Marine Le Pen et deux de ses proches sont directement visés par l’enquête concernant les élections de 2012
En plein psychodrame politico-familial, Marine Le Pen doit, parallèlement, faire face à la menace judiciaire que fait peser sur elle l’enquête des juges Renaud Van Ruymbeke et Aude Buresi. La présidente du Front national ainsi que deux de ses proches, David Rachline, sénateur du Var et maire de Fréjus, et Nicolas Bay, député européen et secrétaire général du FN, sont désormais directement visés par les investigations.
Les magistrats, qui ont signifié mercredi 8 avril de nouvelles poursuites à Frédéric Chatillon et, en qualité de personne morale, à sa société Riwal, principal prestataire de services du FN, ont notamment étendu leur enquête à l’infraction de ” financement illégal de campagnes électorales ” – en l’occurrence les élections présidentielle puis législatives de 2012.
Dans les griefs notifiés au représentant légal de la SARL Riwal, les deux juges expliquent ainsi qu’il pourrait être reproché à Mme Le Pen d’avoir salarié ” fictivement en CDD, pendant sa campagne, deux de ses conseillers : M. David Rachline, conseiller en communication, et M. Nicolas Bay, porte-parole de campagne “. D’après les magistrats, ces salaires, ” versés par la SARL Riwal uniquement pendant les campagnes présidentielle et législatives 2012, s’analysent en dons déguisés aux candidats “.
Concrètement, M. Bay a été salarié par Riwal durant deux mois, en contrat à durée déterminée (mai et juin 2012) en tant que ” concepteur rédacteur “. Il a perçu de la société de communication 6 061 euros de revenus d’activité, plus 952 euros d’heures supplémentaires. Sur la même période, M. Rachline, officiellement embauché par la société de communication comme ” responsable de projet “, a touché 4 306 euros de revenus et 342 euros au titre des heures supplémentaires. Des sommes modiques mais qui devraient valoir à MM. Bay et Rachline d’être convoqués par les juges. Marine Le Pen devrait également être entendue.
De nombreux ” services “
Outre ces faits, qui rappellent l’affaire du financement du RPR ayant valu en 2004 à Alain Juppé d’être condamné (le RPR avait fait prendre en charge le salaire de certains de ses employés par la mairie de Paris ou par des entreprises privées), Mme Le Pen est également menacée par l’extension de l’enquête à des faits de ” financement illégal de partis politiques par une personne morale “. Une infraction retenue le 8 avril contre M. Chatillon et sa société, à qui il est reproché d’avoir, ” courant 2012 et 2013, fourni à des partis politiques, en l’espèce l’association Jeanne et le Front national, des dons, sous quelque forme que ce soit, ou des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués”.
Ces ” services ” sont nombreux, à en croire les juges : mise à disposition gratuite par Riwal au profit de l’associationJeanne, le micro-parti de Marine Le Pen, de locaux ou d’employés ; octroi par Riwal à Jeanne de crédits sans intérêts entre juin 2012 et décembre 2013 ; prise en charge de factures pour des travaux de comptabilité réalisés pour le compte de Jeanne…
Autre anomalie pointée par les magistrats : ” Le paiement d’une facture de 412 000 euros au Front national pour des prestations qui auraient pu être réalisées par des imprimeurs à des tarifs très largement inférieurs, et qui pour certaines n’ont pas été effectuées, des candidats n’ayant jamais reçu les tracts thématiques. “
Les juges évoquent aussi, toujours à propos de Riwal, ” un encours de dette permanente au Front national s’analysant en un crédit fournisseur permanent sans intérêts ayant atteint le montant de 942 767 euros le 31 décembre 2013 “.
Enfin, l’enquête porte sur des faits d'” escroquerie dans le cadre de la campagne électorale législative 2012 “. Il est reproché à Riwal d’avoir employé des ” manoeuvres frauduleuses ” en fournissant aux 525 candidats FN aux élections législatives, ” dans l’unique but de majorer des dépenses électorales remboursables “, un kit de campagne (tracts, photos, affiches, etc.) obligatoire. Ce kit, déplorent les magistrats, a été ” imposé ” aux candidats comme ” la contrepartie obligatoire de leur investiture aux élections “. Or, selon les juges, ” ce kit ne pouvait être «obligatoire» au regard du code électoral ” et ” ne correspondait pas nécessairement à leurs besoins “.
Par ailleurs, observent-ils, ” les montants forfaitaires des kits de 16 650 euros ou 9 150 euros ne correspondaient pas aux frais réels devant être engagés par chaque candidat, lesquels variaient en fonction de la taille de leur circonscription “. Enfin, ” le coût des kits était très largement surévalué, notamment car certaines prestations étaient basées sur des fausses factures “. Conclusion des magistrats : la société Riwal aurait ” trompé l’Etat français afin de lui faire remettre des fonds, valeurs ou biens quelconques, en l’espèce le remboursement des frais de campagne surévalués aux candidats sur la base de comptes de campagnes frauduleusement établis “.
Sollicitée par Le Monde vendredi matin, Mme Le Pen a renvoyé vers MM. Rachline et Bay, se contentant d’indiquer par SMS que ses deux anciens conseillers avaient ” pendant deux mois travaillé pour Riwal “. Les deux hommes n’ont pas répondu au Monde. Il n’y a ” pas de financement illégal du FN, je vous le certifie “, avait assuré le vice-président du parti, Louis Aliot, sur BFM-TV, jeudi 9 avril, ajoutant : ” Si la société – Riwal – s’est enrichie sur le Front national, c’est que le Front national est victime dans cette affaire. “
Outre M. Chatillon et Riwal, sont poursuivis le premier trésorier de Jeanne, Olivier Duguet, et son successeur, Axel Loustau. Selon nos informations, un autre ex-conseiller de Mme Le Pen devait être mis en examen, vendredi 10 avril : il s’agit de Nicolas Crochet, convoqué en tant que commissaire aux comptes du FN.
Gérard Davet, et Fabrice Lhomme
le contexte
L’autre affaire qui menace le FN
Le Front national est sous la menace d’une autre affaire judiciaire : le parquet de Paris a en effet ordonné, le 24 mars, une enquête préliminaire pour ” abus de confiance “, confiée à l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF). Le parquet général de Paris avait été saisi, le 11 mars, d’une dénonciation émanant du Parlement européen visant le statut de 29 assistants des 23 députés européens du parti d’extrême droite. Le Monde avait révélé, le 9 mars, les soupçons nourris par les services financiers du Parlement européen à l’égard de ces assistants, suspectés de bénéficier de rémunérations versées par Bruxelles, tout en travaillant exclusivement pour le FN sur le territoire français.