Un soupçon de déception grésille de l’autre côté de l’Atlantique. François Lubrina a raté son coup et on sent bien que ça le chagrine de rappeler pour nous annoncer ça : Emmanuel Macron est reparti du Québec sans labrador. Ce vétérinaire franco-italien, installé au Canada depuis cinquante ans, a pourtant un beau palmarès à son actif : il a placé ses chiens chez Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande.
Le 11 juin, à 16 heures, il s’était parfaitement positionné pour interpeller le nouveau président de la République, venu en marge du G7 rencontrer la communauté française de Montréal. François Lubrina a réussi à parler avec le chef de l’Etat, entre coupes de champagne et petits fours, mais sa casquette d’élu consulaire a pris le dessus : les quelques minutes qui lui étaient imparties, il les a consacrées à la question de la reconnaissance des diplômes universitaires français par le Québec. Avant même qu’il ait eu le temps d’aborder le sujet du labrador, Macron avait tourné les talons. Mais le vétérinaire ne s’avoue pas vaincu : il compte bien tenter à nouveau sa chance à l’automne, lorsqu’il se rendra à Paris. « Il faut laisser du temps au temps », soupire-t-il.
Du temps, justement, Emmanuel Macron ne lui en a guère laissé. Il n’a pas attendu son offre de services pour installer un chien à l’Elysée. À peine avait-il emménagé au Château que son épouse, Brigitte, s’est précipitée à la SPA pour en ressortir avec Nemo, un mâle de 2 ans, croisé griffon et labrador noir. Un choix qui ne doit bien sûr rien au hasard. « En termes de communication, c’est assez génial, constate l’historien Christian Delporte. Macron a une image de dureté, d’arrogance et de distance avec les Français. Aller à la SPA, c’est dire “je suis généreux”, choisir un bâtard est très bien vu, c’est le chien du pauvre. »
Cerise sur la truffe : le chien avait été abandonné un an auparavant à Tulle, en Corrèze, fief de son prédécesseur, François Hollande… « L’image idéale d’un président est d’avoir une famille, une épouse, des enfants et un chien, pointe encore Christian Delporte. Le chien, ça adoucit, ça rend sympathique, ça signifie qu’on n’est pas égoïste, qu’on est capable de s’occuper des autres. »
En minutieux professionnel de la com’, Emmanuel Macron a joué à fond la carte de son animal. Nemo a ainsi été photographié sous tous les angles avec le président et son épouse et a même été filmé, en octobre 2017, lors d’une réunion de ministres à l’Elysée, en train de se soulager sur le coin d’une cheminée. Les ministres présents ont pouffé, Macron a blagué, la séquence a fait le tour des réseaux sociaux. Qui peut bien reprocher à un chien de président de s’oublier sur un tapis ? Ceux de Nicolas Sarkozy, naguère, ont commis bien pire : ils s’étaient fait les dents sur les meubles du salon d’Argent, entraînant une rénovation coûteuse du mobilier. Sans que l’opinion s’en émeuve : on leur pardonne plus facilement qu’à leurs maîtres.
Cinq ans plus tôt, François Lubrina avait eu davantage de chance avec François Hollande. L’ancien président ne se fait pas prier pour raconter l’histoire, qui a commencé comme un gag. Il l’avoue, il n’était pas spécialement dingue des animaux de compagnie. Pour faire plaisir à ses quatre enfants, il a bien eu, il y a des années, « des chats, des souris, des chiens et des poissons rouges ». Mais la plupart ont fini chez sa mère, car personne n’avait le temps de s’en occuper.
« Lorsque François Lubrina m’a interpellé lors d’une visite au Canada en me disant : “Il vous manque quelque chose dans votre maison, la tradition veut qu’on vous remette un chien”, j’ai cru à une parole en l’air. » C’était mal connaître la ténacité du vétérinaire, qui a parcouru la province québécoise à la recherche du chiot idéal, « car un labrador de compagnie, doté d’un bon patrimoine génétique, ça ne se fabrique pas comme une voiture ».
Le 24 décembre 2014, sa fille s’est présentée à l’Elysée avec Philae dans les bras. Un nom choisi en hommage au petit robot envoyé sur une comète par l’Agence spatiale européenne. Hollande l’a immédiatement adoptée : « C’était difficile de dire non, elle est attachante. » La chienne a été installée dans une pièce contiguë à la cuisine des appartements privés, mais le chef de l’Etat a toujours refusé qu’elle soit présente dans le cadre de ses fonctions officielles : « Je ne voulais pas en faire un objet de communication. »
Un mari pour Philae
François Lubrina est venu plusieurs fois rendre visite à Philae. Un jour, il explique au président qu’« il faut songer soit à la stériliser, soit à la faire se reproduire ». « Ça y est, je lui ai trouvé un mari ! », lui a répondu par téléphone l’ancien chef de l’Etat. Le papa n’est autre que le chien de la belle-sœur de son ancien secrétaire général, Jean-Pierre Jouyet. Philae a eu dix chiots. À l’abri des caméras, le Château s’est, un temps, transformé en chenil. « On leur a aménagé une pièce avec des lampes chauffantes, des vétérinaires leur prenaient la température plusieurs fois par jour, il y avait une odeur là-dedans ! », se souvient Hollande.
