Les faits – Le maire de Rome, Ignazio Marino, a ordonné un audit sur une série de contrats passés par la ville à la suite de révélations sur des liens entre la classe politique et le crime organisé dans la capitale italienne, suite à un vaste coup de filet avec37 arrestations la semaine dernière. Une quarantaine d’autres suspects, dont l’ancien maire Gianni Alemanno, sont visés par l’enquête.
On connaissait la Camorra napolitaine, la Cosa Nostra sicilienne ou encore la N’drangheta calabraise. Ces organisations criminelles ont maintenant une sœur romaine. « Mafia Capitale », c’est le nom du coup de filet mené le 2 décembre contre une cellule mafieuse et néofasciste qui agissait en toute impunité au sein de l’administration communale : 37 arrestations et une centaine de mises en examen ont permis de mettre à jour un scandale de corruption sans précédent ; 350 personnes et sociétés sont concernées et des biens pour une valeur de 205 millions d’euros ont été saisis. Les conclusions de cette enquête qui a duré deux ans sont consignés dans un rapport de 1200 pages.
De la gestion des ordures aux transports publics en passant par la prise en charge des demandeurs d’asile, la structure mafieuse s’octroyait les juteux marchés publics en échange de pots-de-vin versés aux élus et aux fonctionnaires. Première visée par ce cyclone judiciaire, l’administration de l’ancien maire de droite Gianni Alemanno à la tête de la ville de 2008 à 2013 qui a encaissé 75.000 euros pour sa dernière campagne électorale et 40.000 euros pour sa fondation politique. Le scandale éclabousse également certains membres du Parti démocrate de l’équipe de l’actuel maire Ignazio Marino.
Comme toute mafia, celle-ci avait son parrain qui aimait se présenter comme le « Roi de Rome » Massimo Carminati, 56 ans, surnommé « le Borgne » après la perte d’un de ses yeux durant une fusillade avec la police en 1981. Militant du groupuscule néofasciste Nar impliqué dans l’attentat de la gare de Bologne en 1980, il était connu dans le Milieu pour être l’une des figures de la « bande de la Magliana » association criminelle ayant fait main basse de manière violente sur le marché de la drogue, du jeu et de la prostitution dans la Rome des années 70. Massimo Carminati, s’inspirant de «la terre du milieu» de Tolkien, expliquait à son bras droit, dans une conversation enregistrée par les carabiniers : « Il y a les vivants (entrepreneurs et hommes politiques) au-dessus et les morts (petits criminels) en dessous. Et nous sommes au milieu, dans ce monde du milieu où tout le monde se rencontre. »
On ne trouve pas trace d’idéologies, de Borsalinos ou de sulfateuses dans le monde de cette mafia romaine mais beaucoup d’enveloppes généreusement distribuées aux édiles pour truquer les marchés publics et se rendre indispensable pour les services rendus. « Les mafias ont changé, explique le procureur de la République en charge de l’affaire Giuseppe Pignatone, elles n’ont plus besoin de recourir à la violence pour créer de l’assujettissement ». Celle de Rome avait même instauré une forme de salariat payant entre 2500 et 15.000 euros par mois ses hommes relais au sein de l’administration communale.
Un vaste système de corruption qui expliquerait, outre la décrépitude de Rome, son déficit de 816 millions d’euros et sa dette de 22 milliards d’euros trouvés par Ignazio Marino élu le 10 juin 2013. Un mois après, il confiait déjà dans une interview sa conviction d’infiltrations mafieuses et demandait au ministère de l’Economie et des Finances d’éplucher les comptes de sa ville. Il se rendra six fois en un an chez le procureur Giuseppe Pignatone. Alors que sa popularité était en chute libre, Ignazio Marino, dont la probibité n’est pas en cause dans cette affaire, sort renforcé. Mais alors que le parquet annonce que l’enquête porte aussi sur les autorités régionales du Latium, le préfet de Rome étudie la possibilité de dissoudre le conseil municipal. Un préfet qui a également demandé au maire de « renforcer sa propre sécurité suite à de possibles menaces émanant d’organisations dangereuses.»
Les autorités craignent surtout le coup sévère porté à l’image de la Ville éternelle. La capitale d’un pays qui, ironie du calendrier, le jour même où éclatait ce scandale de corruption, apprenait que le rapport de Transparency International le plaçait parmi les moins vertueux en la matière: 69e sur 175, au même rang que la Grèce et la Bulgarie.