Luc Ferry : le sadisme, la pensée 68 et les intellectuels gâteux.

FIGAROVOX/EXTRAITS – A l’occasion de l’exposition consacrée au marquis de Sade, au musée d’Orsay, notre chroniqueur s’inquiète du retour en grâce d’une pensée soixante-huitarde pourtant dépassée.


Luc Ferry est philosophe et ancien ministre de l’Education nationale.


Nous ne nous en étions pas rendu compte, pauvres niais que nous sommes, mais ce qui menace la France et le monde aujourd’hui, ce ne sont nullement les fanatiques religieux qui égorgent leurs semblables, pas davantage les politiques menteurs et indélicats ni la montée des incivilités, des trafics de drogues et des violences physiques dans nos établissements scolaires, encore moins la déliquescence des quartiers ou l’explosion des communautarismes. Non, vous n’y êtes pas! Ce qui menace le pays, c’est l’inquiétant retour de «l’ordre moral», la sournoise montée en puissance d’exigences éthiques que la société bourgeoise voudrait à nouveau faire peser sur les individus.

L’urgence est donc à la réhabilitation des vrais salauds, pas les petits joueurs façon Daech, mais les purs et durs, à commencer par le patron, Sade en personne, devant lequel les héros fatigués de 68 courent s’agenouiller au Musée d’Orsay, comme autrefois les bigots à la messe.

Pour bien comprendre ce qu’on y célèbre, faites l’effort de lire vraiment Sade. Ne vous laissez pas détourner par la comptine gentillette selon laquelle le bonhomme n’aurait été qu’un joyeux luron, choquant son siècle par ses écrits transgressifs et libertins, des œuvres qui n’auraient guère été plus qu’annonciatrices de la libération sexuelle. Ne vous limitez pas non plus à ses seuls écrits, regardez aussi du côté de sa vie. Lisez l’ouvrage que lui consacre Michel Onfray (La Passion de la méchanceté, chez Autrement). Vous y verrez que Sade n’a rien d’un sympathique libertin, rien non plus d’un grand penseur, d’un philosophe subversif qui aurait ouvert la voie à la généalogie nietzschéenne de la morale. Non, disons le mot, c’est une authentique ordure, un tortionnaire minable et sanguinaire à côté duquel les mises en scènes horrifiques des talibans que relate Timbuktu, le beau film de Sissako, ne sont qu’épigonales. À l’encontre du discours lénifiant qui provoquait de délicieux frissons dans un Quartier latin convaincu que la révolution consistait à «choquer le bourgeois», ce ne sont nullement ses écrits qui valurent à Sade ses vingt-sept années de prison, mais bel et bien ses actes, à commencer par les sévices atroces qu’il infligea à ses victimes…