Il jouait sur tous les tableaux.

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Yves Bouvier, le roi des ports francs, est accusé d’escroquerie par l’oligarque russe Dmitri Rybolovlev. L’homme d’affaires suisse aurait détourné des sommes colossales grâce à la vente de Picasso, Modigliani, Rothko… Une affaire qui révèle les dérives d’un marché de l’art dérégulé

Le 25  février à Monaco, le Suisse Yves Bouvier, figure du marché de l’art, croit avoir rendez-vous avec l’un de ses clients et amis, le milliardaire russe Dmitri Rybolovlev. Il est accueilli par la police monégasque, menotté, et, au terme de 72  heures de garde à vue, mis en examen pour ” escroquerie ” et ” complicité de blanchiment “. Dmitri Rybolovlev avait appris qu’un tableau acheté pour lui par Yves Bouvier – Nu couché au coussin bleu, de Modigliani – n’avait pas coûté les 118  millions de dollars (111  millions d’euros) qu’il avait payés, mais seulement 93,5  millions, et le soupçonnait d’avoir empoché quelque 24  millions sans le lui dire. Dans la plainte qu’il a alors déposée, et que Le Monde a pu consulter, il apparaît blessé par ce qu’il considère comme une trahison. Rybolovlev invitait son ami suisse dans ses chalets à Gstaadt ainsi qu’à toutes ses fêtes d’anniversaire, ” même celles qui ne rassemblaient que les plus proches “

Dmitri Rybolovlev, 48  ans, né à Perm, en Russie, a fait des études de cardiologie avant de s’intéresser au commerce de la bière, puis à la production de matières premières. Lors de la vague de privatisations que connaît la Russie de Boris Eltsine, il achète des mines de potasse et acquiert la majorité des parts de la société Uralkali, un géant de l’industrie chimique. Deux ” accidents de parcours ” – une accusation de meurtre qui lui vaut de passer onze mois en prison avant d’être blanchi, et une inondation dans l’une de ses mines qui provoque un désastre écologique – ne freinent pas son irrésistible ascension. Il fait cependant des envieux, parmi lesquels le vice-ministre russe Igor Setchine. Rybolovlev vend ses parts en  2010 à un proche de ce dernier, et s’installe en Suisse avec femme et enfants, lesté d’une fortune estimée à 6  milliards de dollars.

Aujourd’hui, elle serait plus proche de 8  milliards (Forbes le classe 156e fortune mondiale), si un tribunal suisse n’en avait accordé la moitié à son épouse Elena lors du divorce le plus cher de l’histoire – le milliardaire a fait appel. Délaissant l’ingrate Helvétie, Rybolovlev s’installe à Monaco en  2011, et s’offre, entre autres, le club de football de la principauté. ” Il y a trois endroits au monde où je peux faire ce que je veux : chez moi à Skorpios – l’île grecque qu’il a achetée à l’héritière d’Aristote Onassis – , à Chypre – il a été actionnaire de la Bank of Cyprus – et à Monaco “, dit-il, selon des propos rapportés par Nice-Matin. A Monaco, il possède encore des parts de la Société des bains de mer et la résidence La Belle Epoque, ancienne propriété de feu le banquier Edmond J. Safra – 2 000  m2 au bas mot.

Un vrai couteau suisseYves Bouvier vient d’un autre monde. Né en  1963, il a tout du bon Suisse, discret et travailleur. Epis blonds, diction lente, le Genevois cultive sa ” Suisse attitude ” : il boit de la camomille, porte des chemises simples, des costumes gris. Il est le patron de Natural Le Coultre, une société de transport plus que centenaire, dirigée par son père, qui y débuta comme apprenti. Quand il reprend l’affaire, en  1997, Yves Bouvier a la riche idée de se concentrer sur le transport et le gardiennage d’œuvres d’art. Car le groupe profite de l’envol du marché : de 400  m2 en location aux Ports francs de Genève, Natural Le Coultre est passé à plus de 20 000  m2 aujourd’hui, entreposant près d’un million de pièces d’art.

