Amélie Nothomb : " J'aime qu'écrire soit un acte de plaisir ".

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Lundi 16  mars, la -romancière Amélie Nothomb était sur la scène de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, à Paris, dans le cadre du cycle ” Voix de femmes “, coorganisé par l’Odéon, ” Le Monde des livres ” et France Culture. La comédienne Amira Casar a lu des passages de Pétronille (Albin Michel, 2014), roman dans lequel Nothomb décrit sa rencontre avec une jeune lectrice qui devient sa ” camarade de beuverie “ avant d’embrasser sa propre vocation d’écrivaine. Cette soirée s’est poursuivie par un entretien avec Amélie Nothomb, dont voici quelques extraits.

Vous entretenez un rapport très fort avec vos lecteurs. Mais on imagine que cette relation ne se noue pas toujours autour du champagne, comme dans ” Pétronille “

Bien sûr, je ne peux pas dire que je bois du champagne avec tous mes lecteurs… Ce serait génial, vous imaginez la beuverie  ! Mais j’ai beaucoup de relations suivies avec mes lecteurs et ça donne des histoires incroyables, qui -durent parfois depuis presque vingt ans. Aucune n’a un schéma type. Il peut y avoir une interruption de dix ans, puis ça peut reprendre très fort. Parfois, ça s’arrête brusquement sans qu’on sache pourquoi. Parfois, ça continue sans que l’on sache non plus pourquoi et c’est beau  ! Il faudrait poser la question aux personnes dans la salle  : moi, je ne vous connais pas, je suis fascinée… mais vous, pourquoi restez-vous  ? Je ne vous comprends pas  !

Au Salon du livre de Paris, vous allez reprendre le chemin des dédicaces. A propos de cet exercice, de cette adresse au -lecteur, ne peut-on reprendre ce que Roland -Barthes disait de la lettre d’amour, qu’elle se résume toujours peu ou prou à cette pensée  : ” Je n’ai rien à te dire, sinon que ce rien, c’est à toi que je le dis ”  ?

Oui, il y a quelque chose de l’amour dans la dédicace. Il ne s’agit pas d’avoir des relations -galantes avec tous mes lecteurs, -sinon je n’ai pas fini… Mais c’est vrai qu’il y a quelque chose de cet ordre-là. Je suis une personne bienveillante, pleine de curiosité, et j’ai l’impression que c’est souvent partagé  : mes lecteurs s’auto-sélectionnent comme sympathiques et bienveillants. Sauf exception, les gens ne viennent pas pour me piéger et cela se passe très bien  ! Mais il est vrai qu’il est aussi stressant de devoir tenir compte d’un grand nombre de paramètres, à commencer par la file. Si je m’écoutais, je parlerais au moins une demi-heure avec chaque personne. Mais je ne le peux pas, et c’est difficile de faire comprendre tout à coup au lecteur que, voilà, c’est terminé, surtout si le dialogue est sympathique  ! Alors il y a la personne d’Albin Michel qui vient soulever mon chapeau pour me dire  : ”  Mais est-ce que tu sais qu’il y a encore plein de gens derrière  ?  ”

Beaucoup d’auteurs, vous le -savez, se retrouvent plus isolés lors de ces séances de dédicaces…

Oui, je le sais bien. Et, finalement, nous en avons tous conscience, le Salon du livre idéal serait basé sur le principe des vases communicants  : chaque écrivain aurait exactement le même nombre de lecteurs. Mais on n’a pas encore réussi ce coup-là  !

Sur cette scène de l’Odéon, lors des soirées précédentes, avec Julia Kristeva et Linda Lê -notamment, il a été question de la langue maternelle comme langue perdue, exilée. Vous-même, qui êtes née au Japon, avez élu patrie dans une langue oubliée…

J’ai appris en même temps à parler le français et le japonais, sans être sûre de bien savoir s’il s’agissait de deux langues distinctes mais sachant qu’il fallait parler une de ces deux langues avec ma mère japonaise (ma gouvernante) et l’autre avec ma mère belge  ; donc, je suis née dans une situation de double vie, je cachais à la mère japonaise que je parlais le français et à la mère belge que je parlais le japonais… J’en ai conser-vé une certaine pratique de la clandestinité. Quand j’ai été arrachée du Japon, à l’âge de 5  ans, ce fut le choc fondateur de ma vie. Depuis, j’ai oublié le japonais. Mais je sais qu’elle existe en moi, cette langue fantôme, et d’abord dans mon écriture. Je pense par exemple à la place du verbe. En japonais, comme souvent en latin, comme en allemand,, le verbe est repoussé à la toute fin  ! Et je sens toujours le verbe comme la partie essentielle de la phrase. Toute phrase est un suspense dont on attend l’action. Action qui est révélée par le dernier mot.

Dans ” Ni d’Eve ni d’Adam ” -(Albin Michel, 2007), vous évoquiez votre relation avec un jeune Japonais, bâtie cette fois non autour de l’alcool, mais de repas poétiques. La littérature est-elle pour vous un art de la convivialité  ?

J’aime qu’écrire soit un acte de plaisir. Et une des meilleures -façons que ce le soit, c’est de raconter d’autres plaisirs… Les -Japonais excellent à cet exercice, les Français aussi, et pas seulement en littérature. J’adore dîner avec des Français parce qu’ils parlent toujours de ce qu’ils ont eu au dîner précédent comme d’une nourriture infiniment supérieure à celle que l’on est en train de manger… Ce qui fait que je passe mon temps à me dire  : quel dommage qu’ils ne m’aient pas invitée au dîner précédent ! C’est sans doute cela que j’essaie de reconstituer dans mes -livres : le dîner précédent ! Dans -l’espoir d’y avoir assisté.

Propos recueillis par Jean Birnbaum