Le musée parisien présente la riche collection de dessins du XVIIe au XIXe siècle de Véronique et Louis-Antoine Prat.
Des collectionneurs qui ont quelques moyens financiers, il y en a beaucoup. Des collectionneurs qui ont du goût, moins. Des collectionneurs qui ont une connaissance approfondie, et intime, de l’histoire de l’art, encore moins. Véronique et Louis-Antoine Prat ont les trois, et là, c’est rarissime.
Les dessins acquis au fil des ans par le couple ne sont pas, pour la plupart, des produits finis
Ils se sont rencontrés sur les bancs de l’école, enfin, ceux de l’Ecole du Louvre, et ne se sont plus quittés. Lui y est même resté, étudiant devenu professeur, initiant les nouvelles générations aux subtilités du dessin français. Leur collection est faite de cela : un ensemble cohérent qui retrace l’histoire de cette technique, mieux encore, de « la probité de l’art », comme disait Ingres, du XVIIe au XIXe siècle.
« Probité » ? Oui, car les dessins acquis au fil des ans par le couple ne sont pas, pour la plupart, des produits finis. On a des croquetons, des esquisses, des balbutiements le plus souvent : les moments où la main n’hésite pas (enfin, pas souvent), mais où l’inspiration se cherche, ou le tableau qui s’ensuivra se construit par le trait, généralement fulgurant.
Choix assumé
Car la main en question, c’est celle de Callot, celle de Vouet, de Poussin ou du Lorrain, celle de Watteau, celle de Delacroix, d’Ingres, ou de Seurat. Entre autres… Des grands noms, mais pas que : moins connus, mais non moins passionnants, Jacques Fouquières (vers 1589-1659), qui peignit pourtant pour le roi Louis XIII, Pierre Brébiette (1598-1642) auquel on doit, ici exposé, un très surprenant Sacrifice du pucelage (c’est, en l’occurrence, un satyre qui perd sa virginité), et bien d’autres. Il s’agit moins de trophées que du coup d’œil de connaisseurs, soucieux d’affiner leur connaissance.
« Cette collection est un engagement financier énorme, reconnaît Louis-Antoine Prat, parce qu’elle représente plus des neuf dixièmes de mon patrimoine »
Pour cela, un principe, hérité des frères Goncourt : « Faire une collection dans un domaine centré et un espace temporel défini », explique Louis-Antoine Prat dans le catalogue (un modèle du genre) de l’exposition. « Véronique et moi avons donc fait le choix de collectionner essentiellement le dessin français (…), de 1600 jusqu’à Cézanne et Seurat. »
Un choix assumé après une première exposition de leur collection par le Musée du Louvre en 1995, celui de tenter d’acheter des œuvres importantes, c’est-à-dire coûteuses, celles dont on se dit « si je ne les achète pas maintenant, je n’aurai jamais d’autres occasions ». Ce fut Poussin, ce fut Seurat, et cela ne va pas sans sacrifices. « Cette collection est un engagement financier énorme, reconnaît Louis-Antoine Prat, parce qu’elle représente plus des neuf dixièmes de mon patrimoine. » Et qu’il a en face de lui des concurrents collectionneurs infiniment plus riches et tout aussi passionnés, comme les Américains Jeffrey E. Horvitz ou Leon Black.
Accrochage remarquable
A ces niveaux de prix, les musées français, Louvre en tête, sont dépassés. Pas si grave, dans la mesure où la collection Prat, du moins en partie, fait l’objet d’une donation avec réserve d’usufruit : saluons le geste.
En attendant, le couple la montre au Petit Palais, dans un accrochage remarquable et qui fait une large place à la pédagogie, classique, de l’histoire de l’art : on en retrouve tous les grands chapitres, de l’influence du « voyage à Rome », au XVIIe siècle, aux prémices de l’art moderne, avec Cézanne, en passant par la « querelle des poussinistes et des rubénistes », opposant, au XVIIe siècle, les tenants de la ligne à ceux de la couleur – ce qui, à travers des dessins, ne manque pas de saveur –, le très raffiné mais parfois grivois XVIIIe siècle, le néoclassicisme initié par David, triomphe de la vertu républicaine, puis les prémices du romantisme et de l’académisme au XIXe siècle avec, là, des esquisses spectaculaires, pour des tableaux célébrissimes, comme Les Pestiférés de Jaffa, de Gros, ou Le Songe d’Ossian, d’Ingres.
Une histoire de l’art à la papa, dauberont certains, mais qu’il est bon de connaître avant de la mettre en question. Le finale, opposant comme il se doit les pompiers aux novateurs (ou plutôt les juxtaposant), de Courbet à Seurat (ses feuilles sont à se damner), est une apothéose, avec ceci d’amusant que force est de constater qu’ils dessinent aussi merveilleusement bien les uns que les autres. Ou que le couple Prat a su choisir le meilleur de chacun.
« La Force du dessin, Chefs-d’œuvre de la Collection Prat ». Musée du Petit Palais, avenue Winston-Churchill, Paris 8e. Tél. : 01-53-43-40-00. Du mardi au dimanche de 10 heures à 18 heures, jusqu’au 4 octobre. Entrée 11 €. Catalogue, éd. Paris Musées, 328 pages, 49,90 €.