La guerre est donc déclarée. Enjeu : rien de moins que l’avenir de l’Europe. Les deux camps : Orban versus Macron. Le premier ministre hongrois ultraconservateur, héros des souverainistes et des antimigrants du Vieux Continent, face au président français libéral, chantre de l’approfondissement de l’Union européenne et ” progressiste ” autoproclamé. Les hostilités ont été engagées lorsque Viktor Orban, venu rendre visite au ministre de l’intérieur d’extrême droite italien, Matteo Salvini, mardi 28 août, a fait d’Emmanuel Macron ” le chef du parti des promigrants ” en Europe et son adversaire majeur en vue des élections européennes de mai 2019. ” S’ils ont voulu voir en ma personne leur opposant principal, ils ont raison “, leur a répondu, dès le lendemain, le président français.
Les deux hommes veulent faire croire que tout les oppose en vue du scrutin européen. Le premier entend réduire l’Europe à une organisation intergouvernementale, qui se contenterait d’assurer la liberté de circulation, de fermer ses portes à toute immigration et de verser des fonds structurels. Le second veut au contraire créer de nouvelles agences communautaires, y compris la gestion de l’asile, créer un budget de la zone euro et cesser de payer pour les pays qui attentent à l’Etat de droit, comme la Hongrie de Viktor Orban. Pour atteindre leurs objectifs, les deux hommes ont besoin d’obtenir le maximum d’eurodéputés. Cliver leur permet de se distinguer pour mieux compter leurs alliés. Côté Orban, Matteo Salvini fait figure de principal soutien. Le ministre de l’intérieur italien, chef de la Ligue (extrême droite) a promis à ses côtés ” un tournant historique pour l’Europe “. Autre allié naturel, le Polonais Jaroslaw Kaczynski, chef de file du parti Droit et justice (PiS) au pouvoir. Celui-ci a tenu un discours remarqué le 3 septembre pour dénoncer ” l’européanisme “ quand il signifie ” une obéissance aveugle à Bruxelles “. Sans nommer le dirigeant hongrois, il a repris sa rhétorique en fustigeant ” les erreurs de l’Occident “ et les ” maladies sociales qui y règnent “, faisant de l’UE un simple outil ” d’augmentation du niveau de vie des Polonais “. ” Le choix des européennes 2019 sera bien celui entre l’UE de Macron, en marche vers le fédéralisme et l’immigration de masse, et l’Europe des nations libres, des identités et des protections que nous représentons ! “, veut croire Marine Le Pen.
A l’opposé, Emmanuel Macron a pu compter sur les propos conciliants venus, entre autres, de Suède, où l’extrême droite est en forte progression dans les sondages avant les élections législatives du 9 septembre. Le 29 août, sa ministre des affaires étrangères, la sociale-démocrate Margot Wallström, a dénoncé les projets de MM. Orban et Salvini, qui ” veulent former une alliance contre “les démocrates et la gauche” “. Le président français a aussi engrangé le soutien du premier ministre finlandais (centriste), Juha Sipilä, à l’occasion de sa tournée à Helsinki, jeudi 30 août, celui-ci affirmant que les leaders européens ont le devoir de ” présenter une option claire contre l’extrême droite et le message populiste “.
” basée sur la solidarité “Les chefs de gouvernement de gauche d’Europe du Sud (Portugal, Grèce, Espagne) font aussi figure d’alliés naturels d’Emmanuel Macron : ils sont favorables à ses propositions sur la zone euro, tout en s’opposant à la xénophobie revendiquée de M. Orban. En Espagne, ce soutien va même jusqu’à l’opposition de droite. Celle-ci prône une “ réponse européenne basée sur la solidarité “ en matière migratoire, explique Francisco Martinez, député du Parti Populaire (PP, droite) et ancien secrétaire d’Etat à l’intérieur : ” Ici, personne n’accepterait les positions de Viktor Orban ou de Marine Le Pen. ”
En Belgique, l’ex-chef de gouvernement libéral flamand Guy Verhofstadt s’engage résolument pour M. Macron, avec lequel il est en discussion pour former, si possible d’ici à janvier, une liste commune pour les européennes. ” L’alternative au clivage nationalisme/populisme ne peut être qu’une vision clairement prœuropéenne “, affirme le président du groupe libéral au Parlement européen. Mais ces prises de position tranchent avec celles de beaucoup d’autres responsables politiques européens, qui refusent de se faire embarquer dans un clivage Orban/Macron. En Belgique ou aux Pays-Bas, les libéraux au pouvoir sont ainsi restés très discrets sur la question, avant de rencontrer M. Macron, jeudi 6 septembre. Le Belge Charles Michel gouverne en coalition avec les nationalistes flamands quand M. Macron fustige le ” nationalisme “. Quant aux dirigeants néerlandais, sous pression des eurosceptiques, ils réduisent cette opposition à un phénomène passager, se méfiant tant d’Orban que de la propension française à vouloir approfondir l’Union.
