La Somalie exporte son instabilité.

Combien de fois sa mort imminente a-t-elle été annoncée ? Harakat Al-Chabab Al-Moudjahidine (Mouvement de la jeunesse des moudjahidine), le groupe né en Somalie en  2006, plus connu sous l’appellation des Chabab, est une démonstration de résilience et de capacité d’adaptation.

Les troupes africaines de l’Amisom (Mission de l’Union africaine en Somalie) les ont chassés de leurs fiefs ; leurs deux derniers chefs ont été tués par des frappes américaines ; nombre de combattants ont été tués ou ont fait défection ; la perte des ports qu’ils contrôlaient a amoindri leurs ressources financières. Et pourtant, les Chabab s’avèrent toujours capables de mener des attaques meurtrières en Somalie et dans les pays d’Afrique de l’Est qui les combattent.

Un commando de quelques hommes armés de fusils, profitant des insuffisances des services de sécurité locaux, a suffi pour plonger par deux fois le Kenya dans l’effroi (en septembre  2013 avec l’attaque du centre commercial Westgate de Nairobi et le 2  avril avec celle de l’université de Garissa).

” Les Chabab sont affaiblis mais plus dangereux, estime Ken Menkhaus, professeur à l’université de Davidson aux Etats-Unis. Leurs défaites les ont poussés à changer de tactique. Maintenant qu’ils n’administrent plus de territoires, ils mènent une guerre asymétrique qui ne coûte pas cher. “

En Somalie, les djihadistes affiliés à Al-Qaida frappent en priorité des cibles officielles (le 27  mars, un attentat dans un hôtel de Mogadiscio a fait 14 morts dont l’ambassadeur de Somalie en Suisse) alors qu’en Afrique orientale leur politique de terreur vise directement la population. Les chrétiens sont tués en priorité, et les musulmans autant que possible épargnés : déchirer le fragile tissu des relations entre communautés religieuses fait partie de leur objectif.

Stratégie d’expansionMouvement somalien qui a toujours su attirer des étrangers, les Chabab se sont engagés depuis plusieurs années dans une stratégie d’expansion régionale. ” Pour eux, les frontières n’existent pas ou sont illégitimes. Ils considèrent que toutes les zones de peuplement musulman en Afrique de l’Est sont un champ de bataille. Le massacre de Garissa contenait un message : “Ce sont des terres musulmanes où les chrétiens et le gouvernement kényan n’ont aucun droit, analyse le chercheur Matt Bryden.

Selon cet expert de la Somalie, la faible pression militaire de l’Amisom ces derniers mois a probablement offert aux hommes commandés par Ahmed Oumar Dirieh, le nouvel ” émir ” des Chabab, ” le temps et l’espace pour préparer des attaques. “

Des cellules djihadistes existent en Ouganda, en Tanzanie, à Djibouti, selon des sources régionales, mais c’est au Kenya que l’emprise est la plus préoccupante. ” Les Chabab ne sont plus une menace transfrontalière mais une menace intérieure, prévient Ken Menkhaus. Ils recrutent parmi la communauté somali kényane, les musulmans originaires de la côte mais aussi des jeunes chrétiens désœuvrés. “ La marginalisation de la minorité musulmane et la pauvreté sont une piste d’explication, mais elle ne suffit pas. L’un des assaillants de Garissa était un fils de bonne famille, diplômé en droit.

” Après chaque attaque, on évoque un changement de stratégie des Chabab, conclut Matt Bryden. Je crois que leur stratégie est stable, cohérente et qu’ils la poursuivent avec détermination. Le problème est que la réponse internationale se concentre sur le prisme de l’antiterrorisme et manque de dimension politique. On ne peut pas être focalisé uniquement sur le militaire lorsque l’on combat une idéologie. “

Cyril Bensimon, infographie : Flavie Holzinger, Véronique Malécot