Les Ports francs sont la clé de son succès. Des entrepôts très sécurisés où sont stockés des biens de valeur, exemptés de taxes et de droits de douane le temps de leur séjour. La chose est parfaitement légale – le canton de Genève est actionnaire à 87  % des Ports francs –, même si l’opacité qui y règne commence à inquiéter les autorités. Yves Bouvier en a exporté le concept. Avec divers associés, il a créé un port franc d’environ 30 000  m2 à Singapour, un paradis fiscal dont il est résident depuis 2008, un au Luxembourg de 22 000  m2, et en prévoit deux autres à Shanghaï et à Pékin – ce dernier devant avoisiner les 120 000  m2.

Le principe ? Yves Bouvier le décrivait au quotidien genevois Le Temps, en  2014 : ” C’est un hub, une sorte de grande gare “, où il fait travailler des encadreurs, des restaurateurs, des photographes, des experts, tout ce dont les collectionneurs ou les marchands ont besoin, jusqu’aux salles d’exposition. Un système très astucieux dans lequel la confidentialité est la règle. Il aurait pu s’en tenir là, mais Yves Bouvier est un vrai couteau suisse : transitaire, marchand, organisateur de foires et d’expositions, mécène… Entrepreneur dans l’âme, il lance ainsi, par le biais de sa société ArtCultureStudio, des foires d’antiquaires à Moscou en  2004, puis à Salzbourg en  2009.

C’est cet homme aux multiples activités connectées au marché de l’art que Dmitri Rybolovlev rencontre en  2003, à Genève. Une femme sert d’intermédiaire, Tania Rappo. Elle a le profil idéal : suisse, russophone, résidente monégasque, courtière en art. Amie du couple Rybolovlev, elle est également la marraine de leur fille cadette. Elle aussi a été arrêtée le 25  février, en même temps que Bouvier, et mise en examen…

Désireux de constituer une collection, Rybolovlev voit en Bouvier l’homme qu’il lui faut. Il ne se trompe pas. En un laps de temps très court, le Suisse lui procure des œuvres de grande qualité. Des chefs-d’œuvre, même, difficilement accessibles, à en croire des figures de la profession.

” Je n’ai connaissance que de trois tableaux que Bouvier a vendus à Rybolovlev, et ils sont très beaux. Admettons que le Russe ait surpayé de 20  %, il a constitué, en huit ans, une collection formidable à un prix à peine trop cher “, estime Daniel Malingue, un marchand très respecté de l’avenue Matignon. Avis partagé par l’expert Jérôme Le Blaye : ” Sur trois objets que je connais un Gauguin, un Cézanne et une sculpture de Rodin -, le client russe n’a pas fait de mauvaises affaires. A ce niveau, il faut payer pour faire sortir les objets. A qualité égale, les Qataris – réputés acheter des chefs-d’œuvre au prix fort – ont payé plus cher. “

Au total, Yves Bouvier aurait vendu à Dmitri Rybolovlev trente-sept œuvres pour 2  milliards de francs suisses (1,9  milliard d’euros), dont Salvator Mundi, un tableau récemment attribué à Léonard de Vinci, et Les Noces de Pierrette, un Picasso de la période bleue, célèbre pour avoir été vendu 300  millions de francs en  1989, record mondial à l’époque.

Quel est le cœur du conflit entre les deux anciens amis ? Dmitri Rybolovlev était persuadé, selon son avocate, qu’Yves Bouvier agissait comme conseil et intermédiaire ; il lui versait d’ailleurs pour cela 2  % du montant de chaque transaction. Mais qu’il n’était pas le vendeur des œuvres. En revanche, David Bitton, l’avocat genevois d’Yves Bouvier, soutient que M.  Rybolovlev était parfaitement au courant que le Suisse était un ” vendeur, et pas un intermédiaire “, c’est-à-dire qu’il allait encaisser des marges – de 20  % à 30  % sur chaque toile vendue. Toute la question est de savoir quel était le statut de Bouvier… Comme l’explique Anne Laure Bandle, juriste et directrice de la Fondation pour le droit de l’art à Genève, ” si une personne agit comme un courtier, elle a un devoir de fidélité envers son client. Si elle n’annonce pas qu’elle touche une commission lors de la transaction, elle risque bien de violer ses obligations de mandataire “.

Un ” séisme ” dans le marché de L’artSur le plan juridique, l’affaire se jouera là. Or, les éléments du dossier semblent accablants pour le Suisse. Dans un courriel à Mikhail Sazonov, l’homme de confiance de Dmitri Rybolovlev à Genève, Yves Bouvier écrit, le 3  avril  2008, au sujet de l’achat de La Sœur de l’artiste, de Picasso : ” Après une longue et difficile négociation, je suis à 42 – millions – . Le vendeur est âgé et a des soucis de cœur. ” Le Suisse laisse donc entendre qu’il y a bien un vendeur, et qu’il ne serait qu’un simple intermédiaire.

