Le Michelin au Quai.

Jouez hautbois,résonnez musettes, la gastronomie française porte beau et hausse la voix. Sous les dorures et les lustres du Quai d’Orsay, le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, accueillait, lundi 2  février, le guide Michelin pour la sortie de l’édition 2015. Conférence de presse le matin, réjouissances en soirée avec le gratin des chefs étoilés et la fine fleur des chroniqueurs de radio casserole commentant les promotions et les sanctions du Bibendum. C’est l’année Yannick Alléno, arrivé en juillet chez Ledoyen et qui conserve les trois étoiles du restaurant, retrouvant celles qu’il eut durant six ans au Meurice.

La seconde promotion à trois étoiles de La Bouitte, le restaurant ” campagnard ” de René, le père, et Maxime, le fils, Meilleur, à Saint-Martin-de-Belleville, en Savoie, semble justifiée, de l’avis unanime du public. Sauf le mien qui n’y a jamais goûté. Alain Ducasse aurait, certes, aimé le même traitement au Plaza, en travaux durant quelques mois et rouvert en septembre  2014 avec un nouveau chef – Romain Meder – et un nouveau ” concept ” – la naturalité –, fondé sur la trilogie poissons, légumes, céréales. Michael Ellis, directeur international des guides Michelin, a salué, dans son propos, ces tendances vers plus de nature dans l’assiette mais pas au point d’accorder ce troisième macaron que le restaurant du Plaza détenait avant sa fermeture temporaire. Ducasse, en pleine activité diplomatico-gastronomique, s’en accommodera… à condition de le récupérer vite.

Dans le mercato des chefs, Christian Le Squer, passé de Ledoyen au George-V, en garde deux, Christophe Moret, de Lasserre au Shangri-La, a ramené les deux à une étoile. Jean-Georges Klein, le chef si discret de L’Arnsbourg (Moselle), a quitté l’adresse et sa sœur, disparaissant de la liste des trois étoiles. Installé à la maison Lalique voisine, il devrait prochainement retrouver son niveau. La sanction sera sans doute plus difficile à encaisser pour Jean-Michel Lorain, qui passe de trois à deux à la Côte Saint-Jacques, à Joigny (Yonne), alors qu’il s’apprêtait à faire d’importants investissements et avait dû se défendre de bénéficier d’une aide de la région. ” J’ai toujours dit que je ne me levais pas le matin en pensant aux étoiles du Michelin “, rappelle le chef sur son blog. Il risque à présent d’y penser un peu plus.

Projet Goût de – Good France

Disparition également de la dernière étoile de deux établissements historiques : Au Crocodile, à Strasbourg, et Charles Barrier, à Tours. On se réjouit de celle attribuée à David Toutain et à La Table d’Eugène, à Paris, au Jardin des plumes d’Eric Guérin, à Giverny. On regrette que Sven Chartier, à Saturne, ne soit pas récompensé, comme il aurait été logique de restituer à Bruno Cirino, le magicien de l’Hostellerie Jérôme, à La Turbie (Alpes-Maritimes), cette seconde étoile qui lui a été retirée en  2014. Ainsi va la vie du Michelin sous les ors du Quai d’Orsay où se trament, depuis quelques mois, de grandes manœuvres pour la défense et la promotion de notre gastronomie, trop souvent victime d’agressions étrangères de type anglo-saxon. Par sa présence et en ces lieux symboliques, le ministre a donné un relief particulier au guide Michelin, le plus grand guide gastronomique présent dans 24 pays, et appelé à couvrir le monde entier. Un guide, pas un classement qui n’est qu’un exercice marketing. Le magazine ” Le Chef ” vient d’ailleurs de publier le sien.

La gastronomie fait partie de notre identité. C’est aussi un facteur de rayonnement de la France : peu de pays disposent de produits aussi variés, d’une aussi grande qualité, et peu de pays possèdent une telle diversité de traditions culinaires régionales. Il est important de la faire connaître, de la promouvoir, de la faire vivre “, écrit Laurent Fabius en présentation du projet phare de cette nouvelle politique : Goût de – Good France.

Jeudi 19  mars, plus de 1 300 dîners seront proposés dans des restaurants sur les cinq continents afin de célébrer la gastronomie française en invitant le public à partager un ” dîner français “.

Alain Ducasse est la cheville ouvrière de cette opération inspirée des Dîners d’Epicure organisés au début du siècle dernier par Auguste Escoffier. Dans des dizaines de villes, ils rassemblaient des milliers de convives qui dégustaient, en même temps, un menu identique concocté par le maître cuisinier, ambassadeur avant la lettre de la gastronomie nationale.

Nul doute que Ducasse marche sur ses traces. A Laurent Fabius de se montrer à la hauteur de Talleyrand, l’homme qui réglait les traités en régalant.

JP Géné