Hortefeux et Sarkozy, une amitié sur le gril de l’affaire libyenne.

Depuis 1976, l’ex-ministre voue une admiration sans bornes à son mentor mis en examen pour un présumé financement illégal de sa campagne présidentielle de 2007.

 

Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux, son fidèle de toujours, lors de la campagne de 2007.

Il arrive plus souvent qu’on ne le croit de prendre des hommes politiques en flagrant délit de constance. Nicolas Sarkozy, par exemple. « Il a un principe, expliquait Brice Hortefeux, en 2005, à propos de leur relation : “Je te laisse faire, mais, si tu te plantes, tu assumes.” » C’est à peu de chose près ce que l’ancien président de la République a signifié à son vieux compagnon, treize ans plus tard, sur le plateau du « 20 heures » de TF1. Ce soir du jeudi 22 mars, Nicolas Sarkozy est venu se défendre dans le cadre de l’affaire libyenne, cette enquête sur un présumé financement illégal par le régime de Kadhafi de son épopée victorieuse lors de la présidentielle de 2007. « Brice Hortefeux est mon ami depuis tant d’années, je l’aime tendrement », a d’abord assuré l’ex-chef de l’Etat, mis en examen dans ce dossier pour « corruption passive », « financement illicite de campagne électorale » et « recel de détournements de fonds publics libyens ».

Le premier disciple du sarkozysme

Mais l’amour, a-t-on compris, n’est pas un blanc-seing, lorsque la justice frappe à la porte. « S’il a eu des rapports avec tel ou tel, il s’en expliquera, et je lui fais confiance. Mais je ne peux pas être moi-même accusé au titre des liens que j’ai avec tel ou tel, et de ce qu’aurait pu, ou pas, faire tel ou tel », a ajouté l’ancien chef de l’Etat. En clair, si son ami de quarante ans s’est « planté », notamment en fréquentant de trop près Ziad Takieddine, cet « intermédiaire sulfureux », ce « sinistre individu », cet « escroc », ce « déséquilibré », comme l’a agoni Nicolas Sarkozy sur TF1, ou en rencontrant des officiels libyens dans de mauvaises circonstances, il devra assumer. Seul.

Lire aussi :   Comprendre l’affaire de Sarkozy et la Libye en 2007

Beaucoup de téléspectateurs en ont tiré cette conclusion : il y avait du lâchage dans l’air. Brice Hortefeux, pourtant, assure qu’il n’en est rien. « Non. C’était un complément logique, étant moi-même entendu, j’ai des explications à fournir, ce sont les miennes », soutient-il. Si le sarkozysme était une religion, Hortefeux en serait le premier des disciples. En tête de la procession sur le chemin de croix. « Brice, vis-à-vis de Nicolas Sarkozy, c’est la fidélité absolue, à la vie à la mort. En politique, ça ne se voit pas tous les jours », loue son ami auvergnat Alain Marleix. Pas question de laisser un coin s’enfoncer entre eux, affaire d’Etat ou pas.

image: http://img.lemde.fr/2018/03/28/0/0/1772/1181/534/0/60/0/eded9d0_2018033145.0.2113718773Hortefeux_Sarkozy2_web.jpg

Brice Hortefeux au côté du nouveau patron de la droite, Laurent Wauquiez,le 27 janvier, à Paris.

Concernant Takieddine, Hortefeux reconnaît avoir eu des « relations cordiales avec lui » : « Je l’avais rencontré dans les années 2000, je le voyais épisodiquement (…). C’était quelqu’un qui n’était à cette époque-là absolument pas mis en cause et au contraire fréquenté par de nombreuses personnalités médiatiques, politiques, nationales et internationales. » En tout cas, qui ne s’était pas encore accusé lui-même auprès de Mediapart d’avoir rapporté de Tripoli 5 millions d’euros en liquide pour les remettre, entre fin 2006 et début 2007, en mains propres à Nicolas Sarkozy et à son entourage – l’ancien président de la République nie farouchement avoir reçu toute somme d’argent de sa part.

