A Fréjus, pour lancer sa campagne, Marine Le Pen exploite la thématique large des « libertés »

La candidate du RN a dévoilé, dimanche, une conception de la liberté dans la ligne des valeurs de la droite et de l’extrême droite, fermement encadrée, réservée aux seuls nationaux et assez éloignée des principes posés en 1789, à l’origine de l’Etat de droit.

Bras en croix, tête vers les nuages, Marine Le Pen fait son entrée vêtue de blanc et bleu pastel, devant les 900 militants venus assister à son meeting de rentrée sous un soleil de plomb, dimanche 12 septembre, au théâtre romain de Fréjus (Var). Un militant se fait palper et ouvre son sac. « Mais pas besoin de passe sanitaire, c’est la liberté ! », se réjouit-il en rejoignant la foule qui brandit des drapeaux français.

La scénographie du meeting est pensée comme une synthèse entre l’imagerie du Rassemblement national (RN), dont on aperçoit le logo, et un fond bleu ciel peu commun aux événements du parti lepéniste.

La désormais ex-présidente du RN ouvre la bataille du premier tour, et place les électeurs à « un carrefour dont une voie conduit à l’abîme et l’autre au sommet » : d’un côté, « la dilution de la France par déconstruction et submersion » ; de l’autre, « le sursaut salutaire » par la voie du nationalisme et de l’exaltation du « peuple français ». En avril 2022, « nous serons à la croisée des chemins », résume-t-elle, discrète allusion au nom du site d’Eric Zemmour, qui a également intitulé de cette façon sa tournée pour son nouveau livre.

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L’auteur du Suicide français (Albin Michel, 2014) n’est pas le seul dans le viseur. Très vite, Marine Le Pen adresse un clin d’œil appuyé aux anti-passe sanitaire, sur le terrain de son ancien bras droit Florian Philippot. « Si des centaines de milliers de personnes scandent le mot “liberté”, c’est qu’il existe un malaise qu’il faut entendre », dit-elle, face à un « pouvoir méprisant », même si, « bien sûr, la rue ne gouverne pas ». Elle entend se distinguer des « positions plus radicales » : pour la liberté vaccinale, contre le passe sanitaire.

« Libertés françaises »

Cette volonté d’équilibre s’illustre dans le choix de la « liberté » pour thème de campagne. Le mot a été prononcé 85 fois en quarante-trois minutes, et son slogan – « Libertés, libertés chéries ! » – a été puisé dans La Marseillaise« La liberté, c’est la valeur française, le cœur de son ADN, justifiait-elle la veille. C’est le chemin de fer qui permet de parler de sujets très divers et très vastes. » Des sujets effectivement divers, au point que la liberté a semblé un concept à géométrie variable, mais qui permet d’englober habilement l’essentiel du programme.

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Dans la bouche de Marine Le Pen, les libertés ne sont ni « publiques » ni « fondamentales » ; elles sont « françaises »« Je serai la présidente des libertés françaises, et croyez-moi, ça changera tout ! » Une conception de la liberté qui reste dans la ligne des valeurs de la droite et de l’extrême droite, fermement encadrée, réservée aux seuls nationaux et assez éloignée des principes posés en 1789 à l’origine de l’Etat de droit. « Les libertés françaises » étaient d’ailleurs le titre de la revue maurrassienne publiée après-guerre par un proche de l’Action française, François Daudet, rappelle le politologue Jean-Yves Camus.

« La France est, par ses racines chrétiennes, par les Lumières qui en sont le prolongement, la fille de la liberté », a dit la candidate, mais « la liberté n’est pas la licence et l’anarchie, et il n’y a pas de liberté sans Etat ». Selon Marine Le Pen, elle est institutionnelle d’abord, avec l’instauration de la proportionnelle intégrale et du référendum d’initiative populaire. La candidate promet également une consultation sur l’immigration pour « réaffirmer notre liberté de décider qui entre et qui reste chez nous », avec « un projet de loi complet », des critères de maintien sur le territoire au retrait de la nationalité ou des droits sociaux.

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La liberté syndicale, selon la candidate, consisterait à permettre « des candidatures libres aux élections professionnelles », qui viseraient à briser le monopole de syndicats majoritairement à gauche ; la liberté d’expression, à créer à l’échelle européenne un « réseau social libre et gratuit, où le principe sera la liberté » – la suspension du compte Twitter de Donald Trump a inquiété le parti – et à « [garantir] la protection des données personnelles ».

