Les casques et les boucliers s’entrechoquent. En cette soirée du vendredi 9 janvier, les hommes de la brigade de recherche et d’intervention (BRI) empruntent les marches au lino noir pour rejoindre le quatrième étage qui leur est dévolu, sous les toits du 36, quai des Orfèvres, à Paris. Le long de l’escalier, les collègues des autres brigades les attendent, forment une haie d’honneur pour ceux qui viennent de neutraliser l’un des trois terroristes. Un premier applaudissement, puis beaucoup d’autres. On se tape dans le dos, on se félicite. La clameur s’amplifie, résonne.
Dans un bureau de ” la Crim “, au 3e étage, un avocat commis d’office et sa cliente gardée à vue sont contraints d’interrompre leur conversation, ils ne s’entendent plus. Après de longues minutes de ce silence imposé par le brouhaha, Izzana Kouachi se penche par-dessus la table et hurle à son conseil : ” C’est terminé, j’ai compris ! “ Elle ne doute pas un instant que la folle cavale de son époux, un des auteurs de la tuerie du 7 janvier à Charlie Hebdo, s’est achevée comme elle avait démarré ; dans le sang. Celle qui, à 34 ans, est désormais veuve, vacille. Son regard se fait moins sombre, sa peau pâle se teinte d’émotion. L’espace d’un instant. Puis Izzana se reprend. La main qui maintient enserré autour de son visage un hijab ne lâche pas son emprise.
Plus tard, Izzana Kouachi demandera à l’avocat commis d’office : ” Dites bien aux journalistes que je pense aux familles des victimes, que je condamne ces actes. ” Selon une source qui l’a observée durant ces heures-là, ” elle était déjà dans l’après, comme si son deuil était fait de longue date “.
Du bikini au niqabA plus de 4 000 kilomètres de là, Hayat Boumeddiene, ” épouse ” Coulibaly – elle s’est mariée devant Dieu, pas devant monsieur le maire – s’apprête à passer sa deuxième nuit en Syrie. Cette jeune femme de 26 ans, qui serait enceinte d’au moins quatre mois, a passé quatre jours en Espagne avec son conjoint futur tueur de Montrouge et de la porte de Vincennes. Puis, accompagnée de membres d’une ancienne filière afghane de candidats au djihad, elle s’est réfugiée sur les terres de l’Etat islamique (EI). Un dernier week-end en amoureux et une exfiltration de France juste avant que son ” mari ” ne passe à l’acte laissent à penser que celle qui, sur les photos du couple, évolue de postures cambrées en Bikini à des poses guerrières en niqab, arbalète au poing, n’ignorait rien des funestes projets qui se tramaient.
Qui sont ces femmes qu’une grille de lecture compatissante présente comme des victimes coupées du monde par un morceau de tissu ?Entendues par la justice dans différentes affaires de terrorisme qui ont impliqué leurs conjoints, elles semblent tomber des nues à la lecture des exactions commises par leur moitié. Cette somme de procès-verbaux d’auditions et de témoignages, recueillis le plus souvent sous le sceau de l’anonymat, permet néanmoins de découvrir cette face cachée, au propre comme au figuré, de l’islam radical.
” Doit-on dire “femmes de djihadistes” ou “femmes djihadistes” ?, fait mine de s’interroger un juge d’instruction qui en a reçu plusieurs dans son cabinet. En audition, elles sont carrées, répondent aux questions. Parfois, on doit parlementer pour leur faire enlever le voile, mais il n’y a jamais de blocage. En revanche, en termes d’endoctrinement, elles sont souvent aussi embrigadées que leurs époux. “
On ne naît pas femme de djihadiste, on le devient. Naturellement, pour Sondes Bouchnak, qui connaît celui qui va devenir son mari ” depuis qu’il est petit “ : un chauffeur de taxi membre de la filière dite des Buttes-Chaumont, interpellé avant de partir combattre en Irak. Ou pour Imène Belhoucine qui a épousé un cousin, aujourd’hui suspecté d’être l’auteur du film de revendication des tueries de Montrouge et de la porte de Vincennes. Ils se voyaient le temps des vacances en Algérie. Quand il lui demande sa main, elle franchit la Méditerranée sans se poser de questions. Elle est âgée de 19 ans.
