En 1900, près d’une Européenne sur quatre n’avait pas d’enfant. Croissance économique, protection sociale et politiques natalistes avaient contribué à ramener ce taux à une sur dix au milieu du siècle dernier. Depuis, l’infécondité progresse de nouveau. Elle est de plus en plus souvent volontaire, en particulier dans les villes et chez les plus diplômées.
«On ne devrait pas faire un enfant juste parce qu’on en a envie. » Ymy Nigris, 30 ans, vit aujourd’hui à Tokyo. « Une ville très dense ; les espaces y sont saturés », commente pensivement le jeune homme. Depuis son adolescence, cette sensation de trop-plein ne le quitte pas. « La planète étouffe. Nous sommes incapables de gérer une telle population. » Ymy a donc choisi de ne pas avoir d’enfant. Jamais. Avant de quitter la France il y a un an et demi, le jeune artiste a entamé une démarche de stérilisation. « Pour ne plus avoir à en discuter. Pour que ça ne soit plus une possibilité. » Quatre mois étant nécessaires entre le premier rendez-vous et l’opération, il attend son retour pour aller jusqu’au bout de cette procédure. Ce choix de ne pas avoir d’enfants, Ymy le vit pourtant comme un sacrifice. « Si je n’écoutais que mon propre désir, je ferais des enfants. Émotionnellement, je voudrais en avoir. Rationnellement, je pense qu’il ne faut pas. »
Faut-il encore faire des enfants ? Le pouvons-nous encore ? Ymy n’est pas seul à se poser ces questions. Catherine* près de Belfort, 37 ans, Lina* à Nantes, 32 ans, Nathalie* à Clermont-Ferrand (1), 33 ans, Bettina Zourli à Bruxelles, 27 ans, ont également fait le choix de rejoindre le mouvement Gink, pour « Green inclined, no kids » (Engagement vert, pas d’enfants). Créé aux États-Unis en 2011 sous l’impulsion de Lisa Hymas, éditorialiste américaine, celui-ci trouve lentement un écho en Europe. Les forums et groupes de discussion se multiplient.
« Je ne veux pas d’enfant depuis que je suis en âge d’en avoir », avance Bettina Zourli comme une évidence. Dans un essai qui vient de paraître (2), elle en détaille les raisons. À l’inverse d’Ymy, Bettina ne vit pas cette décision comme une privation. « Le manque d’envie et la réflexion écologique sont à égalité dans mon choix de non-maternité, explique-t-elle. Même si je n’avais pas de questionnement environnemental, je n’en voudrais pas. Mais j’aurais été plus facilement influençable sans. »
« J’estime que je n’ai pas à choisir la raison principale de ce choix. Vivre ma vie, ne pas abîmer la planète : c’est une pensée globale »
De la même manière, Catherine, 37 ans, ne hiérarchise pas les raisons qui l’ont menée à cette décision. « J’estime que je n’ai pas à choisir la raison principale de ce choix. Vivre ma vie, ne pas abîmer la planète : c’est une pensée globale. » Catherine a d’ailleurs appris à inverser les conversations. « À ceux qui me demandent pourquoi je ne veux pas d’enfant je demande : “Mais pourquoi faire des enfants ?” » Édith Vallée, docteure en psychologie se souvient d’une période où les femmes qui ne voulaient pas être mères étaient accusées de monstruosité (3). Pour elle, la réflexion écologique vient renforcer ces personnes dans leur décision. « Pour ces femmes, interroger la surpopulation, c’est aussi une manière de répondre à la culpabilisation qu’on leur impose. À ceux qui les considèrent comme des égoïstes, elles disent : “J’œuvre pour l’humanité.” Elles renvoient à leur propre inconscience de faire des enfants ceux qui les traitent d’inconscientes. »
Parentalité et empreinte carbone
Le débat a changé de nature. Ce dont se réjouit Corinne Maier, une mère de famille qui raconte dans un livre avoir fait des enfants par simple conformisme (4) et se félicite de la renaissance de ce questionnement. « Je ne sais pas si l’argument écologique est juste, mais je ne veux pas le savoir. Ce que je retiens, c’est qu’enfin la société va changer de regard. Aujourd’hui, les égoïstes, ce sont ceux qui décident d’en avoir. »
Ce phénomène reste difficile à quantifier, faute d’études récentes sur les motivations du non-désir de parentalité. Dans la dernière enquête solide — qui remonte à 2010 —, 6,3 % des hommes et 4,3 % des femmes déclaraient ne pas avoir d’enfant et ne pas en vouloir (5). On connaît mieux l’infécondité définitive — la moyenne des femmes sans enfant en fin de vie féconde —, qui concerne 14 % des Françaises nées en 1968 et 23 % des Allemandes nées la même année (6).
