Grand artiste, petite expo.

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Mieux vaut une petite exposition d’un grand artiste qu’une grande exposition d’un petit artiste  : ce n’est pas un proverbe africain ou chinois, mais la seule raison que l’on ait trouvée de se consoler que l’exposition Bruce Nauman à la Fondation Cartier se compose de six œuvres seulement. Et que Nauman, qui est une figure majeure de l’art depuis les années 1960, n’ait donc toujours pas eu à Paris une présentation digne de lui. En  1997, le Centre Pompidou était l’une des étapes d’une rétrospective itinérante, entre Wolfsbourg et Londres  : on se souvient d’œuvres à l’étouffée dans un espace insuffisant, tout le contraire des ensembles montrés à Venise en  2009, année où il occupait aussi le pavillon des Etats-Unis à la Biennale.

Il y a donc six pièces boulevard Raspail. Deux sont sonores, For Children, qui est un hommage indirect aux partitions pour piano composées par Béla Bartok à destination des enfants, et For Beginners (Instructed Piano). Dans celle-ci, Terry Allen joue au piano sans déplacer ses mains sur le clavier, protocole fixé par Nauman. On reconnaît là son intérêt constant pour les modes élémentaires de création, qu’il exalte par la répétition à l’infini. Les quelques notes qu’Allen parvient à frapper deviennent lancinantes et For Children doit à la répétition entêtante de ces deux mots et de leur traduction en français sa capacité d’obsession.

Des vanités monumentalesDepuis ses débuts, Nauman, qui est né en  1941, travaille ainsi  : il met à l’épreuve soit le rapport intime au temps du spectateur, soit son rapport corporel et visuel à l’espace, soit les deux à la fois. Pour le rapport au temps, l’exposition est démonstrative puisque aux deux pièces sonores répondent deux vidéos en boucle. Celle qui date de 2013 montre sur un très vaste écran trois crayons à papier jaunes finement taillés. Ils tiennent en l’air à l’horizontale tant que les mains de l’artiste – suppose-t-on – exercent une pression suffisante aux deux bouts. Puis l’édifice se défait, les crayons tombent et le chat de Nauman, qui se nomme Mr  Rogers, traverse brièvement l’image. Dans la seconde, vue à Venise et ailleurs, deux danseuses miment le mouvement des aiguilles d’un réveil. Cette pièce est l’une des plus littérales de l’artiste – d’une littéralité un peu trop évidente même. Le temps passe, le spectateur regarde le temps passer et se laisse envahir par la pensée de ce passage. Les deux vidéos sont des vanités, l’une plus élégante, l’autre plus appuyée , et toutes deux monumentales. Cette démesure pourrait relever d’une forme d’autodérision et d’absurdité. A quoi bon, en effet, concevoir des vanités si colossales pour annoncer l’inéluctable disparition des êtres, si ce n’est par goût pour la contradiction ?

De l’autre force de Nauman – son usage douloureux et cruel de l’espace et des sensations physiques – à l’inverse, presque rien n’est montré. Aucun de ses couloirs trop étroits, aucune de ses cages grillagées dans lesquelles le spectateur hésite à s’engager. Aucun de ses terribles néons tragi-comiques qui écrivent en vert ou en rouge NoWar “ ou Run from Fear “ et dessinent des scènes burlesques ou obscènes. Quant à ses sculptures d’animaux mutilés, il n’y a ici pour les représenter qu’un unique carrousel de cinq bêtes qui aurait besoin de plus de vide autour de lui et aussi de silence. Il se trouve, en effet, dans la même salle souterraine que l’une des installations vidéo les plus connues de Nauman, créée en  1991. Sur trois grands écrans et six petits, le performer Rinde Eckert, filmé en très gros plan, tête à l’endroit ou tête à l’envers, vocifère façon sergent de marines  : ” Hurt Me ! “, ” Feed Me ! “ (” Blesse-moi ! “, ” Nourris-moi ! “)  : l’exposition ne comble malheureusement aucun de ses désirs.

Philippe Dagen