De Tokyo à Pompidou, l’émoi du jeu.

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Se faire déglinguer au ping-pong dans les bas-fonds du Centre Pompidou ? S’offrir la crème électro des nuits berlinoises au cœur du Palais de Tokyo ? Cette semaine, c’est possible : il est temps de jouer ! Les beaux jours arrivant, et leurs envies de légèreté, deux institutions parisiennes en font le pari en mettant à l’honneur l’art de la performance et son lot d’inattendus.

Jusqu’au 12  avril, le Palais de Tokyo accueille le festival Do Disturb, autorisant 70 artistes à provoquer le désordre dans les moindres recoins du centre d’art. Quelques jours plus tard, le 16  avril, Pompidou enchaîne avec la sixième édition de son Nouveau Festival, qui met en friction pendant trois mois (jusqu’au 20  juillet) plasticiens, cinéastes, chorégraphes et autres facteurs de perturbation, autour de la thématique du jeu.

” Non au gagnant ! “Do disturb, ou ” veuillez déranger ” ? Trente-six heures, sur trois jours et deux nuits, ” d’élan dionysiaque “, promet le directeur du Palais, Jean de Loisy. ” Ce monde immatériel qui ne cesse de nous transformer, nous et le cœur de nos activités, rien ne l’exprime mieux que la performance, analyse-t-il. Cet art nous permet d’explorer les limites de ce que nous sommes, il passe par l’expression de soi en offrant ce que l’objet ne peut nous donner, faisant ainsi un pied de nez au marché. ”

En maîtresse de cérémonie, sa collaboratrice Vittoria Matarrese confirme : ” Ce festival est né d’une envie de déranger l’ordre établi. ” Rien ne pouvait mieux le signifier que l’invitation faite à Tania Bruguera, artiste d’origine cubaine, retenue depuis début janvier sur son île pour avoir voulu, lors d’une performance, donner libre parole à ses compatriotes. Privée de passeport, elle ne fera pas le voyage, mais une de ses ” actions “, à laquelle pourra participer le public, et dont le protocole ne peut être révélé à l’avance, ouvrira le festival.

Celui-ci se définit comme un joyeux mélange de rave punk et de radio communautaire, de cours d’arts martiaux et de jeu de balle privé de règles. Et encore ? Des plats concoctés non pour le plaisir du nez, mais pour son plus grand dérangement, à coups d’épices obscures. Une désorganisation radicale du parcours habituel (on promet des toilettes compliquées à dénicher). Le tout assuré par la crème des plasticiens coutumiers de la performance, tel Saâdane Afif donnant un concert, à Jochen Dehn, qui nous plonge à – 15  °C en gelant des bulles de savon.

La partie se poursuit à partir du 15  avril au Centre Pompidou, avec Un Nouveau Festival qui se proclame Air de jeu et, avec l’aide de plus de 200 artistes, investit galerie sud, cinémas, salle de spectacle et interstices du lieu, entre expositions et représentations live. ” Ce lien entre art et jeu est un véritable continent, un des fils rouges du dialogue entre l’art et l’avant-garde, jusqu’à aujourd’hui “, résume le conservateur, Michel Gauthier, aux manettes. Selon lui, ” l’apparition du jeu comme thème central semble être une des contreparties de la mort de Dieu : quand il n’y a plus de signifiant suprême, d’autorité, forcément le hasard entre dans la partie. Mais le jeu est aussi apparu comme compagnon des avant-gardes, il permet une forte remise en cause de l’académisme “.

De poétiques lancers de dés en roulettes diaboliques, de pokers interdits de bluff en échiquiers parasités, il s’agit de jouer, pour de vrai. Une petite partie de cartes pas comme les autres ? Fluxus, superbe collectif trublion des années 1960, a laissé en héritage mille boîtes à jeu, qu’il s’agit d’ordinaire de toucher des yeux sous vitrine. On se réjouit donc de la belle idée de l’école d’art d’Avignon, qui a conçu une vingtaine de répliques à manipuler à loisir, selon une unique règle, que rappelle Michel Gauthier : ” Chez Fluxus, c’est oui au jeu, mais non au gagnant ! “

Emmanuelle Lequeux