La dernière transaction entre les deux hommes traduisait déjà les soupçons, la méfiance et les tensions. Dmitri Rybolovlev n’a pas payé la totalité des 140  millions qu’il devait à Yves Bouvier pour un tableau du peintre américain Mark Rothko, N.6, Violet, Green and Red, que le Suisse aurait acheté 80  millions à des collectionneurs français, selon Tetiana Bersheda, l’avocate de l’oligarque russe. Une information que Bouvier ne dément pas. Pour récupérer son dû, ce dernier a vendu chez Sotheby’s un des tableaux de la collection du Russe, Au lit : le baiser, de Toulouse-Lautrec, sans le prévenir. Le Suisse aurait ainsi empoché plus de 14  millions d’euros, une somme qui ne compense pas ce que lui doit encore son client russe dans l’affaire du Rothko. ” Le Toulouse-Lautrec a été vendu avec l’accord de M. Rybolovlev, plaide l’avocat du Genevois. Il doit à ce jour plus de 40  millions d’euros aux compagnies de M.  Bouvier. “

Les sommes donnent le vertige, mais, dans ce qui reste un des derniers grands marchés non régulés de la planète, rien n’interdit à un revendeur de prendre la marge qu’il désire, pour peu que le client soit prêt à payer le prix demandé. Cette vision n’est toutefois pas partagée par certains tribunaux. Longtemps considéré comme l’un des dix conseillers les plus influents en Allemagne, Helge Achenbach a été condamné, en mars, à six ans de prison pour avoir escroqué une vingtaine de collectionneurs. Il lui est reproché d’avoir prélevé des frais indus lors de transactions, en plus d’une commission fixée à 5  %. Il aurait ainsi ponctionné 18  millions d’euros à feu Berthold Albrecht, héritier des supermarchés Aldi. En janvier, un tribunal de Düsseldorf l’avait déjà condamné à verser 19,4  millions d’euros à la famille.

Le Russe poursuit Bouvier pour ” escroquerie “, car le délit d’initié ” n’existe pas dans le marché de l’art “, explique son avocate Tetiana Bersheda. Mais pour elle, c’est bien de cela qu’il s’agit : Yves Bouvier utiliserait son métier de base – transporter, faire transiter, entreposer des œuvres d’art – pour ” exploiter des informations auxquelles il a accès à but d’enrichissement personnel “. De nombreux spécialistes pensent aussi que les agissements d’Yves Bouvier relèvent du conflit d’intérêts. Il est vrai que cette pratique est monnaie courante dans un marché de l’art dérégulé.

Le galeriste genevois Pierre Huber, qui loue quelque 2 000  m2 aux Ports francs, a confié à La Tribune de Genève du 28  mars : ” Yves Bouvier est censé veiller aux œuvres de ses clients. En toute confiance et confidentialité. Et non leur faire concurrence. Personne ne peut imaginer que l’un des principaux acteurs des Ports francs profite de sa situation privilégiée afin de devenir acheteur et revendeur. Il apparaît donc comme un négociant à part entière, fidélisant, grâce à une situation de quasi-monopole, une clientèle d’investisseurs dans un marché de l’art déjà bien opaque. C’est inacceptable. Et cela s’appelle un conflit d’intérêts. “ L’intéressé s’en défend : seules deux œuvres sur 37 vendues à Rybolovlev sont passées par le Port franc de Genève, explique-t-il au Monde. ” Faux, répond Tetiana Bersheda, toutes les présentations des œuvres se faisaient dans ce Port franc. Elles n’étaient pas dédouanées, elles ne pouvaient donc pas sortir de ce Port franc. “

Les avocats de M. Rybolovlev ne se sont pas contentés de saisir la justice monégasque. Ils ont demandé et obtenu le gel des avoirs de M. Bouvier à Singapour. Les locaux de ce dernier à Genève ont également été perquisitionnés par la police suisse. Aussi, quelle que soit l’issue de l’affaire, Le Temps n’avait pas tort : il s’agit d’un ” tremblement de terre “ dans le marché de l’art aux habitudes plus feutrées.

