En janvier dernier, la ville chinoise de Wuhan, capitale de la province du Hubei, devient la première la ville au monde à se voir imposer un confinement pour lutter contre la propagation du nouveau coronavirus.

Du fait de la censure qui sévit en Chine, et du manque de transparence des autorités vis-à-vis de l’ampleur de la pandémie, cette période cruciale reste à bien des égards un mystère.

Un journal intime écrit par l’autrice chinoise Fang Fang, écrivaine renommée et habitante de Wuhan, permet de combler une partie de cette histoire manquante, un rare aperçu de la ville où le virus est apparu pour la première fois.

Le quotidien d’une quarantaine

Wuhan, ville close dresse le portrait de la vie quotidienne, de la peur, de l’angoisse, et des frustrations des 9 millions de citoyens de Wuhan lors du confinement draconien imposé à la ville. Le coût humain très élevé de ce confinement radical n’a pas fait reculer le pouvoir autoritaire chinois, prêt à tout pour montrer sa capacité à limiter la propagation du virus et à juguler l’épidémie.

Guidée par le besoin d’apporter son témoignage sur les moments les plus sombres vécus par les habitants de Wuhan, et de briser le silence imposé par les autorités, Fang Fang a tenu un journal quotidien. Le publiant en ligne, malgré la censure et les attaques de certains internautes qui remettaient en cause les motivations de l’écrivaine. On pouvait ainsi lire sur les réseaux sociaux chinois :

Je considère sérieusement que tu es une traîtresse”

Tu seras la honte de l’histoire”.

Attaquée pour la publication à l’étranger

Malgré le ton modéré de son journal – elle a, plusieurs fois, clairement affiché se positionner “avec le gouvernement” –, elle n’a pas été épargnée par des attaques violentes et vulgaires.

Des attaques qui ont redoublé depuis le 6 avril dernier, jour de l’annonce de la publication programmée de son journal à l’étranger par les maisons d’édition américaine Harper Collins et allemande Hoffmann und Campe. Depuis cette date, l’auteure est considérée comme l’ennemie du peuple par certains Chinois.

Nous avions traduit en février dernier des extraits de son journal en ligne.

Au-delà des polémiques, ses récits quotidiens – ses frustrations avec l’administration et l’enfermement, ses craintes pour sa famille et sa lutte pour obtenir des ressources pour faire face au virus – ont résonné auprès de nombreux Chinois.

Lire au plus vite, avant l’effacement par la censure

Les différents billets du journal en ligne de l’écrivaine de 65 ans ont été lus par des millions de personnes en Chine. Face à l’incertitude, l’incrédulité et la frustration, les gens se sont tournés vers ce récit, écrit avec un style simple, direct, empathique et sincère.

Quelques jours avant la sortie de son livre en France, Fang Fang a répondu à nos questions depuis son domicile, confiant notamment que “certains articles postés après minuit étaient bloqués dès le lendemain matin” :

Les lecteurs s’empressaient donc de les lire durant la nuit, car ils craignaient de ne pas pouvoir les retrouver le lendemain.”

Scrutés par les censeurs, les voix et témoignages du déroulement de la vie sous confinement dans cette ville de 9 millions d’habitants étaient en effet systématiquement effacés des réseaux sociaux.

Des journalistes citoyens et intellectuels chinois ont été censurés ou arrêtés après avoir partagé des informations sur l’épidémie, ou après avoir demandé au gouvernement de ne pas placer la politique au-dessus de la santé publique et d’être plus transparent dans la gestion de la crise.

Lors d’un entretien publié par le journal Caixin Wang en avril 2020, Fang Fang qualifiait son récit de “journal écrit par une habitante ordinaire d’une zone infectée”.

Peu m’importe que cela leur déplaise [aux autorités] ! J’ai été cloîtrée chez moi tant de jours ; 9 millions de Wuhanais ont été confinés chez eux comme moi, 5 millions n’ont pas pu regagner leur domicile, et on compte tant de victimes à cause de cette catastrophe…”

À la veille de la publication en France de son récit, elle nous a expliqué “croire au pouvoir des mots” :

Cette force est illustrée par cette expérience qu’est l’écriture de ce journal intime. Des dizaines de millions de personnes ont attendu pour lire sans dormir ! J’étais vraiment surprise. Pour la première fois, j’ai pleinement compris la puissance des mots.”

Le 29 février 2020, plus d’un mois après le début de la quarantaine, Fang Fang écrivait : “Le plus effrayant est d’avoir gardé le silence collectivement.”

Elle peut désormais être rassurée, car son histoire, publiée maintenant en plusieurs langues, sera partagée et conservée comme un précieux document, utile à la mémoire de l’une des épidémies les plus terribles ayant touché le monde dans l’histoire récente.

  • Wuhan, ville close, Stock, Paris, traduit du chinois par Frédéric Dalléas et Geneviève Imbot-Bichet