Les accusations concernant les scandales sexuels et leur ” gestion ” par l’Eglise catholique visent désormais directement les plus hauts responsables du Vatican et alimentent la bataille entre les partisans et les adversaires du pape François.
Diffusée dimanche 26 août au petit matin, une charge virulente a eu pour effet de parasiter la seconde journée de la visite du pontife argentin en Irlande, pays où des milliers d’enfants, de jeunes et de femmes ont été concernés par diverses formes de violence commises par des prêtres ou des religieux, et où l’Eglise catholique s’échine à retrouver une crédibilité morale.
Dans un texte de onze pages publié par le site américain National Catholic Register, un ancien diplomate du Saint-Siège accuse le sommet de l’Eglise d’avoir été informé de l’inconduite sexuelle du cardinal américain, Theodore McCarrick, dès 2000 et de l’avoir malgré tout nommé archevêque de Washington en novembre de cette année-là, puis cardinal.
La ” conspiration du silence “L’auteur de ce brûlot est l’archevêque émérite Carlo Maria Vigano, 77 ans, qui fut nonce (ambassadeur du Vatican) à Washington. Il met en cause nommément une série de très hauts responsables en poste au Vatican sous l’un des trois plus récents pontificats, parmi lesquels les secrétaires d’Etat (numéro deux du Vatican) de Jean Paul II et de Benoît XVI. Il va jusqu’à demander à François de démissionner pour montrer ” le bon exemple “ et permettre à l’Eglise de sortir de ” la conspiration du silence “.
Il affirme que François aurait été, quant à lui, informé de la conduite du cardinal McCarrick au plus tard en juin 2013, soit trois mois après son élection, mais qu’il aurait cependant levé une sanction infligée au prélat américain par Benoît XVI. Ce n’est qu’au mois d’août 2018, après des révélations dans la presse américaine, que le pape argentin a demandé à Theodore McCarrick de rendre son titre de cardinal.
Cet ancien poids lourd de l’Eglise américaine avait, semble-t-il, pour habitude de conduire des séminaristes dans son lit de sa maison de bord de mer. Certains d’entre eux l’ont accusé de les y avoir forcés. Un l’accuse d’avoir abusé de lui à partir de l’âge de 11 ans, une accusation jugée crédible par une enquête de l’Eglise américaine.
On ignore pour l’instant dans quel cadre Mgr Vigano, qui fut proche de Benoît XVI, a écrit ce texte. Quant à son intention, elle n’est évidemment pas d’aider le pape François, un pape dont il est notoirement éloigné et dont, avec d’autres, il fustige les signaux d’ouverture adressés, de loin en loin, à des publics longtemps bannis par le catholicisme, au premier rang desquels les homosexuels. Son texte est un étrange mélange de faits qui sembleraient être assez faciles à vérifier, du moins pour ceux qui ont accès aux archives de la curie romaine, de choses dont il dit avoir été le témoin ou l’acteur, et d’insinuations formulées sous formes de on-dit et de questions rhétoriques.
Une bonne partie du texte est une dénonciation virulente et aux forts relents homophobes de ce qu’il appelle ” des réseaux homosexuels “, comparés aux ” tentacules d’une pieuvre “, qui, dans l’ombre, tireraient les ficelles dans la haute hiérarchie catholique. Il dénonce l’existence, autour du pape, d’un ” courant homosexuel désireux de subvertir la doctrine catholique sur l’homosexualité ” et cite une ribambelle de noms de dignitaires censés en faire partie, notamment dans l’entourage de François. Il attribue une grande partie des abus sexuels commis dans le cadre de l’Eglise à la présence de prêtres homosexuels.
Un ” hiver irlandais “Mgr Vigano affirme que les autorités vaticanes auraient été informées de la conduite de Theodore McCarrick par un premier courrier en novembre 2000, qui a transité par un nonce précédent, puis par un second rapport, que lui-même aurait transmis à la secrétairerie d’Etat en décembre 2006, puis par un troisième texte en 2008. ” Tous les rapports, lettres et autres documents mentionnés ici sont disponibles à la secrétairerie d’Etat du Saint-Siège ou à la nonciature apostolique à Washington “, précise l’auteur dans une note en bas de page.
L’ancien nonce fait une autre affirmation pour le moins insolite. Selon lui, Benoît XVI aurait finalement pris des sanctions contre Theodore McCarrick en ” 2009 ou 2010 “. Le pontife allemand lui aurait imposé de ne plus vivre au séminaire, de ne plus dire la messe, de ne pas tenir de réunions en public, de ne plus voyager et l’aurait astreint à une vie de prière et de pénitence. Le problème, c’est que de telles mesures ne semblent jamais avoir été en vigueur.
Concernant François, il raconte que lors d’une rencontre avec le nouveau pape, il lui aurait dit qu’au département chargé des évêques, il y avait ” un dossier épais comme ça “ sur le cardinal McCarrick et sur son comportement avec les séminaristes et que Benoît XVI l’avait sanctionné. Mais le pontife argentin, accuse-t-il, a ” continué à le couvrir “ et n’a pas fait appliquer les sanctions.
Interrogé au sujet de cette note lors de la conférence de presse tenue dans l’avion qui le ramenait à Rome, dimanche soir, le pape François n’a même pas pris la peine de réfuter les assertions de l’ancien diplomate. ” Lisez attentivement le document et faites-vous votre propre jugement. Je ne dirai pas un mot là-dessus. Je pense que le document parle de lui-même. (…) Quand un peu de temps aura passé et que vous aurez vos conclusions, peut-être je parlerai “, a déclaré le chef de l’Eglise catholique, entre agacement et dédain.
Le pape a achevé sa visite en Irlande comme il l’a commencée : en demandant pardon pour les nombreuses sortes d’abus commis en Irlande au cours de plusieurs décennies, et qui ont été mis au jour dans les années 1990 et, surtout, 2000. Lors de la messe finale organisée à Phœnix Park, à Dublin, il a longuement demandé ” pardon pour les abus commis “ et ” pour quelques membres de la hiérarchie qui ne se sont pas préoccupés de ces situations douloureuses et ont gardé le silence “.
Quelque 300 000 personnes ont assisté à cette cérémonie sous un ciel bas, giflé par la pluie et le vent. L’archevêque de Dublin, Diarmuid Martin, a rappelé, dans un bref discours, qu’il y a quarante ans, ils étaient plus d’un million lors de la messe dite, au même endroit, par Jean Paul II. C’était avant que les crimes alors en cours ne soient connus. La foule a été souvent clairsemée lors de ce voyage.
Depuis, l’institution a connu un ” hiver irlandais “, a résumé l’archevêque, qui espère ” un nouveau printemps pour l’Eglise d’Irlande “. Dans le centre de Dublin, environ 5 000 victimes d’abus de religieux et leurs sympathisants ont, à la même heure, participé à une manifestation intitulée ” Debout pour la vérité “.
Cécile Chambraud