Camille Muffat avait quitté les bassins en juillet 2014, à un âge où beaucoup de ses consœurs enchaînent encore les longueurs, et engrangent encore les médailles. Sa vie s’est arrêtée moins d’un an plus tard, à 25 ans, lundi 9 mars. L’ancienne nageuse française était dans l’un des deux hélicoptères qui sont entrés en collision avant de s’écraser dans la province de la Rioja, dans le nord-ouest de l’Argentine.
La France perd l’une des plus grandes nageuses de son histoire, celle qui avait repris le flambeau de la natation féminine après la (première) retraite, en 2009, de la star des bassins français et des magazines people, Laure Manaudou, dont Camille Muffat était une sorte de contraire. “ Camille est discrète, parfois secrète, disait il y a trois ans Fabrice Pellerin, qui fut le seul entraîneur de la Niçoise. Elle n’a pas la place qu’elle mérite aux yeux des gens. Surtout avec la présence de Laure qui alpague tous les médias. “
En 2005, à peine âgée de 15 ans, Camille Muffat – crime de lèse-majesté – avait osé battre sa glorieuse compatriote lors des championnats de France sur 200 m 4 nages, puisque le ” 4 nages ” était sa spécialité avant qu’elle ne se consacre entièrement au crawl. “ Je n’étais pas du tout prête à ça, racontera la Niçoise quelques années plus tard. Du fait que c’était Laure, tous les médias se sont emballés. C’était difficile d’être comparée tout le temps à elle. On la montait contre moi, j’avais trois ans de moins, je me disais qu’un jour elle allait m’insulter ! “ Grandir d’abord dans l’ombre, puis dans la rivalité permanente avec son aînée, ne l’empêchera pas d’atteindre le Graal : l’or olympique.
” Future Laure Manaudou “C’était à Londres, le 29 juillet 2012, et Laure Manaudou, qui faisait de nouveau partie de la délégation française depuis son come-back un an plus tôt, était en tribunes pour l’encourager. Au bout d’un 400 mètres nage libre mémorable, où Muffat avait pris le meilleur départ avant de maintenir l’Américaine Allison Schmitt à quelques centimètres pendant toute cette course phénoménale d’intensité, elle avait définitivement cessé d’être la ” future Laure Manaudou “.
L’été londonien, ponctué de deux autres médailles – l’argent sur 200 m nage libre, le bronze sur 4 x 200 m – venait couronner des dizaines de milliers de longueurs dans la piscine de l’Olympic Nice Natation, où elle avait débarqué à 12 ans, avec déjà quelques solides aptitudes : ” Elle est arrivée tout de suite avec de fortes qualités, disait Fabrice Pellerin, mais je me suis forcé à ne pas me fier qu’à ça, parce que j’aurais peut-être été trop cool avec elle en me disant qu’elle était suffisamment dotée pour que ça se passe bien. “
Camille Muffat était une bosseuse – ” si vous lui donnez rendez-vous à 8 heures, elle sera là dix minutes avant “, disait Pellerin –, mais la relation avec cet entraîneur si particulier, ancien mentor de Yannick Agnel, autre pépite de la natation française, n’est pas allée sans heurts. ” Elle a un jour pris deux chronos dans la tête, racontait l’entraîneur niçois après le sacre olympique de sa protégée. C’est là que je me suis rendu compte qu’elle avait la tête dure. Le chrono est parti au fond de la piscine, il n’a plus jamais marché. “
En plus de son talent naturel et de ses qualités physiques, les sacrifices consentis par la grande nageuse aux larges épaules ont été les clés de son succès. ” Je me suis toujours dit que ce que j’obtenais avec l’entraînement, les médailles, la notoriété, valait mille fois ce que je ratais, disait-elle après l’annonce de sa retraite. J’ai commencé à nager à l’âge de 7 ans, et dès 9-10 ans, je nageais déjà tous les jours. Mais j’aimais ça, et j’aime toujours ça !Ma décision n’a rien à voir avec un ras-le-bol de s’entraîner dur. Aujourd’hui, j’ai le recul de dire que c’est grâce à cette souffrance que j’ai eu ces résultats. “
Sommet aux Jeux de LondresCes résultats, en plus de sa moisson londonienne, ce sont quatre médailles de bronze aux championnats du monde, 24 titres de championne de France – individuel et relais confondus et la Légion d’honneur en 2013, remise à tous les champions olympiques.
Après avoir atteint le sommet aux Jeux de Londres, la Niçoise ne fera plus que redescendre la pente tranquillement. Aux Mondiaux de Barcelone, en 2013, elle avait été prise de vitesse par la jeune américaine Katie Ledecky (16 ans) dont on devrait entendre parler jusqu’aux Jeux de 2020, si elle ne décide pas, comme Muffat, de quitter avant l’heure cette activité si particulière.
” La natation, c’est une passion. Mais ce n’est pas un métier comme les autres “, disait la Française au moment de sa retraite, qui ne lui laissait, assurait-elle, aucun regret : ” Pour moi, c’était le moment d’arrêter. Depuis Londres, ce n’était que du bonus, avec moins de pression. ” A l’époque, elle n’avait pas écarté l’idée de replonger un jour : ” Il ne faut jamais dire jamais. Michael Phelps était catégorique, Laure Manaudou, Ian Thorpe… Aujourd’hui, je suis sûre de moi, et je pense être assez curieuse de tout pour explorer autre chose, à fond et sans retour. Le corps aurait pu supporter encore dix ans, mais je suis maîtresse de ma vie. “
Henri Seckel