La chancelière allemande, Angela Merkel, avant la présentation de ses vœux à la télévision le 30 décembre 2014, à Berlin.
MAURIZIO GAMBARINI/AFP
Le souffle de l’attaque sanglante contre Charlie Hebdo s’est fait sentir jusqu’au cœur de Downing Street, mercredi 7 janvier après-midi. Le premier ministre David Cameron et la chancelière Angela Merkel y rendaient compte de leurs entretiens devant un parterre de journalistes guettant le moindre signe de connivence ou d’hostilité entre les deux dirigeants à propos de l’obsession de l’exécutif britannique d’une renégociation des liens entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE). Mais il n’était pas facile pour le premier ministre britannique, alors que l’émotion tenaillait tout le continent, de mettre en cause l’appartenance du Royaume-Uni à l’Europe. Les deux dirigeants ont utilisé les mêmes mots pour condamner la terrible attaque “ contre les valeurs que nous défendons : liberté d’expression, liberté de la presse “. Comme si l’Europe, soudain, reprenait sens. Officiellement, Mme Merkel venait à Londres pour préparer le sommet du G7, qui doit se tenir les 7 et 8 juin en Bavière. Son calendrier international est bien chargé. Dimanche, elle se rendra à Strasbourg pour rencontrer François Hollande et Martin Schulz, le président du Parlement européen. Juste avant les législatives en Grèce du 25 janvier, elle se rendra en Italie à l’invitation du président du conseil, Matteo Renzi, et vraisemblablement au Forum économique mondial de Davos (Suisse), qui se tient du 21 au 24 janvier. Et elle continue évidemment à suivre de près le dossier ukrainien, comme le prouvent les visites à Berlin les 7 et 8 janvier du premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk, puis le 9 du président kazakh, Noursoultan Nazarbaïev. ” Solutions communes “La chancelière a par ailleurs profité de sa visite à Londres pour calmer le jeu avec Athènes. Contrairement à ce qu’a écrit le Spiegel, Angela Merkel affirme que son objectif n’a pas varié et qu’elle souhaite que la Grèce reste dans la zone euro. ” Nous avons accompli une très grande partie du chemin et je n’ai absolument aucun doute que nous allons accomplir ensemble ce qu’il reste à effectuer “, a-t-elle déclaré, prenant implicitement bonne note des critiques formulées par Paris et Bruxelles. A l’issue de son entretien avec la chancelière, David Cameron semble, lui, n’avoir qu’un souci en tête : rendre crédible la perspective d’une renégociation avec l’Europe dans le sens de la souveraineté britannique. Une promesse dont dépend, selon lui, le résultat du référendum pour ou contre la sortie de l’Union européenne qu’il a promis d’organiser d’ici à 2017 s’il gagne les élections législatives de mai. En cas d’échec des négociations, il brandit la menace d’appeler lui-même à voter en faveur du ” Brexit ” (” British Exit ” ou sortie de l’UE). A la fin novembre, il a revendiqué une réduction drastique des droits sociaux des immigrés européens au Royaume-Uni. Mais Angela Merkel, en rappelant le caractère fondamental de la libre circulation dans l’UE, l’a alors contraint à renoncer à un projet plus musclé qui consistait à imposer des quotas limitant l’entrée d’Européens. Mercredi à Londres, la chancelière a été tout sourire : elle s’est dite ” très attachée à l’appartenance du Royaume-Uni à une UE forte et prospère ” et a admis qu’en matière de prestations sociales l’Union devait ” examiner – la question – des abus ” à la libre circulation. “ Quand on veut, on peut ” trouver des ” solutions communes “, a-t-elle concédé. Mais Angela Merkel n’a rien cédé sur le fond, et M. Cameron aura bien du mal à se prévaloir d’un quelconque encouragement de sa part. Le premier ministre a même renoncé à citer l’une de ses exigences : l’obligation pour les Européens d’être déjà embauchés pour immigrer au Royaume-Uni. Nigel Farage, le leader du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP), l’a aussitôt exploité : ” Il suffit de quelques heures avec Mme Merkel pour que M. Cameron promette de rouvrir la porte à l’immigration. “ Dimanche, pourtant, David Cameron avait relevé ses exigences, en demandant une réécriture des traités, notamment pour délier son pays de l’engagement contenu dans le traité de Rome de construire une ” Union sans cesse plus étroite entre les peuples européens “. Mais la chancelière allemande a une conception qu’elle fait partager à la Commission de Bruxelles : souplesse et compréhension sur le fond, fermeté sur la forme et, surtout, sur le respect des traités existants. Fermeté“ Il est impossible voire dangereux, dans le contexte actuel et compte tenu de la complexité de la tâche, de se lancer dans une renégociation “, résume une source diplomatique. Quelles que soient ses difficultés sur le plan intérieur, David Cameron n’obtiendra pas une remise en question du principe de libre circulation au sein de l’Union, un ” pilier ” de l’Europe communautaire. La diplomatie allemande tente, en fait, de ne pas rompre le fil de plus en plus ténu qui relie Londres et Bruxelles. Parce que la Grande-Bretagne est un allié de poids au plan économique. Parce qu’un retrait de Londres exposerait l’Allemagne à un face-à-face permanent avec la France, ce qu’elle refuse. Enfin, parce que ce retrait entraînerait, de fait, un déplacement du centre de gravité de l’Europe vers le sud, une autre évolution que Mme Merkel veut prévenir. La chancelière entend que les débats sur un éventuel ” Brexit ” ne viennent pas assombrir davantage l’horizon des Vingt-Huit. Elle semble donc dire à M. Cameron qu’elle fera tout pour l’éviter, mais qu’il ne pourra compter sur elle s’il mise sur une renégociation qui déstabiliserait tout l’édifice européen. Au risque de laisser le dirigeant britannique lasser ses partenaires et foncer dans le mur : une sortie de l’Europe qu’il ne souhaite pas vraiment lui-même, mais dont il agite la perspective pour gagner les élections. Philippe Bernard, Frédéric Lemaître, et Jean-Pierre Stroobants |