Le récit du dérèglement climatique se réchauffe.

Le récit du dérèglement climatique se réchauffe

L’écueil principal de l’analyse des images consiste à autonomiser la part visuelle du message. Je suis moi-même tombé dans ce piège: en observant les représentations de la nouvelle grande peur, celle du dérèglement climatique, je concluais à l’impuissance de l’iconographie, comme si ce discours n’avait pas encore découvert ses motifs, comme s’il suffisait de trouver les bonnes icônes, dans un schéma de communication de type propagandiste ou publicitaire.

Le tournant récent dans le récit du réchauffement vient au contraire renforcer la thèse de la redondance iconographique: une nouvelle option visuelle est la traduction d’un renouvellement du récit. En comparaison avec la nouvelle trame narrative proposée par le New York Magazine, il apparaît que le récit de la menace climatique pêchait notamment par deux aspects: sa dimension trop fortement projective, situant l’urgence et le danger dans un futur abstrait, tout entier à imaginer; son insistance sur le dégel des pôles, entraînant une montée des eaux et la submersion des zones côtières, présentée comme l’effet principal à long terme du réchauffement – deux motifs unifiés par la figure de l’ours blanc, métaphore d’une disparition à venir et mobilisation paradoxale d’un imaginaire du froid.

Le nouveau récit du réchauffement renverse ces deux axes, en optant pour une mise au présent des bouleversements climatiques, déjà largement sensibles dans le quotidien des populations, et dont le rythme s’accélère; et par le déploiement d’un registre encore inédit: celui des effets de la chaleur, en particulier sur les organismes et sur les cultures. Comme j’ai pu le constater à la réaction de plusieurs amis confrontés à la synthèse française de l’article de David Wallace-Wells dans le magazine Usbek et Rica, commentaires peu nombreux en raison de la période estivale, mais toujours alarmés ou catastrophés, l’efficacité de ces nouveaux éléments de récit est tangible, et modifie radicalement la perception de l’urgence et de la nature des dangers du réchauffement.

Ces constats permettent également de mieux répondre à la question que se pose également David Wallace-Wells: celle de l’intérêt encore restreint et de l’impuissance figurative alléguée des industries culturelles, face à la peinture d’un enjeu aussi crucial. On peut soupçonner la dimension négative d’une catastrophe d’ampleur géologique de ne pas faciliter la mise en récit, là où le caractère positif d’une aventure comme la conquête spatiale favorisait une large exploitation éditoriale et cinématographique. Pourtant, le succès des récits post-apocalyptiques ou des films de zombies montre qu’un horizon assombri n’interdit pas un traitement épique.

The Day after Tomorrow, 2004.

En réalité, on voit bien que les industries culturelles ne font qu’extrapoler à partir des données scientifiques disponibles. Un film comme Le Jour d’après (The Day After Tomorrow, Roland Emmerich, 2004, d’après The Coming Global Superstorm, 1999), premier blockbuster climatique, qui illustre le réchauffement par une imagerie tempêtueuse et glacée, ne fait que déployer les éléments narratifs proposés par les spécialistes, soulignant leurs aspects contradictoires.

Interstellar, 2014.

Il faut attendre un film comme Interstellar (Christopher Nolan, 2014) pour observer la mobilisation des effets de la sécheresse sur l’agriculture, telles que les subissent déjà les paysans des régions équatoriales en Afrique. Mais de façon générale, on voit qu’il manquait un imaginaire de la «chaleur mortelle», selon l’expression de Wallace-Wells.

Dans les pays tempérés, la chaleur est traditionnellement associée aux vacances et à l’exode méridional, symbole de l’évasion vers un monde où il fait bon vivre. Cette vision semble appelée à évoluer rapidement, face aux nouvelles informations mises en exergue par le New York Magazine ou par Wired, qui citent des travaux récemment publiés dans Nature ou Scientific American, montrant l’augmentation des canicules et leurs conséquences mortelles, ou soulignant les limites de la thermorégulation de l’organisme.

Ainsi que l’explique Wired: «Pour comprendre comment le réchauffement climatique fait des ravages sur le corps humain, nous n’avons pas besoin d’être transportés dans une dystopie imaginaire. La chaleur extrême n’est pas un scénario de fin du monde, mais un phénomène présent, mortel – et qui empire de jour en jour».

Photo Lukas Schulze, illustration de Wired, juillet 2017.

Les raisons des effets limités de l’alerte climatique sont de natures diverses. Je n’ai par exemple pas encore vu discuter le rôle de masque joué par la généralisation de la climatisation aux Etats-Unis – pays que sa latitude expose déjà aux excès du réchauffement. Mais il apparaît plus clairement aujourd’hui que parmi ces raisons, il faut ranger les options du récit climatique elles-mêmes. Situés dans un avenir indéfini, trop abstraits, voire paradoxaux, les effets du scénario de submersion n’ont pas suffi à créer un sentiment de péril immédiat. C’est ainsi qu’on a pu voir se dérouler deux consultations électorales majeures, les élections présidentielles aux Etats-Unis et en France, sans que la question écologique, et encore moins celle du réchauffement, n’apparaissent comme des enjeux du débat.

Les années qui viennent permettront de vérifier si le réchauffement du récit climatique réussira à lui conférer le rang d’urgence vitale. Auquel cas, ce n’est pas un simple changement d’image qui aura favorisé cette mise à l’agenda, mais au contraire la production des représentations qui viendront illustrer le nouveau motif de la «chaleur mortelle».

 

Références