Le sommet de Charm el-Cheikh a ouvert la porte à la constitution d’une grande coalition sunnite
Maintes fois remisé dans les cartons, sur fond de divergences interarabes, le projet de force militaire -conjointe pourrait enfin voir le jour. Sur les bords de la mer Rouge, à Charm el-Cheikh, les 21 dirigeants de la Ligue arabe – en l’absence de la Syrie, suspendue – se sont mis d’accord, dimanche 29 mars, sur sa création. Le secrétaire général de la Ligue, Nabil Al-Arabi, a salué ce ” développement historique ” et dit espérer que ” les procédures iront vite pour concrétiser ce projet “. Les chefs d’Etat se sont donné un mois pour fixer la composition, les modalités de fonctionnement et les objectifs de cette force régionale, qui sera chargée de mener des ” interventions militaires rapides “.
Depuis plusieurs mois, le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, insistait sur la nécessité d’une force régionale afin de ” faire face aux menaces sans précédent pour l’identité arabe “que constituent ” les groupes terroristes “. Ce n’est pourtant pas tant l’expansion de l’organisation Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie, voire en Libye, en Tunisie ou au Yémen, qui a fait l’unité autour de ce projet, que la crainte de voir le rival iranien chiite étendre son influence dans toute la région et notamment au Yémen. Les puissances arabes sunnites, soutenues par Paris et Washington, accusent Téhéran de soutenir la milice chiite houthie, qui a chassé le président Abd Rabo Mansour Hadi de la capitale Sanaa en janvier, puis d’Aden, dans le sud du pays, fin mars.
L’opération ” Tempête décisive “, lancée jeudi au Yémen par une coalition de neuf pays arabes et du Pakistan, tous rangés derrière la bannière de l’Arabie saoudite, aura valeur de ” test ” pour cette force. L’Egypte, qui s’est empressée d’engager son aviation et sa marine derrière le parrain saoudien et de proposer l’envoi de troupes au sol, l’a bien compris. L’opération aura aussi permis de sceller publiquement la réconciliation, jusqu’ici poussive, avec le Qatar, parrain des Frères musulmans honnis par Le Caire, symbolisée par les embrassades chaleureuses entre le président Sissi et le cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani, à Charm el-Cheikh.
Rivalités interarabes
Au-delà des rivalités interarabes qui pourraient encore retarder sa création, cette force régionale n’est pas sans indisposer certains pays de la Ligue arabe, plus proches de l’Iran. Le ministre des affaires étrangères irakien, Ibrahim Al-Jaafari, a exprimé les ” réserves ” de son pays, pointant l’absence d’études préliminaires pour ce projet. Téhéran est un partenaire privilégié des autorités chiites de Bagdad.
Orchestrateur malgré lui de cette unité retrouvée, le président yéménite se trouvait samedi aux côtés du roi Salman d’Arabie saoudite. Avant de reprendre l’avion pour Riyad, où il devrait rester le temps que la situation permette son retour au Yémen, Hadi a appelé, sous les acclamations de ses pairs, à la poursuite de la campagne jusqu’à la ” reddition ” des houthistes, qualifiés de ” marionnettes de l’Iran “.
Les chefs houthistes n’ont pas manqué de railler cette union derrière le président Hadi. ” Nous savions dès le premier jour que nous faisions face à des régimes alliés, agents ou jouets des puissances étrangères “, a commenté Ali Al-Emad, un porte-parole de la branche politique du mouvement houthiste, Ansar Allah, qui nie toute alliance avec l’Iran. ” Le Yémen va prouver au monde que le faible triomphera à la fin. “
L’Iran et ses alliés ont eux aussi fustigé les ” mensonges ” sur la tentation hégémonique de Téhéran agités pour justifier l’intervention. Vendredi, le chef du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, a moqué la politique étrangère saoudienne, expliquant que l’influence iranienne s’était accrue dans la région : ” Vous êtes des paresseux, des perdants et vous ne prenez pas vos responsabilités. “
Le face-à-face entre les puissances sunnites et leurs adversaires chiites sur le terrain yéménite menace de déstabiliser encore un peu plus le Moyen-Orient. Les appels, samedi, du secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, à un règlement ” pacifique ” de la crise au Yémen n’ont pas eu d’écho. Pas plus que l’appel de l’ex-dictateur Ali Abdallah Saleh, allié des houthistes, à de nouvelles élections, auxquelles il a promis que ni lui ni ses proches ne se présenteraient. Loin d’être convaincu, le président Hadi a limogé son fils, Ahmed, du poste d’ambassadeur qu’il occupait aux Emirats arabes unis.
” Actes terroristes “
Des responsables diplomatiques des monarchies du Golfe ont indiqué que la campagne militaire pourrait durer jusqu’à six mois, sans envisager à ce stade l’envoi de troupes au sol. Elle ” se concentre sur des cibles militaires “, a indiqué l’un d’eux, précisant que 21 des 300 missiles Scud aux mains des unités militaires restées loyales à l’ex-président Saleh ont été détruits. Des mouvements de missiles avaient été détectés en janvier vers le nord et la frontière saoudienne. L’opération vise aussi à ” s’assurer qu’aucun soutien iranien ne se répande au Yémen “, a-t-il poursuivi, affirmant que ” 5 000 Iraniens, – membres du – Hezbollah et miliciens irakiens – pro-Téhéran – étaient sur le terrain “.
Les diplomates des pays du Golfe ont dit s’attendre à des représailles. ” Les Iraniens répondront par des actes terroristes dans le Golfe “, a affirmé un responsable en citant notamment Bahreïn, dont la population est majoritai
rement chiite, la province orientale de l’Arabie saoudite où se concentre la minorité chiite du royaume et peut-être des ” capitales “du Golfe. Un porte-parole de la coalition a indiqué que des houthistes avançaient vers la frontière saoudienne, où l’armée a renforcé ses positions.