Car cette affaire a mis en lumière la guirlande de sociétés et d’activités d’Yves Bouvier pouvant agacer un milieu de l’art qui prise la discrétion. Elle pourrait aussi sonner le glas de certaines pratiques. Le Suisse, connu comme transporteur, faisait le marchand d’art par l’intermédiaire de galeries. Il avait par exemple confié Woman in the Garden, tableau de De Kooning, à la galerie genevoise Jacques de la Béraudière pour qu’il y soit vendu. Interrogé par Le Monde, ce dernier affirme cependant : ” Bouvier n’a aucune part dans ma galerie. Il ne m’a jamais vendu de tableau, et ne m’a jamais sollicité pour acheter. Je l’ai toujours considéré comme mon transporteur. “

Yves Bouvier est en tout cas partenaire de la galerie Gradiva, ouverte en  2014 à Paris. En un an à peine, cette enseigne financée par un consortium basé au Luxembourg a été acceptée, comme les plus prestigieuses, à la Biennale des antiquaires à Paris et à la Foire de Maastricht. Gradiva a aussi en partie financé la restauration d’un grand tableau de l’artiste américain Barnett Newman appartenant au Centre Pompidou. Le directeur de Gradiva, Thomas Bompard, s’est contenté de nous préciser : ” L’investissement dans Gradiva provient d’une structure située dans l’Union européenne. M.  Bouvier est investisseur dans cette structure. Je suis le seul décideur pour diriger l’activité de la galerie. “

Yves Bouvier possède encore des dizaines de sociétés domiciliées en Suisse, mais également aux Etats-Unis, à Singapour, à Hongkong ou dans les îles Vierges britanniques. Des sociétés offshore ? Il l’admet volontiers, même s’il trouve notre question ” fiscalement colorée “. Et précise : ” Le recours à une société offshore n’implique nullement une volonté de dissimulation au fisc. ” Rien qu’à Singapour, Le Monde a pu répertorier seize sociétés lui appartenant. Certaines sont liées aux ports francs, d’autres sont plus ” exotiques “, comme Sin Thirst Sin, fondée en  2012 avec uncapital de 100  dollars, qui fabrique des boissons énergisantes. Ou Agro88, dont il définit ainsi l’objet : monter ” des projets agricoles durables et bio afin de répondre aux besoins alimentaires croissants “.

Mélange des genresToujours à Singapour, Yves Bouvier est associé, à hauteur de 25  %, à Marc Restellini, le fondateur et directeur de la Pinacothèque de Paris. Le tandem doit inaugurer, le 29  mai, dans la cité-Etat, une réplique du lieu parisien. ” Yves m’a ouvert les portes pour ce projet. Mais il n’a jamais voulu avoir un rôle effectif “, affirme-t-il. La Pinacothèque parisienne abrite des œuvres de collectionneurs privés, qui par nature peuvent se vendre. Mais son directeur précise : ” Je fais signer un contrat aux collectionneurs pour que les œuvres ne soient pas vendues dans les cinq ans qui suivent le dépôt. “

La Pinacothèque de Singapour pourrait-elle, au contraire, devenir un gigantesque showroom ? ” Il est notoire dans l’art que les collectionneurs prêtent leurs œuvres aux musées partout dans le monde pour les mettre en valeur, répond Yves Bouvier. La Pinacothèque de Singapour, comme tous les musées, aura des chefs-d’œuvre en exposition permanente. Mais ne sera en aucun cas un showroom commercial ! ” Marc Restellini ajoute : ” Les collectionneurs qui font des dépôts ne m’ont pas été amenés par Yves. Là où peut-être il trouverait son intérêt, c’est que ces derniers pourraient vouloir déposer des œuvres au port franc de Singapour. “

D’après les documents SwissLeaks, Yves Bouvier a aussi été le gestionnaire de trois structures (Furniture and Fine Art Investors, East Coast Investors in Art et The Art Found Investment), ayant appartenu à l’antiquaire parisien Hervé Aaron. Refusant de répondre sur la nature de ces sociétés et le rôle qu’Yves Bouvier a pu y jouer, l’antiquaire nous a juste déclaré qu’elles ” sont fermées depuis longtemps “.

