Marine Le Pen rattrapée par l’affaire du financement du FN.

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Ce sont juste quelques mots, piochés au cours d’une conversation téléphonique, mais ils signent l’implication personnelle de Marine Le Pen dans l’affaire visant le financement de son parti. Ce mercredi 15  avril 2014, c’est la panique au FN. Les policiers multiplient les auditions, sur la piste d’un financement illégal de la campagne des élections législatives 2012. Imprimeurs imposés, signatures imitées, prêts suspects… Un expert-comptable, Nicolas Crochet, est en ligne de mire, et la liste des délits possibles s’allonge.

Axel Loustau, le trésorier de Jeanne, un microparti satellite du FN, relate alors l’énervement de sa patronne, dans une conversation téléphonique avec Frédéric Chatillon, autre membre de la galaxie frontiste, patron de la société Riwal, une interface commerciale imposée aux 559 candidats du FN. Les policiers sont à l’écoute  : ”  J’viens d’avoir Marine, elle est un peu agacée  “, indique M. Loustau. Réponse de M. Chatillon  : ”  Elle est au courant de tout depuis le début…  “ Réplique de M. Loustau  : ”  Nous faut qu’on ferme notre gueule (…). J’vais te dire, avant qu’on soit mis en examen hein, moi, chez Jeanne, j’ai les couilles propres.  “

Pas très visionnaire sur le coup, M.  Loustau a été mis en examen un an plus tard, en mars  2015, pour ”  escroquerie  “. Dans un procès-verbal lié aux écoutes, la brigade financière note que ”  Marine Le Pen s’enquiert et est informée du choix des imprimeurs et de la répartition des quantités pour chacun d’eux et semble influencer ces décisions. Elle est en lien direct avec Nicolas Crochet et se tient très au courant au sujet de Chatillon, des articles de presse le concernant ainsi que concernant Loustau, Jeanne et Riwal. Elle semble d’ailleurs en être contrariée et être informée et au courant de tout  “, concluent les policiers. Qui notent par ailleurs, à propos de M. Chatillon, placé sur écoute, ”  qu’il informe Marine Le Pen de – leurs – investigations  “.

” Elle était du FN et jolie fille “Elle sait tout, notamment, de cette campagne des législatives, en  2012, où le FN a dû faire face à ses deux maux classiques  :peu de moyens financiers, et des candidats souvent inexpérimentés. C’est en effet ce double constat qui émerge de l’enquête menée par les juges Renaud Van Ruymbeke et Aude Buresi, chargés de démêler le système alambiqué de financement ”  obligatoire  ” mis en place.

En témoigne le cas de ce peintre en bâtiment à la retraite en Haute-Savoie, Patrick Chevallay. Il est de toutes les élections. Tant pis si cela l’expose à quelques visites désagréables de policiers. Comme en ce mois d’avril  2014, quand la police vient lui demander de décrire par le menu le financement de sa campagne, en  2012. Ces détails ne l’intéressent pas, manifestement. Pourquoi avoir choisi tel mandataire financier, par exemple  ? ”  Elle était du Front national et elle était jolie fille, dit-il, je préfère une jolie fille qu’un mec pas beau.  “ Argument imparable. Comme son amour des meetings  : ”  On a fait tous les meetings possibles, se souvient-il, mais il n’y a jamais personne dans ces réunions, c’est histoire de boire un coup et de prendre un casse-croûte.  “ Les enquêteurs n’en sauront guère plus. D’ailleurs, M.  Chevallay n’a pas donné suite, non plus, aux courriers de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), lorsque celle-ci lui a demandé des précisions sur diverses irrégularités relevées. ”  Oui, j’en ai reçu, mais moi je les ai déchirés…  “, relate l’ex-candidat.

M.  Chevallay n’est pas un cas isolé. Procédant par échantillons, les enquêteurs se sont concentrés sur le Puy-de-Dôme, la Savoie et la Haute-Savoie, afin de mieux comprendre le système de financement mis au point par le FN pour les législatives de 2012. Ils ont souvent obtenu les mêmes réponses à leurs interrogations. Véronique Drapeau, candidate dans la 1ere circonscription de Savoie, s’est souvenue  : ”  Nous avons été obligés de prendre l’expert-comptable de Paris  “, convenant avoir ”  signé plusieurs documents  ” sans en ”  avoir pris connaissance  “.