Le mouvement qui lie la parentalité à l’impact environnemental est loin d’être consensuel. En 2017, l’Agence France-Presse (AFP) publiait un graphique issu de l’étude de Seth Wynes et Kimberly A. Nicholas (7) dressant une liste des moyens de réduire les émissions. Avoir un enfant en moins permettrait, selon les auteurs, de diminuer ses émissions de dioxyde de carbone (CO2) de 58,6 tonnes par an — bien plus efficace donc que de ne pas posséder de voiture (2,4 tonnes par an) ou d’adopter une alimentation sans viande (0,8 tonne de CO2 par an). Reprise dans les médias français, l’étude provoque alors une polémique. Les calculs sont discutables. Ils imputent les émissions de carbone des générations futures aux individus du présent. Un parent est ainsi responsable de la moitié des émissions de chaque enfant au cours de sa vie, d’un quart des émissions de chaque petit-enfant, et ainsi de suite. Or ces données ne peuvent être aujourd’hui que des inconnues. À peine un an plus tard, un collectif de scientifiques invite pourtant à « freiner » la croissance démographique (8). Le débat est relancé.
Surpopulation ou surconsommation ?
Et il n’est pas entièrement nouveau. Déjà, en 1892, la Française Marie Huot en appelait à la « grève des ventres » (9), c’est-à-dire à l’interruption générale de la reproduction jusqu’au bouleversement révolutionnaire de la société. Elle aussi créa le scandale. Aujourd’hui, cette filiation idéologique minoritaire dans la société rend les prises de position antinatalistes difficiles à assumer. « C’est inquiétant de penser comme ça, commente Catherine. Car ça devient vite pas très joli. On en vient à parler d’eugénisme ou de malthusianisme, et je ne souhaite pas du tout aller sur ce terrain-là. »
Les « sans enfant » qui font ce choix pour des raisons écologiques connaissent très bien les chiffres de la croissance démographique et les projections pour les années à venir. Néanmoins, ils ne manquent pas de relativiser l’argument de la surpopulation. « Le problème n’est pas tant la surpopulation que la surconsommation, développe Lina. On serait sept milliards à consommer comme un enfant du Bangladesh, la planète serait sûrement en meilleur état. » Mais cela ne fait que la renforcer dans ses convictions. « Même en éduquant les enfants au tri et au reste, on ne sait pas ce qu’ils feront une fois adultes. Et ils resteront malgré tout consommateurs. »
L’association antinataliste Démographie responsable considère à l’inverse que la question se situe précisément dans le nombre d’enfants. « Nous militons pour que la moyenne se situe à un peu moins de deux enfants par couple », explique son porte-parole Didier Barthès. « Il viendra un moment où nous n’aurons plus de place et où nous n’aurons même plus le droit d’avoir des enfants. Nous nous battons pour ça : pour que nos enfants puissent vivre dans un monde vivable et qu’ils puissent, eux aussi, avoir des enfants. » Lui-même père de deux enfants, Didier Barthès regrette que le débat porte tant sur les émissions de CO2 et si peu sur la biodiversité. « Dans les cinquante dernières années, nous avons constaté un doublement de la population humaine et une division par deux des animaux vertébrés. On est en train de prendre la place du reste du vivant. C’est dramatique. »
Un autre élément affleure également dans les désirs de non-maternité. Au-delà de leur impact personnel, Lina et son compagnon s’interrogent sur ce qu’ils offriraient à un éventuel enfant. « Notre réflexion serait différente si nous n’étions pas dans ce monde actuel où nos enfants vont voir une partie de la biodiversité s’éteindre, le réchauffement climatique, les inégalités sociales qui vont aller de mal en pis. »
Léa Ducré
(1) Les personnes dont le prénom est suivi d’un astérisque n’ont pas souhaité indiquer leur patronyme.
(2) Bettina Zourli, Childfree. Je ne veux pas d’enfant, Spinelle, Paris, 2019.
(3) Édith Vallée, Pas d’enfant, dit-elle… Les refus de la maternité, Imago, Paris, 2005.
(4) Corinne Maier, No Kid. Quarante raisons de ne pas avoir d’enfant, Michalon, Paris, 2007.
(5) Charlotte Debest et Magali Mazuy, « Rester sans enfant : un choix de vie à contre-courant », Population & Sociétés, n° 508, Paris, février 2014.
(6) Éva Beaujouan, Tomáš Sobotka, Zuzanna Brzozowska et Kryštof Zeman, « La proportion de femmes sans enfant a-t-elle atteint un pic en Europe ? » Population & Sociétés, n° 540, janvier 2017.
(7) Seth Wynes et Kimberly A. Nicholas, « The climate mitigation gap : Education and government miss the most effective individual actions », Environmental Research Letters, 2017.
(8) « Freiner la croissance de la population est une nécessité absolue », Le Monde, 9 octobre 2018.
(9) Lors d’une conférence qui sera publiée ensuite. Le Mal de vivre, Génération consciente, Paris, 1909.