Akhenaton explore la planète musée.

 

Le rappeur du groupe IAM présente une exposition sur le hip-hop à l’Institut du monde arabe, à Paris

En  1989, Akhenaton et ses amis tiennent une réunion dans un petit salon de thé tunisien, dans le quartier de la Plaine, à Marseille. Il s’agit de trouver un nom au groupe de rap fondé par ce descendant d’immigrés napolitains – Philippe Fragione pour l’état civil – et ses copains d’origine malgache, algérienne ou sénégalaise. Ce sera IAM, pour ” Imperial Asiatic Men ” ou ” Indépendantistes Autonomes Marseillais “, suivant leurs passions, l’égyptologie et la ville phocéenne. Ce jour-là, le patron du café passe sur sa radiocassette un album du chanteur et compositeur égyptien Mohamed Abdel Wahab. Akhenaton, déjà beat maker (compositeur de rythmiques hip-hop), l’empruntera pour créer la musique du morceau Pharaon revient, qui introduira leur premier album, De la planète Mars.

Vingt-six ans plus tard, le 27  avril, Akhenaton inaugure l’exposition ” Hip-Hop, du Bronx aux rues arabes “, à l’Institut du monde arabe (IMA), en tant que directeur artistique. ” Commissaire, ce n’est pas très hip-hop “, commente le quarantenaire, parisien depuis 2012. Culture américaine, langue locale et musique orientale : le cocktail a aujourd’hui les faveurs des jeunes dans les pays arabes. Jusqu’au 26  juillet, le parcours proposé par le leader d’IAM mènera des quartiers de New  York à ceux de Ramallah, en Cisjordanie, en passant par Marseille. Il n’a pas voulu d’une exposition didactique et d’un panorama exhaustif. Le rappeur a l’oeil brillant quand il en parle : ” Pour tout exposer, il aurait fallu quinze fois la surface de l’IMA. J’ai plutôt mis l’accent sur l’accessibilité du hip-hop, son ouverture d’esprit, la transmission, le partage… “

” il n’y a pas d’expert “

En chantier depuis deux ans, le projet n’a pas été facile à monter. Les mécènes de l’IMA ne se sont pas précipités, mais le Marseillais a pu compter sur les pionniers de la culture hip-hop en France : les graffeurs JonOne, Jay One, Mode 2 ou Noe Two, l’ancien programmateur de Radio Nova Thierry Planelle.

Il s’est également appuyé sur les deux autres commissaires de l’exposition, Aurélie Clemente-Ruiz et Elodie Bouffard, qui ont glané de nombreuses oeuvres – vidéos, peintures murales… – au cours de voyages dans des pays arabes. Les archives photographiques sur les débuts du rap dans cette région sont rares. Les 400 vinyles montrés au cours du parcours ont été prêtés par la bibliothèque de Radio France. Et ” Chill “, surnom que lui donnent ses proches, de s’enthousiasmer : ” Je veux que les visiteurs réalisent que le hip-hop leur appartient aussi, explique le rappeur. Il n’y a pas d’expert. Akhenaton, avec trente-cinq ans de pratique, ne vaut pas mieux que le gamin qui s’y met aujourd’hui. “

La première salle de l’exposition divise la planète rap en trois :l’Amérique à droite, la France à gauche – avec ses deux pôles, Paris et Marseille -, et, dans le fond, une carte du monde arabe où la culture hip-hop s’est étendue à partir du milieu des années 1990. Pour Akhenaton, grand lecteur du poète persan Omar Khayyam, la musiqueaméricaine n’a rien inventé : ” Dès le XIIe  siècle, à Bagdad, il y avait des joutes verbales rythmées. Aujourd’hui, les jeunes du Maghreb et du Moyen-Orient ont saisi ce maniement du verbe pour mener leur contestation. “

A l’adolescence, celui qui ne s’appelle pas encore Akhenaton découvre le hip-hop à New  York, où vit la famille italienne de son père. En  1995, il consacrera son premier album solo, Métèque et mat, à ses racines. Vingt ans plus tard, son cinquième album en soliste, Je suis en vie, en fait abstraction : ” Dans un intervalle d’un an et demi, déplore-t-il, j’ai perdu mes trois grands-parents et mon père. Il ne me reste que ma mère. Tous les gens qui ont fait mon enfance ont disparu. J’ai alors réalisé ce qu’il y avait d’important dans la vie : ne pas perdre de temps, dire les choses, profiter de chaque seconde… Je suis en vie, car j’ai vu les autres partir. “

