Cette année, entreprises et associations ont pris le pas sur les nations, y compris au niveau architectural
Il faut être ingambe et pétri d’une bonne dose d’enthousiasme pour avaler, aller et retour, l’alignement des 147 pavillons nationaux de l’Exposition universelle qui a ouvert le 1er mai à Milan (jusqu’au 31 octobre). Etendu sur près de 110 hectares (une superficie cinq fois inférieure à celle de Shanghaï en 2010) de part et d’autre d’un imposant axe majeur de 1,5 kilomètre inspiré du decumanus des anciens camps romains, le site de l’événement planétaire est planté à l’écart de la ville, au coeur d’un entrelacs peu amène de voies ferrées et d’autoroutes.
C’est dans ce cadre que doit s’illustrer l’effort consenti par la plupart des pays du monde – à l’exception de l’Inde, grande absente – en faveur d’un seul et même thème choisi par les organisateurs italiens : ” Nourrir la planète-Energie pour la vie “. Noble programme s’il en est, mais qui a accouché, à de rares exceptions près, d’une indigeste surenchère de constructions architecturales.
Dans le fond, rien ne permet de distinguer une grande foire commerciale d’une Exposition universelle, sinon les moyens dont disposent ses exposants. Pour les nations présentes, l’occasion est trop belle et trop rare de pouvoir mesurer leurs attraits respectifs, cette année essentiellement façonnés dans le bois, matériau à l’image toujours sage et respectable, ou parés d’une candeur virginale. La multitude des espèces végétales qui ont été plantées occupe aussi une place de choix. Leurs transformations seront perceptibles, nous promet-on, tout au long des six mois que doit durer la manifestation.
Vindicte populaire
A ce concours de beauté vertueuse qu’impose la thématique italienne, de nouveaux candidats se sont joints. Les ” boutiques nationales ” voisinent désormais avec des marques qui, elles aussi, tentent de se distinguer moins par leurs atours architecturaux que par la présence de leurs logos.
Légèrement en retrait de l’axe majeur, non loin de l’extrémité Est du site, mentionné parmi les quelques lieux de ” pause pour la famille ” sur le plan officiel remis à chaque visiteur, McDonald’s, l’un des sponsors de la manifestation, s’est glissé entre les pavillons du Qatar et du Turkménistan. Encore plus discret, Coca-Cola a posé son édifice très corporate, grand comme quatre courts de tennis, dans un des périmètres les plus tranquilles de l’Expo en surplomb du jardin bio-Mediterraneo.
La présence de ces industries alimentaires n’a pas été du goût des NoExpo, les opposants à la tenue de l’événement, dont plusieurs dizaines de milliers, et pas seulement la centaine de casseurs de fin de cortège, ont défilé dans les rues de Milan, vendredi 1er mai. Plus chanceux en raison de sa moindre exposition à la vindicte populaire, Lindt et sa façade bleue s’est trouvé une place de choix à proximité de l’entrée principale, au sein même du ” cluster ” cacao et chocolat, qui voisine avec celui du riz et du café.
Installé tout au long de l’intégralité du ” cardo “, l’axe secondaire du site, perpendiculaire au decumanus, qui s’achève par l’Arbre de la vie (” l’objet de l’Expo qui sera le plus photographié “, promettent les organisateurs), le pavillon de l’Italie n’a, quant à lui, pas hésité à faire étroitement voisiner dans un même ensemble les vitrines de ses régions et celles d’enseignes nationales réputées (Granarolo, San Pellegrino, Martini & Rossi, Lavazza…) non sans créer une certaine confusion pour le passant inattentif.
En raison du caractère payant de leurs produits, et de leur expérience en la matière, les marques commerciales sont toutefois moins exposées à la pression continue du public. A l’inverse, les pavillons nationaux, dont la visite des expositions est libre et gratuite, ne pouvaient rester indifférents à la manne que représente cet afflux de visiteurs qu’ils doivent non seulement attirer mais aussi être capables de faire patienter en cas de saturation des espaces intérieurs : 200 000 personnes auraient parcouru le site à l’occasion de la première journée. Le principe qui en résulte est quasiment le même pour tous les pavillons.
Trois temps semblent définir leur organisation. Celui de la gestion de la file d’attente, généralement accompagnée de distractions (images animées, musique) ; celui de la circulation dans l’espace d’exposition (de l’entrée vers la sortie, et surtout pas l’inverse) ; enfin celui de la boutique, généralement relié au précédent, voire du café, et parfois du restaurant. L’exercice offre de nombreuses variations.
Tandis que le pavillon des Etats-Unis (Food 2.0) a choisi la voie directe permettant au visiteur de le parcourir à grandes enjambées – ce qui suscite l’impression qu’il n’y a pas grand-chose à voir -, celui du Qatar a opté pour une circulation hélicoïdale au coeur de laquelle des effets lumineux difficilement lisibles accompagnent dans une semi-pénombre la déambulation continue des visiteurs. Les Allemands ont davantage misé sur un parcours sinueux ponctué de contenus informatifs nécessitant un temps d’assimilation beaucoup plus long.
Paysage renversé
Quant aux Français, ils ont choisi de promouvoir un circuit court à l’échelle – modeste – de leur pavillon. Constitué d’un entrelacement sophistiqué de poutres de bois, imaginé par les architectes Anouk Legendre et Nicolas Desmazières de l’agence X-TU, il réinterprète le modèle du marché couvert. Après avoir exagérément étiré les reliefs de l’Hexagone qu’ils ont modélisé, ils ont retourné l’ensemble et créé un paysage renversé où vient s’accrocher la profusion des produits issus des terroirs.
La question relative au gaspillage et aux déchets est étonnamment absente de l’Exposition. Seule exception : la ” place de la biodiversité ” que gère l’association italienne Slow Food. Isolé à la toute extrémité du site, loin de sa rumeur permanente, l’espace se compose de trois halles légères en bois (un théâtre, un espace d’exposition et une zone de dégustation) qui forment un triangle. Au coeur de l’ensemble, de grands bacs en bois naturel accueillent des plantes.
Le lieu, d’une grande sérénité, a été conçu par les architectes suisses Herzog et de Meuron. Ce sont eux que l’ancienne maire de Milan, Letizia Moratti, avait sollicités, dans un premier temps, pour concevoir le master plan de l’Expo universelle. ” Nous avons accepté à la condition que l’on abandonne l’idée passéiste d’une exposition seulement fondée sur des monuments architecturaux et des shows vaniteux au service des fiertés nationales “, expliquent-ils. Ils n’ont finalement pas été retenus.
Jean-Jacques Larrochelle