Cadeau empoisonné pour les politiques que cette gigantesque ” marche républicaine “, qui a vu défiler des millions de personnes, dimanche 11 janvier, à Paris et en province. Un cadeau, car les Français ont démontré ce jour-là qu’ils étaient tout sauf indifférents et apathiques, et qu’ils pouvaient se rassembler : pour quiconque gère les affaires publiques ou aspire à le faire, il y a matière à se réjouir. Empoisonné, car ce cadeau est si monumental qu’il en devient insaisissable. Qui sont ces millions de ” Charlie ” qui ont défilé le plus souvent en silence, sans slogan ni banderole ? Que veulent-ils ? Que faire de ce 11 janvier que l’on dit promis aux livres d’histoire, mais dont on ignore encore tout ? Les responsables de tous bords se sont faits plutôt discrets pendant la journée de dimanche. Symptôme de la crise démocratique que connaît la France, le jour où le pays s’est rassemblé et où le peuple s’est ” levé “, nombre de ses représentants ont préféré raser les murs. ” J’ai défilé exprès non avec les élus mais dans les rangs de la foule “, tient à dire le président du MoDem et maire de Pau, François Bayrou, conscient comme chacun de cette ” exaspération croissante vis-à-vis des élus ” que traduisent toutes les enquêtes d’opinion depuis bien longtemps. Etre sur l’image tout en se taisant : c’est cette bataille des premiers rangs qu’a remporté dimanche François Hollande face à un Nicolas Sarkozy filmé jouant des coudes pour grapiller quelques places. Face à une telle vague citoyenne, il fallait rester au sec ou se fondre pour ne pas gêner, mais surtout pas chercher à remonter le courant. ” Moment d’émotion “Si la mer est redevenue étale, rien ne sera plus comme avant. ” C’est un tournant “, estime le directeur de la Fondation Jean-Jaurès, Gilles Finchelstein. Un tournant produit par ” la nature de l’événement, un acte lourd qui a touché chacun “, d’autant plus fortement que les citoyens se politisent désormais ” par leurs propres expériences concrètes “. Problème : nul ne sait sur quelle route va déboucher ce tournant. Les Français n’ont donné à leurs représentants ni GPS ni consignes très limpides. Sans mode d’emploi face à cet objet non encore identifié, ils traitent avec égards ce ” Charlie ” aux millions de visages. ” C’était très fort, il y avait quelque chose de l’ordre du sacré “, dit la vice-présidente déléguée de l’UMP, Nathalie Kosciusko-Morizet. ” La marche de dimanche était quelque chose de merveilleux. Le peuple de France a communié “, renchérit la vice-présidente du Parti radical, Rama Yade. Le député socialiste Pouria Amirshahi salue comme tant d’autres cette ” vraie levée de boucliers citoyenne, massive “. ” Cette journée imprimera la société française “, prédit le sénateur de l’Aube François Baroin. ” On a tous ressenti un grand moment d’émotion “, témoigne également Varie Pécresse. Mais comme l’ajoute la députée UMP des Yvelines, ” l’émotion, cela ne suffit pas “. Il va bien falloir passer à la suite. ” La démocratie va reprendre son cours ordinaire. Tous les problèmes qui étaient posés avant vont se poser après “, note Gilles Finchelstein. L’après, on y est déjà. Sur cette page blanche qui reste à écrire, les politiques commencent à griffonner. On les sent tiraillés entre la volonté de préserver un tant soit peu le message d’unité qui leur a été lancé et la nécessité de (ré) afficher leurs convictions. Du rassemblement, il reste des intentions. ” Le ton doit devenir plus respectueux entre nous. Nous devons approfondir la concertation pour arriver à des équilibres “, prévient le député et président du conseil général des Hauts-de-Seine, Patrick Devedjian. ” Nous devons être au niveau d’exigence des citoyens, avoir de la tenue, nous mettre d’accord en évitant les polémiques “, ajoute ” NKM “. ” Nous devons continuer à discuter, à trouver des compromis “, dit-on dans l’entourage du président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone. ” C’est le peuple UMP-PS-écologistes-Front de gauche qui était dans la rue. Est-ce qu’on ne peut pas trouver un compromis sur deux ou trois grandes réformes nécessaires ? “, interroge Daniel Cohn-Bendit. Vœux pieux ? Au vu des premières pistes évoquées, on ne semble pas se diriger à grands pas vers un large consensus. Une bataille d’interprétations a débuté sitôt la marche terminée. Bataille essentielle, où la légitimité de ” l’après ” est en jeu. Chacun s’efforce donc de défendre sa lecture du 11 janvier pour en faire la rampe de lancement de ses propositions. L’exercice est d’autant plus ouvert que la marche républicaine n’a pas délivré de message très précis, mêlant défense des libertés – en particulier de la liberté d’expression – et besoin de sécurité, sans que l’on sache dans quelle mesure le curseur entre les deux pourrait avoir bougé. Du coup, chacun peut trouver matière à conforter ses positions antérieures. Et les débats resurgissent, en particulier à gauche. ” Investir dans les quartiers “” La réponse prioritaire est la protection des Français et du pays et le renforcement de la lutte contre le terrorisme “, estimait la députée de Paris et porte-parole du groupe, Annick Lepetit, lundi soir, au terme d’une réunion des députés socialistes en présence du premier ministre, Manuel Valls. ” Nous devons consacrer toutes les ressources publiques à tout ce qui fait notre égalité de condition : les services publics, les écoles… Et convaincre ceux qui plaident pour plus de sécurité que ce n’est pas le problème car celui qui est déterminé à tuer le fera, malgré toute la police du monde “, confiait à l’inverse M. Amirshahi. Quelques arguments seront nécessaires, la demande de sécurité étant présumée accrue. ” La masse des Français a choisi face à cet acte de terreur une réponse pacifique et citoyenne, une réponse de rassemblement. Il va falloir conforter cet élan car l’attaque contre les libertés va reprendre très vite “, a prévenu lundi soir le secrétaire national du Parti communiste, Pierre Laurent. Les banlieues ? ” Il faut investir dans les quartiers. Nous avons besoin d’un grand “new deal” “, plaide M. Cohn-Bendit, en citant à titre d’exemple la création d’une ” fondation nationale du sport qui soutiendrait les éducateurs sportifs “. ” S’il y a un potentiel de danger, ce sont des territoires qu’il faut nettoyer “, estime le député PS de l’Essonne Malek Boutih, qui propose que certaines communes de banlieue comme Grigny (Essonne) – d’où était originaire l’un des auteurs des tueries, Amedy Coulibaly – ” soient temporairement mises sous tutelle par l’Etat “. Jean-Baptiste de Montvalon (avec le service politique) |
L’après ” Charlie ” au cœur des débats.
L’ampleur des ” rassemblements républicains ” renvoie les représentants politiques à leurs responsabilités