” L’Europe reste un Moloch qui exclut les citoyens “.

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Rome, Hôtel Forum, vue sur le Colisée. Beppe Grillo, le dirigeant populiste du Mouvement 5 étoiles (M5S) a voulu rencontrer Le Monde : ” Il me semble que les Français ont une fausse image de moi. “ Depuis son succès aux élections de février  2013, l’ancien comique italien s’est fait voler la vedette en Italie par le premier ministre Matteo Renzi et en Europe par le dirigeant grec, Alexis Tsipras. Attentif, préparé et calme, il cherche aussi à ne pas se faire oublier.

L’Union européenne propose d’établir des quotas par pays pour accueillir les migrants. Êtes-vous d’accord ?

C’est une proposition beaucoup plus sensée que celle de bombarder les rafiots qui partent de Libye pour rejoindre l’Italie. Nous avons besoin de preuves d’intelligence, pas d’actes de guerre. Elle s’ajoute à d’autres mesures essentielles : sauver des vies en mer, créer des structures pour sélectionner les candidats à l’immigration et réformer le traité de Dublin. Mais ce n’est que le début d’une solution. Notre économie empêche les pays d’Afrique d’assurer leur propre développement.

La sortie de l’euro est-elle toujours votre priorité ?

Oui. Depuis l’entrée de l’Italie dans l’euro, la production industrielle a baissé, le chômage a augmenté et l’Allemagne est devenue plus riche. Personne n’a demandé aux Italiens leur avis pour entrer dans l’euro, raison de plus pour les consulter par référendum pour savoir s’ils veulent en sortir.

Comment jugez-vous le travail du ministre des finances grec, Yanis Varoufakis ?

Il fait un boulot extraordinaire. Mais si la Grèce ne sort pas de l’euro, il n’y aura pas de solution à long terme. Les Grecs ont obtenu 250  milliards d’euros de prêts, dont 200 étaient aux mains des banques étrangères. On aurait pu sauver le pays d’une manière indolore pour l’Europe. Mais les banques veulent retrouver leur argent. Ensuite, elles se désintéresseront de la Grèce. La même chose arrivera en Italie.

Il y a un an, 17 députés du M5S étaient élus au Parlement européen…

A Rome comme à Strasbourg, l’accueil a été le même. Nos élus, associés à ceux de Nigel Farage – chef du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, UKIP – , auraient normalement eu droit à des vice-présidences. La pratique a été changée pour nous éliminer de toute charge institutionnelle. Pourtant, il s’agit d’hommes et de femmes très préparés, ce qui change des autres députés italiens qui sont souvent les ” bras cassés ” de la politique. Fondamentalement, l’Europe reste un Moloch fondé sur la complexité afin d’en exclure les citoyens.

Le retour de la croissance, c’est une victoire pour le premier ministre, Matteo Renzi ?

Le produit intérieur brut augmente de 0,3  % parce que le prix du pétrole a baissé, que l’euro s’est dévalué et que la Banque centrale européenne a remis de l’argent en circulation. C’est un répit qui soulage les financiers qui ont porté Renzi au gouvernement. La croissance ne pourra rien contre le chômage. La robotique, l’innovation vont faire disparaître 40  % des emplois dans les quinze prochaines années.

C’est la raison pour laquelle le M5S propose l’instauration d’un revenu citoyen minimum ?

Oui. 780  euros pour les chômeurs et les petits retraités, ce qui correspond selon les enquêtes au seuil de pauvreté. En échange, son bénéficiaire ne pourra pas refuser plus de trois offres de travail et devra accepter de donner 8  heures de son temps pour la communauté. Aujourd’hui, le concept de pauvreté est dépassé, certaines personnes sont vraiment dans la misère.

Quelle sera votre attitude sur d’autres réformes telles que le contrat d’union civile pour les couples homosexuels ou l’instauration du droit du sol ?

Nous n’avons pas de contre-indications sur le contrat d’union civile. Mais nous ne sommes pas d’accord pour accorder la nationalité italienne à toute personne née en Italie. Nous n’avons plus de place ni de travail.

Malgré son succès aux élections nationales de 2013, le M5S a du mal à émerger dans les autres scrutins. Comment l’expliquez-vous ?

Aux européennes, les jeunes n’ont pas voté. Or ils constituent le cœur de notre électorat. Le mouvement est jeune. Il faut du temps pour faire émerger une nouvelle ” classe dirigeante “. Mais si aujourd’hui on parle de revenu citoyen, du pouvoir des banques, c’est grâce à nous. La presse nous a fait passer pour des enfants, des branquignols de la politique. Nous nous sommes peut-être éloignés du terrain et de nos militants.

Vous avez désigné une équipe de cinq personnes pour diriger le M5S en vous disant un ” peu fatigué “. Pourtant vous êtes toujours là.

Le Mouvement, c’est 1 500 élus locaux, 135 parlementaires, 17 députés européens et 11 maires. C’est ingérable pour un homme seul. Je suis le gardien des règles du mouvement, mais pas son surveillant général. Un jour, il pourra se passer de moi, mais c’est encore un peu tôt.

Le spectacle vous manque ?

Oui bien sûr. De temps en temps, j’improvise des petits spectacles dans les restaurants d’autoroute où je m’arrête avec les gens qui se trouvent là.

J’adore leur parler, entendre leurs histoires, stimuler leur réaction. C’est plus utile que les paroles des experts. Je me nourris des mots des autres. Mais attention, je ne les copie pas : je les vole !

propos recueillis par Philippe Ridet