« Sans sécurité, il n’y a pas de liberté »

La « liberté d’information » passe par « la privatisation de l’audiovisuel public », propose Marine Le Pen. Elle entend favoriser la concentration de la presse dans des groupes privés, le marché étant pour elle une garantie de pluralisme. En avril, elle estimait dans le mensuel conservateur L’Incorrect que les médias travaillaient à « la désinformation à laquelle [le peuple français] est soumis depuis des décennies », alors que la chaîne CNews, selon elle, « recrée les conditions du débat ». « Un seul courant idéologique ressort de France TV et de Radio France », a d’ailleurs déploré dimanche Aleksandar Nikolic, un jeune cadre du RN.

Avec la « liberté de circulation », elle parle aux « gilets jaunes », en proposant de nationaliser les autoroutes pour « stopper l’inflation des prix des péages » et des carburants. Surtout, « la liberté de circuler, c’est aussi de le faire partout » en voiture, contre les « restrictions insensées imposées par les Verts ». Elle promet aussi d’instaurer la gratuité des trains en dehors des heures de pointe pour les étudiants et les jeunes actifs.

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La députée du Pas-de-Calais retombe sur ses pieds avec la sécurité – après vingt-huit minutes de discours sur quarante –, ce qui provoque, comme à l’accoutumée, des tonnerres d’applaudissements, « parce que sans sécurité, il n’y a pas de liberté ». La liberté d’aller et venir dépend « d’un retour à la tranquillité publique », qui viendra après « l’éradication » des bandes, des mafias, des islamistes : « les délinquants français en prison, les étrangers, dans l’avion ! », prévient la prétendante à l’Elysée.

Elle défend la liberté d’enseignement, « y compris à domicile », restreinte depuis 2018 pour lutter contre le séparatisme. Elle promet de « garantir » la liberté de culte, mais en limitant ses expressions publiques, comme le voile islamique. Elle prévoit enfin de protéger la liberté « de transmettre un patrimoine » en baissant les droits de succession et de donation.

Contre les « talibans de l’intérieur »

La candidate a consacré un quart de son discours à « la liberté des femmes et des jeunes filles de circuler sans être importunées ou menacées ». Avec une mesure radicale : transformer la contravention de « harcèlement de rue » en délit, et inscrire les auteurs d’« outrages sexistes » au fichier des délinquants sexuels. « Cette liberté essentielle pour nous mesdames, nous la rétablirons ! », a-t-elle lancé contre « cet abominable joug obscurantiste » des « talibans de l’intérieur ». Une attaque indirecte contre Eric Zemmour, qui, outre les accusations de harcèlement sexuel dont il fait l’objet, persiste dans un virilisme et une misogynie assumés.

En politique extérieure, « la souveraineté des Etats est aux nations ce que la liberté est à l’individu », déclare Marine Le Pen, en voulant reprendre le pouvoir « à la dictature de Bruxelles », sortir du commandement intégré de l’OTAN et des « diktats des juges internationaux ». Il ne s’agit plus de quitter la Cour européenne des droits de l’homme mais de l’ignorer : « Nul besoin de renier nos signatures, les décisions internationales contraires à un principe constitutionnel resteront simplement inappliquées… »

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Marine Le Pen s’applique enfin la liberté à elle-même. Elle avait de longue date choisi de s’émanciper d’un parti en difficulté financière et militante, mais aussi de se défaire de cette image de « candidate de l’extrême droite » que lui avait renvoyée Emmanuel Macron en 2017. « Ma démarche me commande aujourd’hui de sortir des logiques partisanes pour m’adresser plus librement encore à nos compatriotes », a-t-elle expliqué, y compris aux « Français qui ont pu par le passé faire des choix différents ».

Après plus de dix ans de présidence, Marine Le Pen a passé le flambeau à Jordan Bardella en proclamant sa « confiance en la jeunesse de France ». Le dauphin intronisé a prononcé son premier discours de président du RN et rendu hommage à Marine Le Pen, « une femme d’Etat, qui voit loin, qui est libre, dégagée de toute allégeance à des féodalités ». Elle s’était déjà éclipsée, toute à son destin personnel, pour le 20 Heures de TF1 à Paris.

 

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