Les enquêteurs sont repartis avec le vague sentiment d’avoir été menés en bateau. ”  Nous avons pu constater que les derniers candidats perquisitionnés et entendus semblaient nous attendre et connaître à l’avance les  réponses à nos questions  “, relève ainsi une capitaine de police, le 10  avril 2014, dans un rapport adressé à sa hiérarchie.

Mais certaines langues se sont déliées. Tout est parti du courrier d’un certain Gérald Perignon, candidat dans le Puy-de-Dôme. Juste après les élections, il reçoit un chèque de 17  400  euros sur son compte personnel. En préfecture, on lui indique qu’il s’agit là du remboursement de sa campagne, qui ne lui a coûté que… 450  euros. Il avait consenti un prêt auprès de la structure Jeanne, sans même s’en rendre compte. Et pour cause  : sa signature avait été contrefaite. Etonnement, énervement  : il écrit le 2  février 2013 à la CNCCFP, et rappelle que sa fédération frontiste lui avait dit ceci  : ”  que je faisais chier de téléphoner à Paris ou à la préfecture au sujet de cette somme et que je devais la renvoyer à l’association Jeanne sans me poser de questions.  “

La Commission s’en pose, elle, des questions. Le FN, en  2012, a opté pour un financement mutualisé de ses candidats en leur imposant des ”  kits de campagne  “. C’est l’entreprise Riwal, dirigée par M.  Chatillon, très impliqué dans Jeanne, qui fournit le matériel.

Le 2  mai 2012, dans un mail adressé à ses sous-traitants imprimeurs, il lance la campagne et précise ceci  : ”  Je vous donne la version définitive des kits de campagne auxquels doivent souscrire tous les candidats.  “ Autre obligation, les candidats doivent faire appel aux services de l’expert-comptable parisien Nicolas Crochet, co-commissaire aux comptes de Jeanne.

” Situations inacceptables “Le 28  mars 2013, la CNCCFP dénonce auprès du parquet de Paris la ”  complexité du montage  ” qui peut “  certainement conduire à des situations inacceptables  “. Pour la Commission, les ”  deux organismes Riwal et Jeanne ne sont que des émanations directes du Front national  “. Du coup, les ”  prestations sont unilatéralement arrêtées par le parti  “, et les ”  dépenses facturées peuvent être surévaluées  “. Dans les mois suivants, la brigade financière examine les bilans de Riwal et Jeanne. Selon Tracfin, l’organisme antiblanchiment de Bercy, Riwal a enregistré ”  entre avril  2012 et janvier  2014 des mouvements créditeurs provenant  pour une large part de Jeanne, à hauteur globale de près de 7  millions d’euros  “. Les responsables du FN tentent de s’en expliquer auprès de la CNCCFP. En pure perte.

D’autant que les policiers relèvent les marges bénéficiaires importantes obtenues par Riwal  : 2,43  millions d’euros, jusqu’à 44,5  %, selon les calculs des assistants spécialisés du pôle financier. ”  Je suis une entreprise privée donc je fais les marges que je veux  “, se justifie devant les policiers M. Chatillon. Les imprimeurs, eux, n’ont pas eu le choix. Le système choisi leur est expliqué dans un salon de réception, près de Nanterre, en présence des Le Pen père et fille.

Jean-Philippe Tauran, président d’Imprimatur, s’en souvient devant les enquêteurs  : ”  On nous a expliqué qu’il y aurait une société en charge de la gestion des documents électoraux, à savoir Riwal, et que c’était à prendre ou à laisser.  “ Riwal n’est pas la seule structure à profiter du système. Nicolas Crochet, l’expert comptable, empoche pour sa part 657  630  euros pour la campagne des élections législatives, ”  un montant particulièrement important  “ pour la justice.

Dans un rapport de synthèse, la brigade financière dénonce des ”  faux et des documents antidatés ayant permis un remboursement par l’Etat d’un montant apparemment plus élevé que le coût réel, et ce de façon systématique  “. Les juges parlent désormais de ”  manœuvres frauduleuses  “.

Gérard Davet et Fabrice Lhomme