Retour vers le futur.

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Les objets paradent sur un podium de béton, tels des stars. Et stars, ils le sont, puisque sélectionnés pour leurs vertus divinatoires, selon une amusante exposition qui se tient jusqu’au 16  août à la Gaîté-Lyrique, à Paris. Pour les ”  Oracles du design  “, la chasseuse de tendances et commissaire de l’exposition Lidewij Edelkkoort a puisé dans la collection du Centre national d’arts plastiques (CNAP) 225 pièces des trente dernières années – canapés, tabourets, commodes et autres accessoires. Des pièces qui révèlent par anticipation nos modes de vie et nos interrogations à l’aube d’un nouveau millénaire.

Dès l’entrée, une vingtaine d’entre elles, peintes en noir, s’adressent directement aux visiteurs. Les voilà, dans cet ancien théâtre à l’italienne, qui déclament leurs caractères prophétiques, ce qui a fait d’eux des archétypes messagers de notre rapport au monde. Les vases Ming (2004) de Fredrikson Stallard se répondent, comme le yin et yang qui les a inspirés, les suspensions Lianes (2011) de Ronan &  Erwan Bouroullec conversent ensemble – ”  Nous travaillons en famille  “, chuchotent-elles –, tandis que la robe Baguette (2000) d’Issey Miyake, sorte de tunique seconde peau, se présente timidement par la voix d’une jeune Japonaise. L’ensemble fait cacophonie, mais l’installation fascine.

En bas d’une volée d’escaliers, d’autres objets racontent une histoire, sans dire mot, par l’unique jeu de la scénographie. Lidewij Edelkkoort les a assemblés selon une dizaine de thèmes  : naïf, abstrait, humble, curieux, simple, organique, archaïque, mutant, etc.

Nomadisme et cocooningAinsi réunis autour d’un feu de camp – figuré par la lampe à poser des 5.5 designers (2010) –, un solex électrique, la banquette Backpack d’Hella Jongerius avec ses coussins, couvertures et compartiments intégrés, et le premier fauteuil pliant Outdoor des frères Bouroullec préfigurent une humanité nomade, prête à boucler ses valises équipée de l’essentiel.

Le sofa Banquette, cousu de doudous et autres peluches par Fernando et Humberto Campana, le tabouret-nain de jardin de Philippe Starck et ce drôle de ventilateur vert fluo, façon pâte à modeler selon Maarten Baas racontent cette envie, très fin de siècle, de ne pas grandir  : la maison-cocon berce et rassure des adultes qui jouent et ingèrent de plus en plus d’aliments… à la cuillère.

A défaut d’être toujours convaincante – question prédiction, s’entend –, la sélection d’objets, sur le podium de 52 mètres de long qui traverse le sous-sol de la Gaîté-Lyrique est époustouflante. Elle témoigne du foisonnement d’expérimentations, de courants parfois contraires mais fertiles, qui ont accompagné l’entrée dans ce nouveau millénaire, côté design.

Rien ne semble y avoir été oublié  : de la bibliothèque Carlton multicolore de Sottsass que l’on n’a pas souvent l’occasion de voir ”  en vrai  ” au travail en bronze, faussement brut, des Garouste et Bonetti ; du premier objet ”  gonflé  ” datant de 1968 – le fauteuil Chester de Quasar en PVC blanc –, à l’un des premiers objets ”  gonflants  ” de l’époque, car culpabilisant – la lampe Gun (2005) de Philippe Starck, en forme de fusil. ”  J’ai choisi la kalachnikov, le plus grand succès du design industriel de l’histoire, confiait le Français, en  2012. Elle est peinte en doré pour montrer la collision de la guerre et de l’argent, elle a un abat-jour noir pour évoquer la mort, avec de petites croix à l’intérieur pour montrer que la mort individuelle n’est pas une entité abstraite.  “

” Un enjeu de pouvoir “A côté de ce mobilier révélateur de nos états d’âme ou d’un nouveau paysage domestique, d’autres tracent les voies d’un futur possible. Ainsi en est-il de la suspension Flight 815 de Cédric Ragot, de la chaise Solid C2 de Patrick Jouin, ou des vases de François Brument, qui arborent des formes jamais vues auparavant, générées par des machines balbutiantes au début des années 2000, telles les premières imprimantes 3D. Ils innovent et, pourtant, rappellent la croissance de formes végétales ou de cellules animales.

”  L’imprimante 3D et les fichiers numériques donnent un ton hallucinant à la création, comme si la forme se mettait à pousser de son propre gré. Avec le design biologique, une vraie promesse écologique pointe à l’horizon  “, affirme Lidewij Edelkkoort. Cette spécialiste se dit globalement optimiste pour l’avenir  : ”  L’homme est capable de créativité et nous allons donc nous en sortir  “, assure-t-elle.

Plus prudent, Jérôme Delormas, directeur de la Gaîté-Lyrique, entend ”  faire prendre conscience au public des 15-35 ans, qui fréquente ce lieu culturel, du pouvoir du design dans une société de plus en plus interfacée.  Tout est pensé dans un processus design  : pas seulement l’objet, mais aussi les algorithmes à l’intérieur. Le meilleur exemple est le smartphone. Cela devient un enjeu de pouvoir que de mesurer les décisions collectives ou politiques qui se prennent à partir de ces interfaces mises en forme par d’autres  “, s’inquiètet-il.

Pour replacer l’homme en son centre, il y a cet objet assemblé par un utilisateur lambda grâce aux plans de fabrication disponibles en ligne  : la chaise 5-30 Minute (2011-2013) d’AtFAB, premier meuble collaboratif jamais entré dans un musée. La collection du CNAP, chargé de constituer le patrimoine de demain, ne recèle donc pas que des objets ”  marchands  “. C’est aussi une forme d’oracle.

Véronique Lorelle