A la veille des législatives en Grèce, Constantin Tsoukalas, intellectuel engagé et candidat de Syriza, dénonce les ravages de l’austérité
Constantin Tsoukalas est l’un des intellectuels engagés les plus célèbres de Grèce. Ce sociologue, ami de l’ancien premier ministre socialiste Costas Simitis (1996-2004), a accepté de prendre la tête de la liste d’Etat de Syriza, dont il n’est pas membre, mais qu’il soutient activement depuis la crise.
Le système électoral grec permet aux partis de désigner des personnalités qui ne sont pas soumises aux votes, mais sont élues au prorata des voix obtenues. Douze députés entrent ainsi à la Chambre. Avec le parti de la gauche radicale en passe de gagner les élections législatives organisées dimanche 25 janvier, Constantin Tsoukalas, 77 ans, devrait faire son entrée au Parlement.
Le sociologue a toujours fait entendre sa voix, par le biais des médias ou de ses livres, où il décortique les rapports de force au sein de l’Etat grec. Il a franchi le pas face à l’urgence sociale.
” Pensée à court terme ”
Son engagement est aussi provoqué par son inquiétude sur la situation de l’Europe : ” Je ne pouvais pas refuser, car c’est une aventure importante pour la Grèce, mais aussi pour l’Europe. Ce qui va se passer en Grèce est le début d’une mutation profonde de l’Europe politique et démocratique. Les tendances néolibérales en Europe risquent de faire éclater l’édifice social, politique et idéologique le plus important du XXe siècle. ”
Les mesures imposées par la ” troïka ” des bailleurs de fonds (Banque centrale européenne, Fonds monétaire international, Commission européenne) ont été, selon lui, une catastrophe. ” La Grèce était le maillon le plus faible. On lui a appliqué cette politique d’austérité et de dévaluation interne et le niveau de vie de la majorité de la population a baissé de 30 % à 50 %, en expliquant qu’il n’y avait pas d’alternative. Quand on parle d’une Europe du Nord et du Sud, on parle d’éclatement du continent. Quand Jacques Delors était responsable de la politique européenne – il a présidé la Commission européenne de 1985 à 1995 – , on ne parlait pas d’une Europe à deux vitesses. ”
Constantin Tsoukalas espère qu’une victoire de Syriza rendra l’Europe technocratique un peu moins sourde au changement. Il cultive la nostalgie de cette institution bruxelloise qui n’hésitait pas à ” penser sur le long terme “. Face à cette crise politique de l’Europe, les dirigeants ” pensent à très court terme “. ” Ils ne nous parlent que d’aujourd’hui, la vision n’existe pas “, regrette-t-il. Il reste pourtant un Européen ” optimiste “. ” Le danger de la montée de l’extrême droite montre qu’il faut reconsidérer les assises économiques et sociales de cette expérience unique dans le monde. Il n’y a rien de plus antieuropéen que cette extrême droite qui peut faire éclater cet édifice européen. ” Pour lui, l’Europe est obligée de réagir : ” Le seul moyen de lutter contre ces tendances destructrices, c’est de construire une alternative sociale et cela passe par un élargissement substantiel de la gauche européenne. ”
” Le tissu social se déchire ”
Son appartement de Kolonaki, dans le centre d’Athènes, est rempli de livres de toutes les époques et dans toutes les langues. Comme de nombreux intellectuels grecs, il est venu s’installer à Paris en 1967 au moment du coup d’Etat des colonels. Aujourd’hui, cette Grèce lui fait mal. ” Le taux de suicides a augmenté alors qu’il était très bas. C’est la même chose pour les dépressions. Le tissu social est en train de se déchirer. Les familles se dispersent. La notion même de famille, si fondamentale en Grèce, est en question. L’élément le plus important de la crise actuelle, c’est que toutes les soupapes de sécurité que s’étaient créées les Grecs sont en train d’éclater. ”
La perspective d’une victoire de Syriza réjouit cet ancien membre du Parti communiste de l’intérieur – ainsi nommé car son siège était à Athènes, et non à Moscou, comme le stalinien Parti communiste de l’extérieur. Mais il sait que le plus dur reste à accomplir : ” C’est la première fois que cette gauche-là peut prendre ses responsabilités. Si elle échoue, ce sera une catastrophe. ”
Alain Salles