Izzana Kouachi et Hayat Boumeddiene ont, elles, en commun d’avoir eu une jeunesse dissolue. Fille d’un couple de Marocains installés à Charleville-Mézières (Ardennes) où le père travaille à l’usine Citroën, la première débarque à l’âge de 19 ans en région parisienne. ” J’étais sans domicile fixe. J’allais à droite, à gauche, chez des amis “, dira-t-elle aux policiers lors d’une première audition, le 18 mai 2010, dans le cadre d’un précédent dossier terroriste, avant de se braquer : ” A partir de cet instant, je ne désire plus parler, car j’ai l’impression de vous raconter toute ma vie. Ce sont des choses personnelles qui m’appartiennent. “ Elle se fait plus prolixe pour raconter sa rencontre en mai 2007 avec un poissonnier, le futur tueur de Charlie Hebdo, qui sort alors de prison pour sa participation, lui aussi, à la filière des Buttes-Chaumont. Ils se marient en mars 2008 et, en novembre de la même année, partent en pèlerinage à La Mecque. A son retour, Izzana Kouachi, qui auparavant était indépendante et vivait seule dans son appartement de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), abandonne son emploi d’animatrice en crèche pour mieux pouvoir porter le voile intégral, ” un habit traditionnel qu’ – elle – aime bien “.
Ancienne adolescente turbulente n’ayant pas supporté le remariage de son père après le décès de sa mère, placée dans un foyer à l’âge de 12 ans, Hayat Boumeddiene se métamorphose en épouse dévote et arrête son travail de caissière pour porter le niqab. Entendue le même jour qu’Izzana Kouachi en mai 2010, elle déclare à propos de son soudain engagement religieux : ” C’est quelque chose qui m’apaise. J’ai eu un passé difficile, et cette religion a répondu à toutes mes questions. “
Site de rencontres halalCe qui a séduit Linda B. chez son homme, c’est d’abord le mauvais garçon. Antillais comme elle, il purge une peine de prison pour braquages et évasions à répétition. Quand il se convertit en détention, elle se documente, achète ” des livres pour apprendre à connaître l’islam, pour les débutants “. ” Je n’ai quasiment rien retenu,avoue-t-elle. Je n’ai pas réussi à apprendre une sourate du Coran. (…) Je me suis convertie par amour. – Il – aurait été d’une autre confession, il est probable que je me serais convertie à la même religion que lui. “
La prison est un creuset d’endoctrinement mais aussi de rencontres. Entre deux téléchargements de films de propagande djihadiste, un ” longue peine ” fait des avances à ” Fleur d’islam ” sur IndexNikâh, ” un service matrimonial musulman ouvert à nos frères et sœurs en islam qui sont prêts pour le mariage “, indique ce site de rencontres halal. ” J’expliquais que je me trouvais actuellement incarcéré et que je cherchais une femme “, décrira le détenu après qu’on eut découvert qu’il se connectait en toute impunité.
Sur une écoute du 6 avril 2010, l’auteur del’attentat du 17 octobre 1995, à la station RER Musée d’Orsay, discute ” de sœurs “ à présenter au détenu qui se connecte sur IndexNikâh. ” Moi, je suis en prison. Comment je vais trouver ? “, bougonne-t-il avant d’entrevoir une solution : ” Deux sœursconverties. “” Si j’étais dehors, j’irais marier tous les frères, j’irais dans les mosquées et je dirais““Allez, donnez vos filles !”, rit le terroriste, se félicitant que ” les sœurs ici – Allah les pardonne – elles voient leurs frères dans les prisons. (…) Elles font ça pour Allah. “
C’est ce qui est arrivé à Cathy B., une esthéticienne convertie qui se cache derrière un hijab et une longue frange. Elle croit avoir rencontré l’homme idéal à la centrale de Clairvaux (Aube). Un ami lui a parlé de ce détenu qui souhaite nouer une relation avec une musulmane. Agée de 20 ans, Cathy multiplie les parloirs et les projets avec cet Antillais salafiste qui traite ses codétenus de kouffar (” mécréants “). Une idylle se noue jusqu’à ce que d’autres visiteuses de prison apprennent à Cathy que son pieux soupirant est déjà marié religieusement à la peu religieuse… Linda B. Son côté coureur de jupons sera salutaire au braqueur antillais. Lorsqu’il se retrouvera impliqué dans le projet, mené avec le conjoint d’Hayat Boumeddiene, de faire évader en 2010 l’auteur de l’attentat du RER C, le juge d’instruction ne retiendra pas la qualification de ” terroriste ” à son encontre, notamment parce que ” le caractère quelque peu erratique de la vie privée de l’intéressé (…) paraissait peu en phase avec un engagement réel, sincère et sérieux dans l’islam et la rigueur morale que cela aurait exigée de sa part “.
