Sergio Mattarella, un président italien au-dessus de tout soupçon.

Matteo Renzi est le véritable metteur en scène de l’élection de ce magistrat austère et taiseux

On le disait austère et taiseux. Il l’est ! Dix-neuf mots lui ont suffi pour commenter son élection, samedi 31 janvier, au 4e tour de scrutin avec 665 voix sur 995 votants, comme président de la République : ” Mes pensées vont avant tout, par-dessus tout, aux difficultés et aux espérances de mes concitoyens. Ça suffit. Merci “. Puis, à bord d’une Fiat Panda grise assortie à ses costumes, Sergio Mattarella s’est rendu aux fosses Ardéatines, dans le sud de Rome, où, en mars 1944, 335 Italiens furent exécutés par les nazis, un lieu qu’il a qualifié de symbole d’une résistance à la ” nouvelle saison de terreur “.
Pour une grande partie des Italiens, ce veuf de 73 ans, sicilien, père de trois enfants, plusieurs fois parlementaire et ministre (de la démocratie-chrétienne et du centre-gauche), puis juge à la Cour constitutionnelle, est un inconnu. Son visage surmonté d’une masse de cheveux blancs semble avoir échappé aux caméras de télévision. Sa réserve, son verbe rare, son regard clair étaient jusqu’à samedi considérés comme un tue-l’audimat.
Sergio Mattarella est né deux fois. Une première fois le 23 juillet 1941, à Palerme, qu’il quitte très vite pour suivre son père, Bernardo, à Rome. Membre de l’Assemblée constituante, plusieurs fois ministre démocrate-chrétien, il plane sur ce dernier un soupçon jamais démontré de collusion avec la Mafia. Inscrit dans les meilleurs collèges religieux de la Ville éternelle, le jeune Sergio étudie ensuite le droit. Diplômé, avec une spécialisation en droit parlementaire, une belle carrière universitaire s’ouvre devant lui.
Sa seconde naissance a lieu, 45 ans plus tard, le 6 janvier 1980. Toujours à Palerme. Sur le Corso della Liberta, l’avenue chic de la ville. Alors que toute la famille Mattarella se rendait à la messe de l’Epiphanie, Piersanti, son frère aîné, président de la région Sicile, est assassiné de huit balles de revolver. Sur les photos en noir et blanc de l’époque, on voit Sergio extirper le corps de son frère d’une Fiat 132. Son (ou ses) assassin(s) n’ont jamais été retrouvés, et le mobile jamais éclairci. Considérés comme mandataires de cet assassinat, Toto Riina et Bernardo Provenzano, deux des patrons de Cosa Nostra, ont été condamnés.
Les rares biographes de Sergio Mattarella datent de cette journée sanglante l’entrée en politique du nouveau président italien, comme si en recueillant le dernier souffle de son frère, il en avait aussi accepté l’héritage politique. Trois ans plus tard, en 1983, il fait son entrée au Parlement sous les couleurs de la démocratie-chrétienne alors florissante. Il y siégera jusqu’en 2008.
” Cauchemar irrationnel ”
Mais sa démocratie-chrétienne n’est pas celle du président du conseil Giulio Andreotti, passé maître dans l’art des arrangements entre amis. En 1990, il marque sa différence en démissionnant de son poste de ministre de l’instruction pour protester contre l’adoption d’une loi confirmant à Silvio Berlusconi, pas encore entré en politique mais déjà affamé de puissance, son quasi-monopole sur les chaînes de télévision privées en Italie. ” Le Mattarella qui vote contre les lois du gouvernement doit être un homonyme du Mattarella qui en fait partie “, commentera, ironique et cinglant, Giulio Andreotti.
Alors que la droite se berlusconise, Sergio Mattarella se rapproche du centre-gauche et persévère dans son opposition au Cavaliere, qualifiant en 1998 de ” cauchemar irrationnel ” l’adhésion de Forza Italia au PPE. Il ajoutera : ” Quand les Vandales envahirent l’Empire romain, ils tentèrent de devenir citoyens romains, mais étant des barbares, ils n’y parvinrent pas. ” Un an plus tard, alors que le Cavaliere revendiquait sa filiation avec Alcide De Gasperi (1881-1954), le fondateur de la démocratie-chrétienne et premier président du conseil de l’après-guerre, Sergio Mattarella, lui répond : ” De Gasperi appartient à tous ceux qui ont la démocratie à coeur. Ce qui ne veut pas dire que tout un chacun peut se dire son héritier. ”
Ce sont probablement ces critiques répétées qui doivent en partie à Sergio Mattarella – également auteur, en 1993, d’une loi électorale baptisée ” Mattarellum ” et, en 2000, alors qu’il était ministre de la défense, de la loi supprimant le service militaire – le poste qu’il occupera dès mardi lorsqu’il aura prêté serment devant le Parlement. Son passé de douleurs, son appartenance à cette Sicile de la tragédie et des mystères, proche de celle de Leonardo Sciascia, ont fait le reste. Sur son nom et sa biographie au-dessus de tout soupçon, se sont accordés centristes, catholiques, laïcs et ex-communistes, à l’exception des fidèles de Berlusconi et des élus du Mouvement 5 étoiles. Ils apparaissent comme les grands perdants de ce triomphe.
Garant de la Constitution et chef des forces armées, le successeur de Giorgio Napolitano fera connaître ses priorités mardi lors de son discours d’investiture. Elles devraient s’accorder avec celles de Matteo Renzi, véritable metteur en scène de son élection : réforme du mode de scrutin et fin du bicamérisme pour assurer une stabilité politique. Paradoxe : indispensable pour résoudre les crises politiques, le 12e chef de l’Etat de l’histoire de la République verrait une partie de ses prérogatives diminuer fortement si ces deux objectifs étaient atteints.
Philippe Ridet