Le premier ministre danois, Lars Lokke Rasmussen, s’est, lui, livré à un difficile exercice d’équilibriste en recevant M. Macron le 28 août. Incapable de cacher sa sympathie pour un chef d’Etat reçu en superstar au Danemark, mais ne pouvant pas occulter les divergences qui l’opposent au président français sur l’avenir de l’UE, M. Rasmussen avait affirmé que l’heure n’est ” pas aux grandes réformes de fond “. Nombre de partis de gauche et sociaux-démocrates européens refusent aussi de s’inscrire dans ce clivage apparent, à l’instar de La France insoumise, qui ne veut pas choisir entre le projet souverainiste de Orban et Salvini, et le projet libéral de Macron.
Mais les propos les plus durs viennent d’Allemagne. Pour Norbert Röttgen, membre de la CDU, le parti d’Angela Merkel, et président de la commission des affaires étrangères au Bundestag, le président français a eu tort. ” La déclaration de M. Macron n’était pas utile. En disant cela, il fait un cadeau à MM. Orban et Salvini car c’est exactement ce qu’ils cherchent “, estime-t-il. ” Si M. Macron veut être le leader d’un camp, il ne peut pas être le leader de l’Europe. Nous devons nous battre pour l’unité de l’Europe et non pour sa division. “ Katja Leikert, vice-présidente du groupe CDU-CSU au Bundestag, abonde : ” La question n’est pas de faire un concours pour savoir qui est le meilleur Européen, mais de trouver une façon de travailler ensemble. “
Plusieurs raisons expliquent la volonté des conservateurs allemands de se tenir à l’écart de cette querelle. La première est liée à l’appartenance commune de la CDU-CSU et du Fidesz, le parti de M. Orban, au Parti populaire européen (PPE). ” Beaucoup de députés CDU-CSU ont naturellement plus de sympathie pour Macron que pour Orban, mais la CDU-CSU ne veut pas rompre avec Orban car elle préfère le garder à l’intérieur du PPE plutôt que de le voir partir et s’allier avec l’extrême droite “, explique Olaf Wientzek, spécialiste des questions européennes à la Fondation Konrad Adenauer, proche de la CDU. Manfred Weber, qui candidate pour diriger la campagne du PPE pour les élections européennes, a ainsi toujours refusé de condamner les dérives du premier ministre hongrois. Sur certains sujets, comme l’immigration, la CSU défend de surcroît une ligne plus proche de celle de M. Orban que de M. Macron.
” Éviter la polarisation “Du côté des alliés potentiels d’Orban, nombreux sont aussi ceux qui refusent de le suivre dans sa croisade anti-Macron. ” Il faut éviter la polarisation. Diaboliser l’autre ne sauvera pas l’Europe “,affirme ainsi une source proche de Sebastian Kurz, le chancelier autrichien conservateur associé à l’extrême droite à Vienne.L’Autriche rechigne à considérer l’Europe centrale et orientale comme alignée derrière Budapest, les pays de la région n’étant pas toujours sur la même ligne. ” Je ne prends pas de position particulière dans cette élection “, indique au Monde Andrej Babis, premier ministre tchèque : ” Nous sommes chez les libéraux, il n’y a aucune raison que cela change “.
Pour l’eurodéputé polonais Zdzislaw Krasnodebski, pourtant membre du PiS, ” l’Europe d’Angela Merkel n’est pas vraiment celle que voudrait M. Macron. De même, M. Macron mène une politique migratoire très dure, dont la prétendue Europe d’Orban n’a pas le monopole. La carte des clivages est beaucoup plus complexe. “ Une complexité qui relativise le clivage entre les deux hommes.
Jean-Baptiste Chastand avec nos correspondants