Si le parti chiite suit les évènements de près, une intervention de sa part paraît toutefois assez improbable.
OLJ / Par Alexandre KHOURI
Pour la première fois depuis des années, les brigades al-Qassam (bras armé du Hamas) ont lancé des roquettes sur Jérusalem et sur Tel-Aviv. Cette démonstration de force, qui a surpris beaucoup d’observateurs, a provoqué une certaine ferveur au sein de l’axe de la résistance. Sur la chaîne al-Manar, organe du Hezbollah, sayyed Hachem Safieddine, représentant du conseil exécutif du parti chiite, s’est félicité que « les chutes de roquettes sur Tel-Aviv confirment à l’ennemi que la résistance est bien plus forte que leur estimation », ajoutant que « Jérusalem brille aujourd’hui par ses martyrs tombés au combat ». « Gaza est le bouclier de Jérusalem », titrait quant à lui hier le quotidien al-Akhbar, proche du parti de Dieu, alors que l’escalade entre le Hamas et Israël à Gaza a éclipsé le soulèvement palestinien dans la ville trois fois sainte. Pour les rangs de la résistance, les capacités armées du Hamas et le lancement de centaines de roquettes contre l’agresseur apparaissent comme les signes de sa supériorité militaire à venir par rapport à « l’ennemi sioniste ».
Du point de vue du Hamas, les salves de roquettes lancées contre Tel-Aviv constituent un atout crucial, mettant en exergue la vulnérabilité d’Israël. Frapper Tel-Aviv représente un symbole fort, depuis les Scud de Saddam Hussein en 1991, qui rappelle que la population de cette métropole, présentée comme un idéal de réussite, avec ses belles plages et quartiers d’affaires moderne, peut aussi être concernée par le conflit. Le Dôme de fer, présenté comme le fleuron de l’industrie de l’armement israélien, n’est pas aussi efficace que prévu. « Ce mécanisme de défense n’est pas capable de sanctuariser des zones de populations civiles. Il est vulnérable et peut être rapidement dépassé par un nombre élevé d’interceptions au même moment. Il n’est pas non plus très fonctionnel pour défendre les localités proches de la bande de Gaza », décrypte Pierre Ahl, expert en affaires militaires, qui explique que son utilisation est surtout centrée sur la défense des sites stratégiques, comme les bases militaires ou les installations nucléaires.
Négociations en cours
Les faiblesses apparentes de l’État hébreu pourraient encourager le Hezbollah à s’inviter dans la confrontation. La formation de deux fronts simultanés, l’un à Gaza et l’autre au nord, constitue en effet le pire des scénarios pour Israël. Le Hezbollah et le Hamas partagent une identité et une rhétorique commune. Tous deux nés dans les années 1980, ils ont reçu un support financier et logistique conséquent de la République islamique d’Iran. Les relations entre les deux mouvements se sont toutefois dégradées durant le conflit syrien, en raison de la position de la branche politique du Hamas en faveur de la révolution. La rupture avec Damas sera consommée en 2012 avec le déplacement à Doha des bureaux du Hamas, installé depuis 1999 en Syrie. Le Hezbollah et l’Iran ont toujours tenu à préserver des liens avec l’organisation palestinienne, souhaitant se positionner comme le fer de lance de la lutte contre l’État hébreu. En 2017, des visites de haut niveau entre le représentant politique du Hamas, Saleh al-Arouri, et Hassan Nasrallah ont eu lieu et le rétablissement des relations a été officialisé la même année. La visite d’Ismaïl Haniyeh à Beyrouth en 2020 est venue rapprocher un peu plus les deux groupes. Depuis lors, le Hezbollah milite activement pour réintégrer complètement le Hamas au sein de l’axe de la résistance, en œuvrant pour la réconciliation entre le mouvement islamiste et Damas.
Ces relations « doivent absolument être restaurées, qu’importent les efforts et le temps que cela prendra », déclarait Hassan Nasrallah en décembre 2020. Si le Hezbollah suit de très près l’évolution des évènements de l’autre côté de la frontière, une intervention de sa part paraît toutefois assez improbable. « Il est clair que le Hezbollah soutient le Hamas et les forces palestiniennes dans leur bataille. Hassan Nasrallah a déclaré une mobilisation totale. Mais jusqu’à présent, il n’y a pas d’informations sur une prise de décision par le parti », soutient l’analyste Kassem Kassir, proche du Hezbollah. Une intervention du parti chiite changerait la nature du conflit en lui donnant une dimension régionale. Mais l’opération semble extrêmement risquée, dans un contexte délicat pour le parti de Dieu. Israël et le Hezbollah cherchent à éviter une nouvelle escalade depuis leur dernière confrontation en 2006. Le Hezbollah s’était par ailleurs contenté d’apporter son soutien moral et politique au Hamas lors de la précédente guerre qui l’a opposé à Israël en 2014. Pourquoi adopterait-il aujourd’hui une autre attitude ? Avec l’effondrement économique du Liban, l’hyperinflation et la gronde sociale dans le pays, le contexte n’est certainement pas propice à une pareille opération. Le soulèvement de 2019 ayant désacralisé l’image de Hassan Nasrallah chez de nombreux Libanais, le parti souffrirait probablement en outre d’un manque d’appui au sein de la population s’il était à l’origine d’une nouvelle confrontation militaire. Dans le même temps, les négociations en cours entre les États-Unis et l’Iran visant à ressusciter l’accord sur le nucléaire semblent aller bon train et devraient freiner toute velléité de voir le protégé de Téhéran lancer une offensive contre le voisin du sud.