” Le mari idéal “Début 2010, Aïcha Belkacem obtient un titre de séjour provisoire pour rendre visite à son mari en détention. Cette Algérienne est mariée depuis vingt ans à l’auteur del’attentat du RER C, que les conjoints de Linda et d’Hayat veulent faire évader. En France, Aïcha est hébergée par un couple d’islamistes radicaux, reçoit de l’argent ” de gens qu’ – elle – ne connaît pas “. Depuis sa cellule, son époux lui téléphone à 4 heures du matin, la réveillant pour la prière du Fajr, celle du lever du soleil. Sur les écoutes, ce vieux couple évoque les vaccins de leur enfant, se taquine, parle de leurs désirs, de leur sexualité. Elle le réprimande lorsqu’il s’impatiente avant de démarrer un régime.
Quand le directeur de la centrale de Clairvaux anticipe la loi et interdit le niqab dans les parloirs, ils s’inquiètent mais, contrairement à un couple récemment converti qui refuse de plier, Aïcha et son époux conviennent que celle-ci viendra à visage découvert. ” Ilsme diront : “Tu vois, on a interdit le niqab et toi, tu as tout enlevé !” “, plaisante Aïcha. ” Si tu enlèves tout, ils te mettront même le tapis rouge ! Ils te donneront la nationalité française directement “, prédit le terroriste. Et le vieux couple d’éclater de rire.
Qu’est-ce qui peut justifier l’attrait représenté par le djihadiste ? Dans le cadre de sa thèse ayant pour titre de travail ” Les femmes musulmanes occidentales dans l’ombre du djihad “, Géraldine Casutt dialogue avec certaines de ces femmes. ” Après une vie compliquée avant l’islam, et notamment avec des hommes qui vous font souffrir, le djihadiste incarne le mari idéal. Celui qui est prêt à mourir en martyr pour sa religion est un homme droit, vertueux “, résume l’universitaire suisse.
La relation avec un djihadiste aboutit vite à un mariage, pas toujours civil – l’autorité de l’Etat est contestée – mais forcément religieux. Il a lieu au domicile des parents du marié. Avec quelques particularismes. Ainsi, le 5 juillet 2009, Hayat Boumeddiene n’assiste pas à ses propres noces parce qu’” en islam, la femme n’est pas obligée d’être présente. En l’occurrence, là, c’est – son – père qui – l – ‘a représentée “.
Sur une écoute du 26 février 2010, un membre de la filière afghane raconte, hilare, les trois questions posées à sa promise lors de la muqabala (cérémonie d’avant mariage) : ” Acceptes-tu la polygamie ? Aimes-tu Oussama Ben Laden ? Sais-tu faire à bouffer ? “ Sa fiancée a répondu oui aux trois questions, le mariage a été prononcé.
Durant les noces de Kahina Benghalem, une étudiante âgée de 20 ans – qui a épousé un homme aujourd’hui placé sur la liste des dix terroristes les plus dangereux selon le département d’Etat américain -, le ban et l’arrière-ban de la filière des Buttes-Chaumont sont présents, y compris Izzana Kouachi, Sondes Bouchnak et leurs époux. Le mari de Sondes attend cependant qu’on lui confirme que les hommes et les femmes ne seront pas dans le même appartement pour conclure, sur une écoute : ” Je peux ramener ma femme, alors ? “.
A Pantin (Seine-Saint-Denis), les barbecues chez les Bouchnak sont régis par une règle simple : les femmes à l’intérieur, les hommes dehors. Ce qui n’est pas sans susciter un émoi certain chez les voisins à la vue d’une quinzaine d’hommes barbus autour des grillades, s’interrompant pour faire leur prière dans le jardin. Même en petit comité, même lorsque les épouses sont proches, on ne se mélange pas. Ce jour de mars 2010 où les futurs tueurs de Charlie Hebdo et de la porte de Vincennes partent en week-end chez leur mentor, un terroriste assigné à résidence dans le Cantal, Hayat et Izzana doivent porter leurs voiles intégraux. ” C’est vrai que c’était un peu gênant d’être les femmes avec les hommes dans la même voiture. C’est pour ça qu’on n’a pas renouvelé, car ce n’est pas sain “, commentera Hayat. De retour au domicile des Kouachi à Gennevilliers, les femmes, parce que c’est l’heure de la prière, montent en premier pour prier au salon, puis s’installent dans la cuisine en attendant que les hommes prient à leur tour.
