« L’émergence de Syriza rouvre le débat sur une autre politique ».

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Chercheuse associée à l’université de Lausanne et au Centre d’études européennes de Sciences Po Paris, Florence Johsua est docteure en sociologie politique.

Un succès de Syriza aux élections grecques de dimanche peut-il avoir une incidence en France ?

Alors que le gouvernement martèle qu’il n’y a pas d’alternative – Stéphane Le Foll l’a encore affirmé récemment –, la preuve serait faite qu’il existe bel et bien, à gauche, une alternative : celle d’un refus de la politique d’austérité. Cela favoriserait les nouvelles convergences qui se sont manifestées au meeting du gymnase Japy, lundi 19 janvier, autour du Front de gauche, d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) et d’une partie de la gauche du Parti socialiste. La victoire de Syriza constituerait de plus un bouleversement au niveau européen, une nouvelle donne. Elle légitimerait d’autres forces, comme Podemos en Espagne, et pourrait également renforcer les avancées de Die Linke, après son succès en Thuringe [un responsable du parti, Bodo Ramelow, est devenu président de ce Land allemand en décembre 2014].

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En quoi l’émergence de Syriza est-elle gênante pour le gouvernement et le PS, allié du Pasok (parti socialiste grec) ?

Son émergence rouvre le débat sur une autre politique économique et sociale. Rappelons-nous de 2005 : à gauche, deux positions s’opposaient déjà autour du contenu à donner à l’Europe. Un « non » de gauche au traité constitutionnel européen s’était exprimé avec force au référendum. Ce projet d’une Europe sociale et antilibérale reprendrait certainement de la vigueur en France – et ailleurs – si Syriza remportait les élections. Et il est probable que ce débat aura lieu quoi qu’il arrive : victoire ou pas, le poids politique conquis par Syriza reconfigure déjà les rapports de force en Europe. Certains laissent entendre que Syriza est en train de se recentrer, mais, pour l’instant, son discours est clair dans sa volonté de rompre avec les mémorandums.

L’échiquier politique français se recompose à gauche, avec des rapprochements entre le Front de gauche et une partie d’EELV. Est-ce comparable à la situation grecque ?

Oui, dans le refus d’une soumission à la politique d’austérité et d’atteinte aux droits sociaux imposée par les instances européennes. Non, parce que les situations économiques et la crise en Grèce et en France ne sont pas comparables. La Grèce fait face à un véritable désastre social. Le cadre institutionnel est aussi très différent. L’absence de proportionnelle aux élections en France a des conséquences fortes, et les institutions de la Ve République sont un élément de blocage pour le développement d’un pôle de gauche radicale au niveau électoral. Enfin, le champ politique est différent. Le Pasok s’est effondré en Grèce. Le PS est certes mal en point, mais il n’en est pas là.

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Syriza et Podemos représentent deux modèles différents. Lequel pourrait le mieux se transposer en France ?

Syriza est une recomposition réussie d’organisations politiques qui ont une histoire longue, une coalition de partis d’extrême gauche, de communistes réformateurs, de sociaux-démocrates et aussi de nouvelles générations militantes formées dans l’altermondialisme. Podemos est issu de la dynamique du mouvement d’occupation des places et des Indignés, ainsi que des mobilisations sociales qui ont eu lieu depuis 2011 en Espagne. C’est une formation récente qui a enregistré une arrivée massive de militants de gauche et de personnes non militantes, y compris sans expérience politique. La gauche radicale française, principalement structurée autour de partis politiques, est plus proche de Syriza. Mais chaque gauche radicale en Europe est spécifique, marquée par l’histoire nationale et par celle de ses forces politiques.

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Existe-t-il en France un terreau sur lequel pourrait émerger rapidement un mouvement similaire ?

Il y a en France un terreau social et économique favorable au mécontentement. Et la déception vis-à-vis de la politique menée par François Hollande et ses gouvernements successifs pourrait favoriser la gauche radicale. Mais plusieurs facteurs freinent cette émergence. Les partis de la gauche radicale sont divisés ; la rupture avec le PS demeure un point d’achoppement. Ensuite, les institutions et le régime présidentiel français sont un blocage considérable. La proportionnelle aux élections est un élément fort du développement de Syriza et Podemos. Enfin, en France, le vote protestataire est en grande partie polarisé par l’extrême droite. En Espagne et en Grèce, la mémoire de dictatures tardives freine sans doute sa progression, laissant plus d’espace à la gauche radicale. De plus, ce genre de recompositions politiques réussies sont souvent portées par un mouvement social d’ampleur à la base, elles ne se font pas ex nihilo. Une partie des nouvelles générations militantes en Espagne et en Grèce ont été formées avec l’altermondialisme et dans les mouvements d’occupations des places. Cela dépasse le champ partisan, c’est une différence importante avec la France.

  • Olivier Faye