En Italie, les frères ennemis de la Ligue du Nord.

Elle voudrait conquérir le Sud, mais la Ligue du Nord pourrait bien perdre la Vénétie – l’un de ses bastions historiques de l’Italie septentrionale avec la Lombardie – à l’occasion des élections régionales partielles qui auront lieu en mai. Maire de Vérone, Flavio Tosi (45 ans) menace de se présenter contre le président sortant, Luca Zaia, soutenu par Matteo Salvini (42 ans), le responsable de la Ligue. Après une semaine de bras de fer et de vaines négociations, M.  Tosi a été exclu du mouvement mardi 10  mars. Il a désormais les mains libres. La gauche pourrait profiter de cette division et revenir au pouvoir dans une région qu’elle n’a dirigée que pendant deux années en quarante-cinq ans.

Tosi contre Salvini. Le Vénète contre le Lombard. L’élu contre le chouchou de l’appareil. Cette bataille met aux prises deux hommes de la même génération et réactualise la vieille hostilité entre la Ligue vénitienne, fondée en  1979, et la Ligue lombarde, née en  1982. L’association des deux allait donner naissance à la Ligue du Nord en  1986 sous l’impulsion de son fondateur, Umberto Bossi.

Toutefois, cette fusion n’a pas gommé leurs différences. Aucune de ces deux formations autonomistes n’a jamais abandonné ses prétentions à représenter l’essence et la pureté du mouvement des origines. Les Vénètes se distinguent par des actions d’éclat, comme celle consistant à envahir la place Saint-Marc de Venise avec un char d’assaut bricolé à partir d’un tracteur. Les Lombards, eux, privilégient la tactique politique, comme le prouve le long compagnonnage d’Umberto Bossi avec Silvio Berlusconi.

Choc d’ambitionsLes Vénètes remplissent les cars de militants, mais ce sont les Lombards qui, de M. Bossi à M.  Salvini, fournissent les cadres du parti. Ainsi, alors que M. Tosi a forgé sa légitimité à Vérone, ville de 260 000 habitants dont il est le maire depuis 2007, M.  Salvini a fait sa carrière dans l’appareil et n’a ” conquis ” que son mandat de député européen.

Mais leur rivalité est aussi un choc d’ambitions. Alors qu’ils partagent la même analyse sur la nécessaire reconstruction de la droite après le double déclin de MM. Bossi et Berlusconi, tous deux vieillissants et affaiblis par les affaires, MM. Tosi et Salvini se divisent sur la stratégie à suivre et le partage de l’héritage. Pour l’instant, c’est le second qui en a tiré la meilleure part en s’installant dans le fauteuil de dirigeant de la Ligue du Nord en décembre  2013.

Fort de sondages encourageants (la Ligue atteint désormais 15  % des intentions de vote) et d’une exposition médiatique considérable (il est apparu vingt-quatre  heures à la télévision au cours des deux derniers mois), M.  Salvini en a profité pour noyauter le parti, apparaître comme son candidat naturel en cas d’élection et lui faire exercer un vaste mouvement vers l’extrême droite au nom de la bataille contre l’euro et l’immigration. Illustration de cette stratégie : son alliance à Strasbourg avec Marine Le Pen et son refus – pour l’instant – de construire des listes communes avec Forza Italia, le parti de M. Berlusconi.

Alliance avec la droiteTel n’était pas le calcul de M. Tosi, qui a créé en  2013 sa propre fondation, ” Reconstruisons le pays “, pour défendre l’organisation de primaires communes à toute la droite afin de lui trouver un chef de remplacement après le règne sans partage de l’ex-Cavaliere. Fort de son bilan de maire, il comptait tirer son épingle du jeu lors de cette consultation, d’autant qu’il se voyait bien devenir gouverneur de Vénétie en  2015.

Pas plus à gauche que son rival, Flavio  Tosi, qu’Umberto Bossi avait accusé d’être ” entouré de fascistes “, défend au contraire l’idée d’une alliance avec toute la droite, centre compris. Voyant que ce scénario était battu en brèche, M.  Tosi a pris ses distances avec M. Salvini, arguant de sa proximité avec des partis postfascistes. En réponse, M.  Salvini a exigé de son rival qu’il choisisse entre sa fondation et le parti.

L’un et l’autre font un pari. M.  Salvini veut croire qu’il n’a pas besoin de M.  Tosi pour permettre à la Ligue de conserver la Vénétie. ” Même l’EnfantJésus ne parviendrait pas à gagner contre Luca Zaia “, fanfaronne-t-il. Il compte sur la popularité et le bilan du sortant pour mettre à son profit une première victoire politique. M.  Tosi veut mettre un terme à l’ascension de son rival. Il ne veut pas tant gagner – dans le cas probable où il se présenterait à la tête d’une liste dissidente – que faire perdre le candidat officiel de la Ligue et contrarier la trajectoire de M. Salvini.

Philippe Ridet