” plein d’illusions “

Fini l’Akhenaton rageur et rancunier des années 1990, fâché avec les Parisiens de NTM, les journalistes qui l’égratignent, prêt à tout pour que son groupe reste au top. Sur la partie française, il n’y a aucune omission. Les photos de Yoshi Omori et de Jean-Pierre Maero montrent les lieux fondateurs de la culture hip-hop à Paris (le terrain de graff à Stalingrad, la discothèque Le Globo, à Paris) mais aussi les acteurs la scène rap marseillaise, qui ont parfois eu la dent dure contre le patron d’IAM : ” A Marseille, s’amuse l’intéressé, on peut être adulé plus qu’ailleurs, et détesté plus qu’ailleurs. “

Après une première partie assez pédagogique, le rappeur invite le public à se confronter à la pratique du djing (l’art de créer du son en scratchant des vinyles) et du sampling, (l’échantillonnage). A l’étage, pour se consoler de ne pas avoir pu restituer le disquaire mythique de New York Beatstreet, Akhenaton a construit un mur de vinyles de sa discographie idéale, des pionniers américains à ses collègues français (NTM, MC Solaar, Assassin…) jusqu’au jeune collectif 1995.

L’occasion pour lui de rappeler son passé de producteur qui, avec son label, Côté obscur, a lancé les carrières de Fonky Family et Psy 4 de la Rime. C’est le seul moment où on sentira chez lui une pointe d’amertume : ” Dans les années 1990, nous et le Secteur Ä (label de Passi, Stomy Bugsy, Nèg’Marrons) étions plein d’illusions. Nous étions les petits gars qui ramassaient les miettes, puis nous avons été invités à table. Ce changement de statut a été le début de notre fin. Au bout d’un moment, les producteurs des grandes maisons de disques se sont dit : «Ces rappeurs connaissent tout des contrats et dès qu’ils réussissent, ils montent leurs propres structures et ne signent pas leurs artistes chez nous.»On nous a finalement déclarés«ingérables». “

Le label Côté obscur existe toujours, mais ne produit plus d’artistes. IAM a investi dans des studios en périphérie de Marseille, qui ont permis au groupe de traverser les années 2000. Akhenaton tend son téléphone pour montrer des photos des murs des studios, récemment tagués de propos racistes : ” Adieu France, les bougnoules nous l’ont mise. ” Les inscriptions sont apparues deux jours après qu’il a accordé une interview à Europe 1, le 12  mars, où, fait rare, il parlait du voile et des djihadistes. Depuis les attaques terroristes du 11-Septembre, le rappeur, converti à l’islam en  1992, s’exprime très peu sur sa foi : ” J’estime qu’elle appartient à ma sphère privée. De plus, mon côté ultramystique ne serait pas compris par le quart, voire la moitié des musulmans. “

Dans son dernier album, il évoque pourtant ses craintes pour sa fille dans le morceau Souris, encore, et écrit : ” Ne cache pas tes beaux cheveux pour que ces petits branleurs te laissent tranquille. ” Il explique : ” C’était pour lui dire : «Si un jour tu penses que c’est bien pour toi de porter le voile, fais-le pour toi, mais ne le fais pas parce que tu subis une quelconque pression sociale.» C’est ce que j’expliquais dans cette interview à Europe 1, en précisant que je ne serais pas content qu’elle le fasse. Mais Lefigaro. fr a repris l’interview et l’a résumée autrement. “

L’islam est présent

Akhenaton devance aussi les interrogations sur la comparaison étonnante qu’il dressait, dans la même interview, entre punks et djihadistes : ” Mon intention n’était pas de comparer l’idéologie et les actions des punks et des terroristes. Surtout pas… Nous avons commencé avec IAM dans des concerts où punks et B-boys – amateurs de hip-hop – se mélangeaient. Je voulais juste dire que le mécanisme qui conduisait, il y a trente ou quarante ans, des enfants de bourgeois à renoncer à leur confort et à leurs privilèges pour aller dormir et mendier sur les trottoirs, voire à se radicaliser avec Action directe ou Fraction armée rouge, est le même qui conduit des jeunes gens issus de la France agricole profonde à partir en Syrie. “

L’islam est présent dans l’exposition, mais uniquement à travers ce qu’il a inspiré aux rappeurs américains. Finalement, Akhenaton a décidé de ne pas effacer les injures racistes qui figurent sur le portail de ses studios marseillais, mais d’inscrire en-dessous en calligraphie : ” Je laisse ces phrases à l’attention de toutes celles et ceux qui passent ici afin qu’ils puissent contempler l’ampleur de la bêtise humaine. “

stéphanie binet