Les chiots ont été dispatchés, une des secrétaires du président en a pris un, un officier de sécurité un autre, le directeur de cabinet de Bernard Cazeneuve un troisième… En quittant l’Elysée, Hollande a emmené Philae avec lui. Tous les matins, elle accompagne désormais son maître dans ses bureaux de la rue de Rivoli. Les gardes du corps la promènent dans le jardin des Tuileries.
Depuis Georges Pompidou, il y a toujours eu un chien à l’Elysée. Valéry Giscard d’Estaing fut le premier à se laisser filmer avec les siens, un labrador et un braque, dans les jardins de l’Elysée. Une longue séquence le montre en train de jouer avec Beauty et Jugurtha. Il leur donne des ordres, les bêtes obéissent. L’autorité d’un chef se niche parfois dans des détails.
« L’arrivée des chiens dans l’univers présidentiel coïncide avec la naissance de la communication politique », note Christian Delporte. À partir du septennat de VGE, chaque prétendant ou locataire de l’Elysée se montre avec le sien. François Mitterrand était fou de ses animaux. Lorsqu’il a participé à l’émission « 30 millions d’amis », en 1977, pour déclarer son amour des bêtes, Giscard, furieux de cet ingénieux coup de communication, a fait venir une équipe pour immortaliser la naissance des chiots de sa chienne.
Le labrador, depuis Georges Pompidou – le sien s’appelait… Jupiter, bien avant que Macron ne théorise la présidence jupitérienne –, s’est imposé comme le chien de président par excellence. Ni trop petit ni trop imposant. « On n’imagine pas un berger allemand, un doberman ou un rottweiler à l’Elysée, note le paléo-anthropologue Pascal Picq, lui-même propriétaire de deux dobermans. Le labrador évoque notre pays, c’est aussi un chien tout en rondeur, il est rassurant, réconfortant, il fait “force tranquille” », le slogan de François Mitterrand pour la présidentielle de 1981.
Le plus célèbre des labradors présidentiels fut justement la chienne de Mitterrand, Baltique, devenue une quasi-icône nationale. Elle a accompagné son maître à partir de 1987 et était encore là, sur les marches de l’église de Jarnac, pour ses funérailles. Le chanteur Renaud en a fait une chanson, une statue la représentant a été érigée à Soustons, où l’ancien président socialiste passait ses vacances, son nom a été utilisé comme pseudonyme d’un livre.
Baltique, star locale
Pendant longtemps, lorsqu’on l’interrogeait sur François Hollande, qui était son rival politique local avant de devenir président, Jacques Chirac se moquait ainsi : « Celui-là, en Corrèze, il est moins connu que Baltique ! » Si la labrador a marqué les esprits, c’est peut-être parce que François Mitterrand semble être le seul président qui ait eu un attachement viscéral et sincère à ses chiens successifs. « Une de ses chiennes avait une tumeur au cerveau, il a passé la nuit à l’hôpital vétérinaire de Maisons-Alfort avec elle avant qu’elle soit euthanasiée », rappelle François Lubrina. Avec sa chienne, Mitterrand a converti tout le pays aux labradors. « Il n’y en a jamais eu autant en France, il a supplanté le berger allemand, qui était jusque-là le plus répandu », constate Pascal Picq.
Le labrador, c’est la grande spécialité de François Lubrina. La race est originaire du Royaume-Uni, mais a particulièrement prospéré au Canada. Dans les années 1980, Jacques Chirac, qui n’était pas encore un monarque patelin, a d’abord tenté d’infléchir son image un peu raide en posant sur papier glacé avec ses filles et un cocker. Un cocker, c’est mignon pour attendrir les foules, mais ça ne fait pas très président. C’est là que le vétérinaire préféré des chefs d’Etat est entré pour la première fois en scène.
Ce passionné de politique a rencontré celui qui était alors premier ministre et maire de Paris un peu par hasard. Chirac était venu visiter une école vétérinaire à Saint-Hyacinthe, près de Montréal. Lubrina, présent lors de la réception, a entamé la conversation, lui a expliqué qu’il devait absolument posséder un labrador et lui a proposé ses services. Chirac a accepté d’autant plus facilement que Giscard lui avait offert un braque d’Auvergne qu’il ne pouvait pas supporter : il l’appelait « Ducon ».