Lire aussi :   L’affaire Sarkozy et les millions présumés de la Libye en 2007 en dix dates-clés

Hortefeux, de son côté, dément tout autant s’être rendu en Libye avec Takieddine, le 6 octobre 2006, pour tomber d’accord sur un financement de la campagne sarkozyste à hauteur de 50 millions d’euros, comme l’affirme une note signée par le chef du renseignement libyen révélée par Mediapart. Les enquêteurs, qui ont entendu le député européen comme suspect libre, ne seraient en tout cas pas satisfaits de l’absence d’éléments matériels – agenda, factures de restaurant – permettant d’appuyer ses alibis ce jour-là.

« J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir concrétiser mon engagement aussi loin, de travailler auprès d’un président de la République que j’admire. Mais le prix à payer est très lourd. » Brice Hortefeux

Quand il évoque sa longue carrière politique passée dans l’ombre de Nicolas Sarkozy, l’élu dresse ce constat : « J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir concrétiser mon engagement aussi loin, de travailler auprès d’un président de la République que j’admire. Mais le prix à payer est très lourd. » Les deux hommes se sont rencontrés en 1976. Brice avait 18 ans et il est tombé sous le charme de Nicolas, 21 ans. Ils ne se sont plus quittés depuis. Hortefeux fut un fidèle ministre de Sarkozy, abonné aux besognes ingrates, à l’immigration, au travail, puis à l’intérieur. Lorsque son mentor a été battu par François Hollande, il en est resté le porte-parole officieux.

Puis quand l’ancien champion de la droite a tenté sans succès un come-back, lors de la dernière présidentielle, il est remonté sur son cheval. Et a chu avec lui. Mais le grognard a su tant bien que mal se relever. Il est devenu en début d’année « conseiller auprès » de Laurent Wauquiez, le nouveau président des Républicains (LR), ce qui pose un homme dans l’aristocratie du parti de la rue de Vaugirard, en tout cas en comparaison du simple titre de conseiller politique. Fort de méthodes héritées de l’ancien monde – un goût de la formule plus affûté que celui du tableau Excel – et d’un entregent réputé, il est parvenu à se faire respecter par la jeune génération à droite. « Brice Hortefeux, il me fait un peu peur, j’évite de trop le croiser, raconte un cadre de LR. Mieux vaut l’avoir avec soi : comme il parle beaucoup à la presse, il peut toujours y avoir un off qui laisse des traces. »

« Brice a toujours fait ce qu’il croyait le meilleur pour moi. » Nicolas Sarkozy

Brice Hortefeux, fidèle à ses marottes, conseille désormais Laurent Wauquiez sur les questions d’immigration – et approuve sa stratégie visant à siphonner les voix du Front national. Hier vilipendé pour son profil droitier, il s’amuse désormais, sur ce terrain-là, de sa tranquillité. « Les très à droite d’hier sont parfois les modérés d’aujourd’hui. C’est la société qui a évolué, pas moi, veut croire l’ancien ministre de l’immigration et de l’identité nationale. J’ai une image plus pondérée, grâce à l’expérience, aux coups reçus, aux échecs, aux succès. » Ce qui n’empêche pas « Brice le sage » d’appuyer une stratégie suicidaire, selon certains responsables du parti. « Wauquiez nous emmène sur la falaise d’Étretat, comme François Fillon avant lui, et Brice Hortefeux suit cette ligne pour des raisons plus personnelles qu’autre chose. Il veut son bureau, rester au Parlement européen », grince un poids lourd de LR.

Lire aussi :   Un apéro avec Brice Hortefeux : « Je passe pour un ovni en politique »

Dans le conflit qui a opposé Laurent Wauquiez à Nicolas Sarkozy, en février – le premier a accusé le second d’avoir mis ses ministres sur écoutes, avant de rétropédaler et de présenter ses excuses pour ses propos –, Hortefeux a dû jouer les casques bleus entre les deux hommes, et faire preuve d’un certain sens de l’équilibre. « S’il faut choisir entre Wauquiez et Sarkozy, il choisira Sarkozy, prévient néanmoins un dirigeant de LR. Laurent le sait et ne lui en voudra pas. » « Moi, quand je m’engage, c’est du début jusqu’à la fin », assure régulièrement l’intéressé. « Brice a toujours fait ce qu’il croyait le meilleur pour moi », déclarait Nicolas Sarkozy, en 2005. Cela ne s’est pas arrêté depuis cette date. Quel qu’en soit le prix à payer.