Tra arte e cucina – “entre art et cuisine” –, c’est ainsi que la galerie des Offices de Florence décrit Uffizi da mangiare [“Manger avec les Offices”], la série de vidéos gastronomiques qu’elle vient de lancer. Des chefs italiens y expliquent une recette inspirée par un tableau du musée, en présentant à la fois l’œuvre et le plat. Dario Cecchini [un célèbre restaurateur-boucher toscan] crée une costata alla fiorentina [côte de bœuf à la florentine] à partir d’un garde-manger rempli de gibier peint par Jacopo Chimenti ; Marco Stabile [un chef étoilé de Florence] transforme la Nature morte aux poivrons et raisins de Giorgio De Chirico en un risotto qui réunit dans une même assiette les ingrédients du tableau et les sensations que celui-ci provoque.

De savoureuses bouchées de culture

Si la cuisine a toujours été un sujet de peinture, les rôles sont de plus en plus inversés : les tableaux sont interprétés de façon comestible et partagés en ligne comme des bouchées à déguster. Pour tenter de remplacer le public absent [pour cause de pandémie et de restrictions sanitaires] par un public en ligne, les musées entreprenants mêlent le monde de l’art et celui de la cuisine.

Le Los Angeles County Museum of Art a lancé l’année dernière une série de vidéos trimestrielles intitulée Cooking with LACMA [“Cuisiner avec le Lacma”], qui présente des chefs, des historiens de la cuisine et des recettes inspirées de ses collections. Dans la première vidéo, Maite Gomez-Rejon, d’ArtBites, un site qui rapproche histoire de la cuisine et histoire de l’art, faisait une margarita au mezcal inspirée par la production de l’artiste mexicain Rufino Tamayo. On verra ce mois-ci un plat japonais suggéré par l’œuvre du peintre Nara Yoshitomo [la vidéo sera mise en ligne le 25 mai]. Vivian Lin, du Lacma, espère que les personnes qui verront ces vidéos “partageront recettes et nouveaux regards sur la peinture”.

Des cocktails à haute valeur cultivée

Les cocktails constituent une passerelle particulièrement appréciée en ces temps de pandémie, relève Mme Gomez-Rejon. Elle a travaillé à une série de vidéos qui réimagine les œuvres du Huntington, un musée californien, sous forme de boisson et autres. Le Museum of Fine Art de Houston a pour sa part transposé un autoportrait dépressif jaune de l’artiste tchèque Frantisek Kupka en boisson tropicale. La Frick Collection, un musée de New York, a lancé la série Cocktail with a Curator [“Cocktail avec un commissaire”], qui présente chaque semaine un film où ses experts associent un breuvage au thème ou à la région d’une œuvre d’art donnée.

La passion du monde de l’art pour la cuisine a commencé avant le Covid-19. Sorti l’année dernière, par exemple, le documentaire Ottolenghi and the Cakes of Versailles [“Ottolenghi et les gâteaux de Versailles”, inédit en France] relatait une réinterprétation de la cuisine française du XVIIIe siècle faite lors d’un luxueux banquet au Metropolitan Museum of Art, à New York. Ces récents programmes en ligne rendent cependant le mélange art-cuisine plus digestible pour le grand public. Et la tendance devrait se poursuivre après le confinement. Les musées doivent absolument élargir leur fréquentation, et la cuisine peut leur permettre d’attirer de nouveaux visiteurs et de coopérer avec de nouveaux partenaires. Elle “peut vraiment constituer un début sympathique pour les personnes qui ne sont pas très à l’aise avec l’art”, explique Elee Wood, du Huntington.

Des mets qui transportent

Plus important, comme le confie Mme Gomez-Rejon, “la cuisine elle-même est un art”. Comme l’art visuel, elle éclaire la culture qui la produit – et la juxtaposition de ces deux formes de créativité en enrichit la compréhension. Quand ils sont à leur sommet, la cuisine et la peinture vous transportent, vous présentent de nouveaux mondes et possibilités, que ce soit sur un mur, dans une assiette ou en imagination.

Prenez le blanc-manger que la pâtissière Debora Massari a préparé pour la série des Offices. À travers ce mets, qui a des racines dans la cuisine arabe et était servi à la table des Médicis, Debora Massari rend hommage aux portraits de mariage d’Agnolo et Maddalena Doni [exécutés par Raphaël au tout début du XVIe siècle]. Un anneau de blanc-manger recouvert de chocolat noir (représentant Agnolo) voisine avec un anneau recouvert de chocolat blanc et de [confiture de] citron (Maddalena). La recette s’inspire de l’art et de l’histoire pour créer quelque chose de délicieusement nouveau.