Lorsque, en 1986, François Lubrina est venu livrer le chien à l’Hôtel de Ville, il a failli en lâcher sa laisse. Une centaine de journalistes et de photographes avaient été conviés pour immortaliser l’arrivée de Maskou. Chirac avait organisé un grand raout avec protocole, buffet, champagne et des invités de marque comme Michel Drucker et Marie Laforêt, intronisés parrain et marraine du chiot. Le labrador a eu les honneurs de l’émission « Tapis rouge ». En 1995, il a suivi Chirac à l’Elysée et, lorsqu’il est mort, le président a appelé le vétérinaire pour l’avertir. « Il était très affecté, se souvient François Lubrina, il m’a confié qu’il l’avait enterré près d’un arbre du jardin du Château. »
Lors de son second mandat, Chirac a changé d’échelle avec Sumo, un bichon offert par son petit-fils Martin. « Un chien de grand-père, commente Christian Delporte, qui collait bien avec l’image du sage qu’il souhaitait alors donner. » Sumo devient lui aussi une vedette. Il gambade à son tour sur le plateau de Michel Drucker, sous le regard humide de Bernadette Chirac, qui rend ainsi hommage au grand cœur de son président de mari : « Retrouver les jouets du chien passe avant tout. » Plus tard, elle expliquera au Parisienque « Sumo n’a pas supporté le départ de l’Elysée, il a eu le cafard ». Avant de lâcher : « On a dû le placer, il avait mordu Chirac jusqu’au sang. »
Après l’élection de Nicolas Sarkozy, François Lubrina a repris du service. Le 17 octobre 2008, le président français est en visite au Québec et le conseiller consulaire en profite pour lui parler des fameux labradors. Sarkozy dit d’accord, à condition qu’il ne soit pas noir comme ceux de ses prédécesseurs. « Il a fallu en chercher un blond, il voulait incarner la rupture », se souvient Lubrina. Clara a donc rejoint les deux autres chiens des Sarkozy déjà présents au Château. Le couple présidentiel s’empresse de communiquer sur cette nouvelle arrivée dans la famille.
En mai 2009, Carla Bruni reçoit des lectrices de Femme actuelledans les appartements privés de l’Elysée lorsque son mari arrive « à l’improviste ». La séquence est filmée bien sûr. Et tout le monde de s’extasier devant les toutous. « C’est un bonheur, s’enflamme le chef de l’Etat. On nous l’a donné au Québec, il avait un mois, je l’ai ramené, on en était fou tout de suite. J’ai fait une bêtise, ajoute-t-il l’air faussement contrit, je l’ai montré à Carla et à Aurélien [le fils de l’ex-première dame], c’était foutu ! » Opération réussie : celui qui a été surnommé le « président des riches » n’est-il pas un Français comme tout le monde ? Comment un homme qui s’attendrit ainsi devant un chiot pourrait être mauvais ?
Amours éclectiques
Dans Bêtes de pouvoir, un documentaire de Lionel Boisseau réalisé pendant la campagne présidentielle de 2012, le réalisateur interroge les candidats sur leurs relations avec les animaux. C’est à celui qui bêtifie le plus. Corinne Lepage parle de son lapin, Nicolas Dupont-Aignan révèle sa passion pour « les dauphins et les éléphants ».
Marine Le Pen, qui sait qu’elle va devoir ramer pour adoucir son image, énumère : « J’ai quatre chats, deux perruches, un chien. » « Un bâtard de la SPA », précise-t-elle, bien avant qu’Emmanuel Macron n’ait recours aux services de la Société protectrice des animaux… Son père, qui se délecte depuis des décennies d’être le grand méchant loup de la scène politique, s’affiche, au contraire, avec Clovis et Vanille, deux molosses peu avenants.
Quant à François Bayrou, il joue l’éclectisme : « J’aime beaucoup les chiens et les abeilles. » Pour lui, « si on n’aime pas les animaux, on n’aime pas beaucoup les êtres humains ». Marine Le Pen, elle, explique que « les animaux sont apaisants. Avoir un chat sur les genoux, c’est thérapeutique ». Plus terre à terre, Dupont-Aignan lâche : « Les animaux se taisent, c’est très reposant pour un homme politique. »
C’est finalement François Hollande qui a été élu. Il s’est converti tardivement à l’amour des bêtes, mais il s’y tient. Et continue de s’étonner de l’aura des chiens présidentiels. En tournée, depuis le printemps, pour son dernier livre (Les Leçons du pouvoir, Stock), il le constate : « Lors des séances de dédicaces, beaucoup de gens me parlent de Philae, ils me demandent comment elle va. » « Le chien crée un sentiment de familiarité, un attachement, poursuit-il. Les gens se disent : “Si cet homme aime les chiens, il ne peut pas nous détester.” »
François Lubrina continue à prendre de ses nouvelles. Grâce aux hasards de la vie qui l’ont conduit à devenir fournisseur des chiens de président, il a tissé des liens avec les chefs de l’Etat successifs. « Les animaux sont des révélateurs de personnalité, assure-t-il. Je ne partage pas ses opinions politiques, mais François Hollande a des qualités humaines. Il attend que vous ayez fini de parler avant de vous raccompagner alors que Sarkozy était toujours pressé. »
Il faut dire que le vétérinaire garde une dent contre l’ancien président. Quand Nicolas Sarkozy a quitté l’Elysée, il s’est débarrassé de son labrador en le donnant à une autre famille : pas assez de place pour trois chiens dans la maison de son épouse Carla Bruni-Sarkozy, la Villa Montmorency, a-t-il tranché. François Lubrina a trouvé ça « très triste ».