C’est un épais document synthétique qui, en 170 pages, présente le programme de réformes que le gouvernement français a déjà mis en œuvre ou s’apprête à entreprendre. Avec cet agenda, joint au programme de stabilité budgétaire qui sera officiellement transmis à Bruxelles avant fin avril, le gouvernement entend convaincre ses partenaires européens que la transformation en profondeur de l’économie française est bel et bien engagée. Et qu’il ne fera pas machine arrière, quelles que soient les résistances auxquelles il se heurte dans son camp et le déni de légitimité qu’il affronte dans le camp d’en face.
Au terme des huit chapitres de réformes qu’il détaille (réforme territoriale, réduction du coût du travail et amélioration de la compétitivité, simplification de la réglementation et ouverture pour les marchés des biens et services, transition énergétique, investissement et soutien à l’innovation, fonctionnement du marché du travail et dialogue social, accompagnement et soutien des populations les plus éloignées de l’emploi, éducation), en réponse aux recommandations de la Commission européenne, le gouvernement évalue l’impact de celles-ci à 4 points de croissance du PIB, dont 1,7 point pour les réformes non encore effectives.
” En prenant en compte l’ensemble de ces réformes, y compris celles qui seront engagées d’ici début 2016, les travaux d’évaluation en cours suggèrent que l’impact devrait être au moins de l’ordre de 4 points de PIB à l’horizon 2020, avec des effets significatifs sur la croissance potentielle à court terme “, estime le gouvernement. L’ensemble des mesures engagées ou qui vont l’être devrait permettre la création de 870 000 emplois, toujours à l’horizon 2020. Selon le document, les mesures en faveur de la compétitivité (crédit d’impôt compétitivité emploi et pacte de responsabilité) devraient générer à elles seules 1,7 point de croissance et 500 000 emplois. ” Ces évaluations sont autant d’encouragements à persévérer dans cette voie avec détermination “, écrit le gouvernement, écartant résolument les inflexions ou le changement de cap auxquels le presse une partie de sa majorité.
Bien sûr, l’exercice est un peu formel et, à une échéance de cinq ans, soumis à de multiples aléas. Le gouvernement a cependant, cette année, après plusieurs mois de tensions avec la Commission européenne, mis un soin tout particulier à rassurer ses partenaires sur sa volonté de mettre en œuvre ses réformes. Même si, sur le fond, il n’y a pas à proprement parler de révélation.
Changement de donnePour l’heure, la Commission, qui vient juste de prendre connaissance de ces documents, reste très prudente. Ses services ont besoin d’un peu de temps pour les analyser. Elle ne se prononcera officiellement que lorsqu’elle publiera ce que, dans le jargon bruxellois, on appelle les ” recommandations spécifiques par pays “, aux alentours de la mi-mai, après qu’elle aura publié ses prévisions économiques de printemps.
Cependant, avec l’amélioration de la conjoncture économique partout en Europe, la donne a changé par rapport à février. La Commission avait alors accordé à la France deux années de délai supplémentaire pour parvenir à un déficit public sous les 3 % en 2017, mais exigeait en retour 4 milliards d’euros d’économies supplémentaires au titre de 2015, afin de parvenir à un déficit structurel de 0,5 % du PIB. Elle réclamait aussi un ” programme ambitieux et précis “ de réformes.
Aujourd’hui, Bruxelles réclame toujours les 4 milliards d’économies supplémentaires pour 2015. ” Nous serons attentifs à ce que ces 4 milliards correspondent bien à des mesures d’économies structurelles “, précise au Monde le commissaire à l’économie, Pierre Moscovici. Quant au programme national de réformes, ” il sera examiné au prisme de sa capacité à créer de l’emploi et de la croissance “, explique-t-il. ” Mais il est vrai qu’il y a un fait nouveau : les chiffres du déficit français 2014, qui servent de base pour définir la trajectoire pour les années suivantes, se sont considérablement améliorés. Il serait absurde de ne pas en tenir compte, la Commission n’est pas un organe rigide “, assureM. Moscovici.
De là à dire que Paris est débarrassé de la pression de Bruxelles pour les deux années qui viennent, il y a un pas. La Commission ne fera aucun cadeau à Paris. Elle ne peut tout simplement pas se le permettre après la décision difficile, et très controversée en son sein, d’accorder un délai de deux ans à Paris. Plusieurs commissaires européens – l’Allemand Günther Oettinger, le Letton Valdis Dombrovskis, la Danoise Margrethe Vestager, la Suédoise Cecilia Malmström, le Finlandais Jyrki Katainen – avaient alors émis de fortes réserves, certains prônant même des sanctions. Ils s’inquiétaient que la France, qui s’est avérée incapable, ces dix dernières années, de tenir ses promesses de discipline budgétaire, bénéficie à nouveau d’un traitement de faveur.
” L’objectif de la Commission n’est pas la sanction mais de convaincre les Etats membres de la nécessité de faire les réformes nécessaires pour créer de l’emploi et de la croissance “, rappelle M. Moscovici. Mais la mise sous surveillance de Paris n’est pas exclue si le programme de réformes est jugé insuffisant.
Cécile Ducourtieux, (à Bruxelles), et Patrick Roger