Des petits bleus sur le tapis rouge.

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La scène, peu ou prou la même chaque année, se tient dans la salle splendide de l’UGC Normandie, sur les Champs-Elysées, à Paris, où le délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, et son tout nouveau président, Pierre Lescure, successeur de Gilles Jacob, annoncent, jeudi 16  avril à 11  heures, le programme officiel du 68e Festival.

Réunis derrière un petit podium blanc blasonné de la célèbre palme bleue, les deux hommes font assaut d’amabilité et se distribuent les rôles dans cet exercice délicat qui consiste à égrener, pour l’essentiel, des listes de noms et de titres. Mais, comme dans tout rituel, il faut bien cultiver l’art, hyperboliquement cannois, de délivrer avec un maximum de tenue, y compris le minimum syndical. Quelques surprises tout de même, et pas si anodines que cela.

D’abord, la première prise de parole publique du président Lescure, consacrée à une longue et lyrique énumération des sponsors privilégiés du Festival, de leur apport fondamental à la manifestation. Quand bien même nul n’ignore que l’argent est le nerf de la guerre, il semble que jamais le Festival de Cannes, contrairement à la plupart de ses grands concurrents, ne s’était permis, en pareilles circonstances, une telle manifestation de reconnaissance à son égard. Pierre Lescure, en grand professionnel, s’en acquitte avec aisance, ouvrant symboliquement son mandat sous le signe d’un accord assumé avec un état contemporain de l’art, où la frontière entre les puissances financières et celles de la création sont brouillées.

De fil en aiguille, on en arrive à l’essentiel, délivré par la voix blanche d’un Thierry Frémaux sortant de l’enfer de la dernière ligne droite. Mille huit cent cinquante-quatre films à voir, même avec l’aide de deux comités de sélection, ce n’est pas tout à fait rien. Il en ressort, cette année, selon le délégué général, une sélection officielle ” belle, nouvelle, qui formule des hypothèses, prend des risques, a l’ambition de dire des choses sur l’état du monde “. Soit moins de grands auteurs qu’à l’accoutumée, plus de têtes nouvelles, ainsi qu’une tendance sociale assez marquée, notamment parmi les films français qui se penchent sur ” les territoires désertés de la République “.

L’oracle annonce d’ailleurs une ” grande année française “, donc un ” choix d’autant plus difficile ” pour le délégué. La seule Compétition officielle, joyau du Festival, dont dix-sept titres sur vingt ont été annoncés, semble confirmer ces propos. Plusieurs groupes géographiques s’y distinguent. Quatre titres français qui s’ajoutent au film d’ouverture d’Emmanuelle Bercot (La Tête haute) : Dheepan, de Jacques Audiard ; La Loi du marché, de Stéphane Brizé ; Marguerite et Julien, de Valérie Donzelli ; Mon roi, de Maïwenn. Trois films italiens : Le Conte des contes, de Matteo Garrone ; Mia madre, de Nanni Moretti ; Youth, de Paolo Sorrentino.

Des stylistes  laissés dehorsLe continent asiatique est, lui, représenté par The Assassin, du Taïwanais Hou Hsiao-hsien, grand maître du cinéma, dont on fête le retour avec ce film d’arts martiaux historique après huit ans d’absence ; Mountains May Depart, du Chinois Jia Zhang-ke et Notre petite sœur, du Japonais Hirokazu Kore-eda. La sphère anglo-saxonne compte, elle, les Américains Todd Haynes (Carol) et Gus Van Sant (Sea of Trees, film americano-nippon avec Matthew McConaughey et Naomi Watts) ainsi que l’Australien Justin Kurzel, qui tourne son Macbeth.

Ce dernier est l’un des nombreux nouveaux élus au saint des saints de la compétition. Lui tiennent compagnie Valérie Donzelli, Stéphane Brizé, le Norvégien Joachim Trier (Louder Than Bombs), le Grec Yorgos Lanthimos (The Lobster), le Canadien Denis Villeneuve (Sicario), ainsi que le Hongrois Laszlo Nemes, ex-assistant du grand et ténébreux Béla Tarr, dont le mystérieux premier long-métrage (Saul Fia) appelle d’ores et déjà certaines précautions oratoires de Thierry Frémaux, le film mettant apparemment en scène son personnage principal dans un camp d’extermination.

Ce renouvellement laisse, en tout cas, dehors de magnifiques stylistes, notamment français, Philippe Garrel et Arnaud Desplechin au premier chef, dont les nouveaux films honoreront les rangs de la Quinzaine des réalisateurs.

Quant au dispositif multi-sectionnel entourant la compétition, il a de quoi satisfaire toutes les curiosités : depuis ” le vent frais de la jeune création internationale “ (dixit Thierry Frémaux) à Un certain regard, jusqu’aux phénomènes et légendes glanés ailleurs, de Barbet Schrœder évoquant, grâce à Marthe Keller, sa maman à Ibiza (Amnesia) en passant par le film de campus de Woody Allen (Irrational Man, avec Joaquin Phœnix en professeur de philosophie torturé), dont le sélectionneur avoue qu’il l’aurait bien intégré en compétition, mais qu’il s’est fait accueillir par un ” ricanement ” téléphonique.

On assistera encore aux débuts de réalisatrice de Natalie Portman (qui adapte le romancier israélien Amos Oz dans Une histoire d’amour et de ténèbres), au retour du hooligan George Miller (Mad Max, Fury Road), ou à l’avant-première du nouveau film d’animation de Pixar, Inside Out, piloté par Pete Docter.

Jacques Mandelbaum