Il y aura bientôt un quart de siècle, en 1991, quelques marchands parisiens imaginèrent de créer un Salon exclusivement consacré au dessin, et d’y inviter certains de leurs confrères étrangers. Depuis, l’initiative a fait tache d’huile : une autre foire s’est forgée, réservée aux feuilles contemporaines, et une Semaine du dessin s’est constituée autour d’une vingtaine de musées et d’institutions à Paris et en Ile-de-France qui sortent leurs plus beaux (et fragiles) papiers pour l’occasion.
C’est au Palais Brongniart que se tient la version originale, si on ose dire, de ces manifestations. Dix-neuf marchands français et vingt étrangers y montrent des œuvres anciennes, mais pas seulement. Il suffit de s’attarder dans le stand, à gauche en entrant, de Jean-Luc Baroni : sur les mêmes murs, trois siècles d’histoire de l’art. Un Tiepolo, un Ingres, un Gauguin, et un rare dessin de Francis Bacon, la messe est dite, il y en a pour tous les goûts.
C’est aussi sur ce Salon que sera remis à un dessinateur contemporain le prix Florence et Daniel Guerlain, créé par des collectionneurs. Là également que l’universitaire Claude Mignot va diriger deux après-midis d’études (depuis 2006, chaque édition du Salon accueille des rencontres savantes) consacrés à la place du dessin d’architecture.
Des nouveaux venusPetit à petit, la chose s’est sue. Les rares collectionneurs spécialisés (une quarantaine en France, quelques centaines dans le monde) ont vu déferler des hordes de nouveaux venus : en 2014, le Palais Brongniart a reçu 13 000 visiteurs en une semaine. Nombreux sont les conservateurs étrangers qui enchaînent désormais la Foire de Maastricht, qui s’est achevée le 22 mars, et ce Salon, qui ouvrait ses portes le 24 mars.
On y trouve des merveilles, et de belles surprises. Ainsi, si les hyperréalistes se cherchent un précurseur, qu’ils se penchent donc sur la jolie Eugénie Tranquilline, dessinée au crayon Conté en 1834 par son papa, Aubry Lecomte (1797-1858). Pour la galerie Talabardon & Gautier, qui la présente, il s’agirait d’une riposte à la photographie, qui en était pourtant à ses tout débuts, et bien loin d’atteindre une telle précision. Tout autre registre, chez Thessa Herold qui a déniché un Dali, Dormeuse, cheval et lion invisibles, un Chirico de belle cuvée (1913), et deux rarissimes Hannah Höch (1898-1978), une dadaïste berlinoise. On la verra toute nue dans le stand voisin, celui du Madrilène Guillermo de Osma, croquée par son compagnon Raoul Hausmann en 1916.
On pourrait poursuivre la litanie des découvertes : les Spilliaert du Bruxellois Derom, le Klimt et le Schiele du New-Yorkais Tunick, tel petit collage de Schwitters chez Zlotowski, les Irving Petlin et le Germaine Richier du Suisse Ditesheim, qui fut l’associé valeureux du légendaire Jan Krugier, ou encore le dessin assez cochon de ce merveilleux sanglier que fut Paul Rebeyrolle, que présente Brame et Lorenceau. Mais il faut faire une mention spéciale au stand du britannique Marlborough, avec un ensemble remarquable d’Avigdor Arikha, dont on aimerait bien un jour voir une grande rétrospective.
De son côté, Drawing Now, Salon du dessin contemporain, est en train de devenir l’une des manifestations les plus intéressantes du marché parisien, et la plus propice aux découvertes.
Soixante-treize galeriesDes soixante-treize galeries réunies au Carreau du Temple, près de la moitié ne sont pas françaises. Un cinquième est là pour la première fois, et le secteur dit Emergence, dédié aux nouvelles et nouveaux venus, regroupe vingt-deux galeries, plus du quart du total, bien plus que la FIAC n’en admet au Grand Palais. Mais la différence avec la FIAC tient à ce simple fait : Drawing Now étant réservé aux travaux sur papier d’aujourd’hui, la plupart des œuvres proposées sont à des prix qui seraient dérisoires là-bas. Il s’ensuit qu’elles se prêtent mal à la spéculation, et que cette foire sent moins fort l’argent que d’autres. On y a vu une collectionneuse acquérir un livre ruiné de Stéphane Thidet chez Aline Vidal sans se demander si l’investissement serait fructueux et si l’artiste figure dans les palmarès des ventes aux enchères.
On ne peut que lui donner raison, car les livres de Thidet sont, en effet, parmi les œuvres qui s’imposent au fil de la promenade. Chez la même galeriste, les reliquaires d’une nature sauvage menacée que compose Herman de Vries méritent autant d’attention. Comme le mur en hommage à Erik Dietman par Claudine Papillon, qui rappelle quel subtil artiste il était. Ou les griffures et épanchements de Rebecca Horn à la Galerie Lelong.
Ces artistes désormais reconnus en côtoient d’autres en devenir : Myriam Minhidou, philosophique tisseuse de mots et de fils, chez Maïa Muller ; Jean Bedez, topographe maniaque de lieux insensés, chez Suzanne Tarasieve ; Chourouk Hriech, autre topographe fascinée par l’architecture, chez Jean-Gabriel Mitterrand. Certains imposent leur singularité. Daniel Otero Torres, chez Marine Veilleux, est de ceux-là, comme l’onirique et inquiétante Nazanin Pouyandeh chez Vincent Sator et comme Jeanne Susplugas dont Valérie Bach expose des œuvres qui font rire avec des sujets déplaisants: maladies et phobies.
Harry Bellet et Philippe Dagen