Sur la photo de famille des quinze chefs d’Etat et de gouvernement réunis par Vladimir Poutine dans la ville d’Oufa, au cœur du -Bachkortostan, une république de la Fédération de Russie promue, l’espace de quelques heures, capitale d’un ” monde multipolaire “, le président iranien a pris place, tout sourire. Tandis qu’à plusieurs milliers de kilomètres de là, à Vienne, en Autriche, le marathon sur le nucléaire iranien se poursuivait, Hassan Rohani, arrivé jeudi 9 juillet, s’est mêlé aux dirigeants des BRICS, le club des pays émergents formé par le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, ainsi que ceux de l’Organisation de coopération de Shanghaï (OSC), qui compte la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, le -Kirghizistan, et aux ” invités ” parmi lesquels le président d’Afghanistan, Ashraf Ghani.
Fidèle à sa stratégie qui consiste à donner à la Russie un rôle pivot sur la scène internationale, le président Poutine a tout fait pour donner à Oufa un petit air de sommet des ” non-alignés “, s’attirant au passage les compliments du premier ministre indien, -Narendra Modi, qui s’est dit ” ravi “ sur son compte Twitter d’avoir pu converser avec M. Rohani. Pas en reste, le président iranien a pour sa part remercié d’emblée son hôte pour le ” rôle joué par la Russie dans les négociations “ sur le nucléaire. ” Vladimir Poutinea noté une dynamique positive dans les discussions – à Vienne – , il a exprimé l’espoir qu’un compromis, nécessaire, sera bientôt trouvé “, a fait valoir le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. En échange, a poursuivi ce dernier, ” les Iraniens ont souligné qu’un tel règlement ouvrira de nouveaux horizons pour la coopération russo-iranienne “.
Sans attendre une éventuelle issue des discussions, le chef de l’Etat russe a donc choisi de s’immiscer, à distance, dans la résolution complexe du dossier iranien. En avril déjà, M. Poutine avait signé un décret permettant à la Russie de livrer des missiles antiaériens S-300 à l’Iran dont la livraison avait été suspendue en 2010, dans la foulée de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU restreignant les livraisons d’armes à la République islamique. A Oufa, mercredi, devant la presse, le ministre des affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, s’est fait un peu plus pressant : ” Nous prônons en premier la levée de l’embargo sur les armes en Iran. “
Motif tout trouvéPour le chef de la diplomatie russe, les sanctions prises sous l’égide de l’ONU, soigneusement distinguées de celles adoptées en sus par les Occidentaux, n’ont plus lieu d’être. ” Il est temps de lever cet embargo, a souligné M. Lavrov, cela fait longtemps que l’objectif, remettre l’Iran à la table des négociations, est réalisé. C’est pourquoi, nous prônons une levée de l’embargo sur les armes aussi rapide que possible, d’autant plus que l’Iran est convaincu de la nécessité de lutter contre l’Etat islamique, d’éradiquer ce mal dans la région et dans le monde entier. “ Le motif est donc tout trouvé. Selon M. Lavrov, cela ” aidera l’Iran à renforcer ses capacités militaires dans la lutte contre le terrorisme “. Et dans ce domaine aussi, Moscou a bien l’intention de se placer aux avant-postes.
A Vienne, les déclarations russes ont crispé davantage encore le climat des négociations qui sont entrées dans une phase critique. Signe des tensions en cours, John Kerry, le secrétaire d’Etat américain, a clairement laissé entendre, jeudi en début de soirée, que les pourparlers n’allaient pas s’achever avant jeudi à minuit aux Etats-Unis (6 heures du matin vendredi, en Europe), échéance au-delà de laquelle le Congrès américain disposera de soixante jours, au lieu de trente, pour examiner le texte d’un accord final. ” Nous n’allons pas nous précipiter et nous ne serons pas mis sous pression “, a-t-il affirmé. Avant d’ajouter : ” Mais nous n’allons pas non plus rester assis indéfiniment à la table des négociations. “
Les récriminations fusaient de partout, jeudi soir, à Vienne, les délégations multipliant les apartés avec la presse, dans un climat d’extrême confusion. Une source iranienne a ainsi critiqué l’attitude américaine et ” son obsession avec les sanctions “, une référence explicite à l’embargo sur les armes.
Derniers blocagesDes proches des négociations ont confirmé que cette question fait partie des derniers blocages à surmonter entre l’Iran et les pays du ” P5 + 1 ” (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni, Allemagne). Les Iraniens ont toujours dénoncé cet embargo, jugeant qu’il n’avait pas de lien direct avec le dossier nucléaire. Et ils veulent à tout prix obtenir des assurances sur sa levée dans un accord définitif, craignant que, s’ils laissent passer cette occasion, leur marge de manœuvre sera considérablement réduite par la suite.
” On savait que l’embargo sur les armes était un enjeu éminemment politique et qu’il serait abordé à la fin “, remarque un diplomate. ” Et on savait aussi que les Russes et les Chinois sont plus mous là-dessus “, dit-il. Toutefois, poursuit-il, ” ça peut s’aménager, on peut faire ça dans la durée “. Mais il est hors de question que la levée de l’embargo sur les armes se fasse rapidement, car cela enverrait ” un message politique obscène “, notamment à Israël et aux pays du Golfe, vent debout contre un accord. Les dernières discussions, observe un autre diplomate, sont ” très, très, dures “. Et, à ce stade, rien ne garantit qu’un accord puisse être trouvé.
Isabelle Mandraud et Yves-Michel Riols