Les faits – Le sujet du vote est, a priori, technique : faut-il déclasser la parcelle du Parc des expositions de la Porte de Versailles sur laquelle doit être construite une tour triangulaire de 160 mètres de hauteur, dessinée par les architectes Herzog et de Meuron ? Il est, en fait, extrêmement politique. Anne Hidalgo joue gros sur ce projet, dont elle a fait le fer de lance de sa mandature. Nathalie Koscisuko-Morizet aussi, qui en a fait (de façon opportuniste, puisque l’UMP parisienne n’a jamais jusqu’ici voté contre la tour) le pilier de son opposition, arguant du manque d’intérêt économique du bâtiment. Tout va se jouer à quelques voix. Et à bulletin secret.
Paris se dotera-t-il d’un nouvel emblème architectural, porte de Versailles ? Les 163 élus du Conseil de Paris délibèrent ce lundi matin sur la tour Triangle, projet lancé en 2008 par l’ancien maire Bertrand Delanoë. Le suspense est à son comble, l’issue du vote incertaine. Le résultat se jouera à quelques voix . Pour Anne Hidalgo, l’enjeu est énorme : le rejet de ce projet, qu’elle a porté en tant qu’adjointe en charge de l’urbanisme, puis maire de Paris, serait le premier échec de sa mandature – il l’affaiblirait.
Si le projet est adopté, ce sera un sérieux revers pour sa rivale Nathalie Kosciusko-Morizet. La présidente du groupe UMP a contribué à politiser le dossier, en l’utilisant contre Anne Hidalgo durant la campagne des élections municipales, alors même que l’UMP, à l’instar du maire du XVe Philippe Goujon, y était initialement favorable. «On est typiquement dans un jeu de postures, comme sur beaucoup d’autres sujets, résume l’écologiste Yves Contassot. A partir du moment où Anne Hidalgo est pour, NKM est contre. Dommage pour Paris».
Les écologistes voteront contre la tour Triangle, tout comme les centristes (UDI-Modem) et l’UMP. A l’inverse, PS, Parti communiste et Radicaux de gauche voteront pour. Sur le papier, le projet ne passe pas, même si certains conseillers de droite comme Pierre Lellouche (UMP), Jérôme Dubus (UMP) ou Dominique Tiberi (non inscrit) ont déjà annoncé qu’ils voteraient pour. Pour se donner des chances de réussir, les socialistes envisagent d’avoir recours au vote à bulletin secret. Il permettrait à certains élus de droite favorables au projet de voter pour, sans subir les foudres de leur chef de groupe. «Le bulletin secret, ça libère l’expression, mais c’est à double tranchant, souligne une élue PS. Certains, chez nous, pas très emballés, peuvent se sentir libres de voter contre». En clair, Anne Hidalgo peut à son tour avoir des «frondeurs» non-assumés dans sa majorité. Par ailleurs, le recours au vote à bulletin secret pour un tel projet serait une première au conseil de Paris. «On l’utilise habituellement pour des nominations, jamais pour des arbitrages politiques», souligne Jean-François Legaret, maire UMP du 1er arrondissement. «Sur un grand projet urbain, il faut la transparence des votes», assène Marielle de Sarnez (Modem). Celle-ci a «toujours été contre» la tour Triangle, alors qu’elle est «favorable aux immeubles de grande hauteur». Elle s’exprimera avant le vote, en remettant en compte la pertinence économique du projet. 80000 m² de bureaux supplémentaires, c’est trop pour une ville qui compte déjà 18 millions de m² de bureaux, dont 6 à 7% vacants. Deuxième angle d’attaque, la fameuse «attractivité de la capitale». «S’il suffisait de bâtir une tour de bureaux, cela se saurait. Ce qui fait l’attractivité d’une ville, c’est la stabilité fiscale et juridique, un grand Roissy, des transports, une expo universelle, etc… Par ailleurs, le parc des expositions de la porte de Versailles n’est que le septième au monde, et il serait encore réduit avec la tour Triangle. Elle n’apporte pas de plus-value», commente Marielle de Sarnez.
Et puis, l’élue Modem s’en prendra à Unibail, le promoteur de la tour. «Anne Hidalgo affirmait cette semaine: “Comment peut-on refuser un projet alors qu’il est financé par des fonds privés?” Cela signifie donc que quand vous financez, Paris est à vous?» Ce rôle central d’Unibail, elle n’est pas la seule à le souligner. Pour Yves Contassot, qui sera lundi matin l’orateur du groupe écologiste, «Delanoë s’est fait imposer cette tour par Unibail, en contrepartie du financement des travaux des Halles. Il y a là une espèce de privatisation de l’aménagement urbain.» De fait, une ville comme Paris peut difficilement se mettre à dos un acteur comme Unibail. La foncière gère, au travers de six sites, près de 88000 m² de bureaux dans Paris intra-muros, sans compter ses énormes ensembles en périphérie, comme le Cnit ou la Tour Majunga de la Défense. Au travers des filiales Viparis et Comexposium, détenues à parité avec la CCI de Paris, elle gère le parc des expositions de la Porte de Versailles et le Carrousel du Louvre. Et puis, elle porte le gigantesque (et contesté) chantier des Halles. «On ne fâche pas un groupe comme Unibail, qui a une énorme force de frappe financière et peut investir 500 millions d’euros dans la seule tour Triangle, explique Rémi Rouyer, architecte et spécialiste des tours. La foncière a déjà réussi à imposer sa vision du chantiers Halles, au détriment d’autres projets, plus ambitieux, mais qui pénalisaient l’activité commerciale pendant les travaux.» Le groupe promet, en tous cas, de créer 5000 emplois pendant la durée des travaux, et 5000 en période d’utilisation (un point plus contestable).
Bien conscient que ce projet capital «se jouera à quelques voix», Jean-Louis Missika, l’adjoint à l’urbanisme d’Anne Hidalgo, déploie des trésors de souplesse pour sortir du piège : «Si jamais nous devions perdre ce vote, revoir la programmation du projet ne me paraît pas impossible. Nous pouvons en discuter avec les élus de l’opposition qui auraient envie de l’améliorer, et non de le tuer. Si le vote nous est favorable, nous pouvons tout aussi bien entendre les demandes raisonnables sur les fonctions de la tour et en reparler. Tant que le premier coup de pioche n’est pas donné, tout est possible.»