Des élections, et alors ? Le haut responsable israélien qui nous reçoit pour évoquer la situation sécuritaire en Cisjordanie hausse les épaules. A croire que le conflit répond à d’autres logiques que le calendrier politique. Ce même jour, le 5 mars, le conseil central de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a recommandé au président de l’Autorité palestinienne (AP), Mahmoud Abbas, de mettre un terme à la coordination sécuritaire avec les services israéliens. Mais le haut gradé ne croit pas à l’utilisation de cette arme ultime, qui ressemblerait à un sabordage de l’Autorité. ” Ce serait comme se couper le nez pour se moucher. “
Il y a sept mois, la guerre faisait rage dans la bande de Gaza. Ce territoire est aujourd’hui en détresse totale. En Cisjordanie, l’AP est menacée de faillite. Depuis deux mois, Israël ne verse plus le produit des taxes qu’il recueille en son nom. La colonisation se poursuit à un rythme soutenu. Tous ces sujets sensibles auraient pu, auraient dû, être abordés au cours de la campagne. C’est l’inverse qui s’est produit. Le conflit est un -angle mort.
La gauche n’ose plus s’afficher comme étant le ” camp de la paix “. Isaac Herzog, candidat pour le poste de premier ministre au nom de l’Union sioniste, s’est contenté de prôner un gel de nouvelles constructions illégales en Cisjordanie, les grands blocs de colonies devant être rattachés à Israël lors d’un futur règlement du conflit. M. Herzog insiste sur un point : il ignore dans quelles dispositions il trouverait la direction palestinienne, qui s’est engagée sur une ” voie unilatérale “ en adhérant à la Cour pénale internationale. Il a aussi souhaité une démilitarisation de la bande de Gaza, sans préciser si cela impliquait des contacts directs avec le Hamas.
L’extrême droite, elle, avance démasquée. Le 23 février, Naftali Bennett a exposé sa vision devant des journalistes étrangers. ” Je ne recherche pas la paix, je recherche le calme “, a-t-il dit. L’entrepreneur prône l’annexion pure et simple de la zone C des territoires occupés, où résident près de 375 000 colons, déjà sous le -contrôle total d’Israël. M. Bennett veut proposer la citoyenneté israélienne aux Palestiniens qui y vivent. Dans les zones A (sous contrôle de l’Autorité palestinienne) et B (l’armée israélienne y gère la sécurité), il propose une ” autonomie sous stéroïdes “.
De son côté, le ministre des affaires étrangères, Avigdor Lieberman, dont le parti n’est pas assuré de rester à la Knesset (Parlement israélien) après les législatives du 17 mars, défend un échange de populations et de territoires. Il souhaite que les grands blocs de colonies soient rattachés à Israël. En échange, les Arabes -israéliens, notamment dans le triangle de Wadi Ara, seraient transférés au sein d’un Etat palestinien. Un plan qui aurait peu de chances d’être validé par la Cour suprême, si elle était saisie. Le ministre a récemment proposé de ” trancher la tête avec une hache “ des Arabes israéliens déloyaux envers l’Etat. Une provocation qui a suscité peu d’écho.
Est-ce M. Nétanyahou qui a tiré Israël vers la droite ? Ou bien la société qui a glissé vers ce bord, sous l’effet de l’expansion de la communauté ultraorthodoxe et des colons, lassée aussi par les cycles stériles de négociations depuis vingt ans ? Les deux. Il existe aujourd’hui une sorte de consensus dans le déni. L’idée s’est imposée qu’il n’y avait pas d’interlocuteur sérieux, côté palestinien, pour faire la paix. Pourtant, une majorité d’Israéliens continue de croire qu’il n’existe pas d’alternative crédible. Un Etat binational sonnerait la fin de l’Etat hébreu.
La priorité Etat islamiqueCe paradoxe convient à M. Nétanyahou. En juin 2009, lors d’un fameux discours à l’université Bar-Ilan, le premier ministre s’était prononcé en faveur d’un ” Etat palestinien démilitarisé qui reconnaîtrait l’Etat d’Israël “. Depuis, il n’a jamais paru sincèrement engagé vers cet horizon, encourageant le développement des colonies. La dernière phase de la campagne l’a mis en difficulté.
Le journal Yediot Aharonoth a publié un document synthétisant les négociations secrètes qui auraient eu lieu avec les Palestiniens, entre 2009 et 2013. M. Nétanyahou se serait dit ouvert à un retour aux frontières d’avant 1967. Simple tactique ? Dans un communiqué, le 8 mars, le Likoud a affirmé qu’il ne pouvait y avoir ” ni concessions ni retraits ” de Cisjordanie.
La marginalisation de la question palestinienne n’est pas seulement due au fait qu’une autre priorité régionale, l’Etat islamique, a émergé. Les accès de violence palestiniens confortent l’idée en Israël qu’il n’y a pas de partenaire pour un compromis, d’autant que le Hamas et le Fatah du président Abbas miment une réconciliation. Mais les périodes d’accalmie, comme ces derniers mois, éliminent tout sentiment d’urgence.
La question palestinienne est ainsi reléguée à ce que pratique M. Nétanyahou depuis des années : la gestion de crise, plutôt que sa résolution ; sa réduction à une dimension sécuritaire. ” C’est le paradoxe terrible de Mahmoud Abbas, reconnaît un diplomate européen. On peut lui reprocher beaucoup de choses, mais il a toujours plaidé la non-violence, car il comprenait que la violence détruisait toute crédibilité politique. Mais c’est aussi l’absence de nuisances majeures qui a -contribué à sortir le sujet palestinien de la politique. “
P. Sm.