on est en manque de rendez-vous avec nos collègues, de sentir leur état d’esprit. Surtout, il faut penser à nos artistes, qui ont besoin de vendre. Si la Fiac a lieu, tant mieux, et on y participera aussi. Mais d’habitude, nous répartissons nos artistes entre Frieze et la Fiac. La première est annulée, l’autre, on ne sait pas encore [elle devrait se tenir du 22 au 25 octobre]. Art Paris va nous permettre de pallier ces manques, et peut-être de rencontrer des gens qui ne viennent pas forcément à ces deux foires, ce qui serait merveilleux. »

Art Paris Art Fair, Grand Palais, avenue Winston-Churchill, Paris 8e. Tous les jours de 12 heures à 20 heures, jusqu’au 13 septembre. Entrée 28 € (14 € pour les étudiants et groupes, gratuit pour les enfants de moins de 11 ans). Artparis.com/fr

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