Si Yves Bouvier multiplie les holdings et les affaires, il a une petite garde rapprochée qui pratique, comme lui, le mélange des genres. D’abord Olivier Thomas, son partenaire dans le port franc du Luxembourg. Ce dernier a fait fortune dans les chevaux – grâce, dit-on, à un ticket gagnant de l’Euromillions en  2011, ce que l’intéressé ne confirme pas. Il a été l’un des principaux chineurs du marchand d’art parisien Philippe Cazeau, un ex-associé de Jacques de la Béraudière, avant sa mort, en  2007.Olivier Thomas fut aussi coactionnaire avec Laurent De Pass, de la Galerie du XXe  siècle, à Paris, qui a fermé ses portes. Jérôme le Blaye, qui y fut brièvement associé, s’en est retiré en  2005. ” Après huit ou neuf mois, j’ai voulu couper les ponts, car c’était l’antithèse de ma vision du marchand d’art “, dit-il.

En  2010, à l’occasion du Pavilion of Art &  Design, à Londres, le nom d’Olivier Thomas était associé à la galerie Nelombos, à Genève. Cette galerie joue un rôle-clé dans la galaxie Bouvier, puisque son propriétaire, Jean-Marc Peretti, est actionnaire minoritaire du port franc du Luxembourg. Quelques mois avant de créer Nelombos, en juin  2008, M.  Peretti avait été mis en examen dans l’affaire du Cercle de l’industrie et du commerce, un club de jeu à Paris. Aujourd’hui, on croise parfois Jean-Marc Peretti dans un bistrot parisien de la rive gauche, le quartier des galeries de Saint-Germain-des-Prés, où il s’adonne au gin – le jeu de cartes, pas la boisson. Dès que l’on évoque son passé, il se braque : ” Je n’ai pas eu de condamnation, j’ai un casier judiciaire vierge. ” Il a été auditionné dans l’enquête sur les démêlés de Bouvier avec Rybolovlev, et sa galerie Nelombos a été perquisitionnée par la police suisse. ” Je n’ai jamais rencontré Rybolovlev, et je ne lui ai jamais rien vendu en direct “, déclare M. Peretti. Mais a-t-il vendu à son ami Bouvier les œuvres qui ont atterri chez le milliardaire russe ? Il ne répond pas : ” Beaucoup de marchands ont travaillé avec Yves, moi pas plus qu’un autre. “

Quel impact ce conflit aura-t-il sur les activités multifacettes de Bouvier ? ” Cette affaire tue l’activité de mes sociétés de commerce, se plaint l’intéressé. Les ventes sont au plus bas et plus personne ne me contacte. Alors que nous avons fait du commerce sans aucun lien avec cette affaire pendant de nombreuses années. Je subis des dommages financiers très importants. “ Les dommages risquent surtout d’être collatéraux. Depuis le 2  avril, Yves Bouvier a dû se retirer de la gouvernance de la Luxembourg Freeport Management Company, qui gère le fonctionnement du port franc du Grand-Duché. ” Il a estimé que c’était dans l’intérêt de la société “, confie David Arendt, directeur du port franc.

D’après nos informations, plusieurs transitaires, dont un très gros opérateur allemand, rechigneraient à finaliser les contrats en cours, attendant les suites du conflit avant de se décider. ” Le Freeport n’a rien à faire ni de près ni de loin avec cette affaire, insiste David Arendt. Les reproches faits à Yves Bouvier sont aux antipodes de nos valeurs. “ Les proches de l’entrepreneur suisse restent pour le moment solidaires. ” Je n’ai pas de raisons de le virer parce qu’il est en rogne avec un Russe. Il y a une présomption d’innocence “, observe Marc Restellini.

Reste à savoir ce qu’il adviendra d’un grand projet français dont Yves Bouvier serait l’unique investisseur. Le Suisse devait engager 150  millions d’euros dans le pôle des arts du R4, qui doit ouvrir en  2018 sur l’île Seguin, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Ce chantier, confié à l’architecte Jean Nouvel, devrait réunir sur un même site des galeries, des ateliers d’artiste et d’artisan d’art, des salles des ventes et des réserves d’art dont une partie sera visitable. Directrice du R4, Nelly Wenger se veut rassurante : ” Le projet n’est en rien remis en cause. Plus que jamais, je suis mobilisée à la tête de l’équipe, avec un objectif clair : débuter les travaux avant la fin 2015. “ Mais elle refuse de dire s’il existe d’autres investisseurs que le très sulfureux Yves Bouvier.

Roxana Azimi, Harry Bellet et Marie Maurisse