Faut-il être en panne d’inspiration, ou d’alternative, pour acheter des emprunts d’Etat français à 10 ans rémunérés à 0,9 % ! C’est pourtant le choix fait par de grands investisseurs mondiaux vendredi alors que le taux de la dette publique française chutait à un plancher historique de 0,896 %. Contre toute attente d’ailleurs, les OAT se révèlent comme l’un des meilleurs placements de l’année. Leur rentabilité va dépasser 24 %, car plus les taux baissent, plus le prix des obligations grimpe.
L’absence de croissance et d’inflation sur fonds de dégringolade des prix du pétrole ne plaide évidemment pas pour des taux élevés. En chiffrant à 30 % le risque de déflation et à 40 % celui d’une récession en zone euro, le FMI a aussi contribué à les faire reculer. L’Italie qui empruntait à 4 % début 2014 s’endette aujourd’hui à 10 ans à un peu plus de 2 %. L’Espagne fait mieux : 4,1 % début janvier, 1,88 % à la veille du week-end. Une aubaine pour ceux qui vivent à crédit, mais qui bouscule toutes les logiques puisque « la dette a augmenté et le niveau moyen des ratings a diminué » constate Vincent Juvyns, stratégiste de marché chez JP Morgan AM. Même les Etats-Unis défient les lois de la gravité : la croissance économique a accéléré cette année, conformément aux attentes. Mais les taux à long terme ont reculé, ce que personne n’avait prévu.
Vincent Juvyns explique ce phénomène par une « raréfaction de la ressource obligataire » qui crée un profond déséquilibre dans le marché. « Toutes dettes confondues, la demande mondiale a excédé l’offre de 500 milliards de dollars cette année, et le « gap » devrait encore atteindre 400 milliards l’an prochain ». S’agissant de la dette publique, d’un côté les investisseurs institutionnels sont à la recherche de placements à long terme réputés sûrs, et les banques centrales sont acheteuses dans le cadre de leur politique monétaire non conventionnelle. Si la Fed américaine vient de stopper ses interventions, le Japon et sans doute bientôt la BCE vont prendre le relais. De l’autre, les émissions sont moins abondantes à mesure que de grands pays, l’Allemagne notamment, parviennent à contenir leur endettement. « Cette situation crée un risque de liquidité sur le marché, la potentialité d’un krach obligataire augmente », constate le stratégiste de JP Morgan.
Nul ne sait évidemment d’où pourrait provenir l’étincelle, mais ce déséquilibre provoque évidemment des excès. « Dans les pays périphériques de la zone euro, les taux ont trop baissé, ils ne rémunèrent plus suffisamment le risque » estime Christophe Donay, chef stratégiste chez Pictet, qui s’inquiète de voir « de plus en plus de dettes et de moins en moins de croissance pour la financer ». La banque suisse est d’ailleurs en passe de revendre les obligations périphériques de son portefeuille. Mieux notée en dépit de la dernière dégradation de l’agence Fitch, la France échappe pour le moment au grand ménage de fin d’année. Espérons que 2015 sera aussi clémente…