Lors des séjours dans le Cantal, Hayat Boumeddiene n’aperçoit jamais le mentor de son conjoint, sauf une fois, de dos, lors d’une randonnée dans la forêt. Quand elle souhaite lui poser des questions théologiques, elle le fait à travers une cloison. ” Pour moi, c’est logique que je ne me trouve jamais dans la même pièce qu’un homme “, dit-elle aux policiers. Izzana Kouachi témoigne – elle aussi sans trouver à y redire – de cette condition : ” Ma religion ne me permet pas d’avoir d’amis hommes. Lorsque je suis au domicile des amis de mon mari, je fréquente soit la mère, soit la femme. “ L’époux d’Izzana est devenu l’un des plus rigoristes de la bande. De lui, Sondes Bouchnak dit : ” Je ne l’aime pas. Quand il appelle à notre domicile et que je réponds au téléphone, il raccroche, refusant de me parler. “ Pour éviter toute rencontre proscrite, Linda B. a interdiction d’ouvrir la porte de son appartement.
Ces femmes ne travaillent pas, ni même ne fréquentent de mosquée, la pratique de la religion se fait à domicile. ” Je ne sors que pour faire les courses, confiera Hayat Boumeddiene aux policiers. Vous savez, je porte le voile intégral, donc ce n’est pas agréable de se promener avec le regard agressif des gens. C’est pour ça que je reste souvent chez moi. “
La Marocaine Kouachi et la Tunisienne Bouchnak se retrouvent, elles, pour parler ” des enfants, du bled “. Sinon Sondes Bouchnak fréquente une voisine, sa belle-mère et s’accorde un plaisir : une séance de fitness hebdomadaire dans une salle de sport de Bobigny. Spontanée, cette mère de famille de 27 ans raconte aux enquêteurs appeler ” le djihadiste “ un ami de son mari ” parce qu’il lui manque un œil et un bras “. Il les a perdus lors de combats en Irak.
Autrefois, Sondes portait un simple hijab par-dessus ” un pull et un jean, à l’occidentale “. Désormais, elle revêt le jilbab qui couvre l’ensemble du corps à l’exception du visage. Elle s’habille de la sorte depuis qu’elle s’est mariée, mais assure que le choix vient d’elle. ” Oui, j’aime bien le mettre. Je ne sais pas quoi vous dire de plus. C’est la vérité. “ En revanche, quand la très pieuse Kahina Benghalem, parce qu’elle a un forfait SMS illimité, lui envoie plusieurs fois par jour des textos citant des versets du Coran, Sondes Bouchnak ne prend pas la peine de les lire. ” Je n’ai pas le temps. “
Prosélytisme par textoComme Kahina Benghalem, Hayat Boumeddiene est une adepte du prosélytisme par texto. Dans une syntaxe de son temps, la jeune femme envoie à une amie en perdition : ” Cherche a satisfair Allah et lé gen seron satisfai de twa. Obei et craint Allah. Il ny a de force et de puissan ken ALLAH “. Elle dévore une littérature religieuse. ” Pour l’instant, je suis encore débutante dans la religion, donc je me cantonne aux fondamentaux. Ensuite, je m’intéresserai aux différentes sectes et variantes. “ Pour parfaire ses connaissances, Imène Belhoucine se tourne vers son époux : ” Il me parle de la religion, du style comment faire la prière, l’histoire de l’islam et lorsque je veux savoir si ce que je fais est autorisé. Sinon, pour le reste, on ne parle pas. “
Une dévotion partagée n’empêche pas les problèmes de couple. ” Quand je lui demande ce qu’il fait de ses journées, il ne veut pas me répondre, regrette, amère, Sondes Bouchnak. Je ne connais rien de lui dans le fond. Quand je veux en savoir plus sur sa vie, ses relations, il me dit qu’il vaut mieux que je ne sache rien pour ne pas avoir de problèmes. “ En guise de participation à la vie de la famille, son mari dépose de l’argent dans une boîte rose cachée dans l’armoire à vêtements de leur aîné. Pour subvenir aux dépenses courantes.
” Après c’est sûr, dans la vie quotidienne, on n’est pas d’accord sur tout. Par exemple, il ne veut pas faire la vaisselle “, explique Hayat Boumedienne, qui préfère poser un voile pudique sur la jalousie qui la fait appeler plusieurs fois par jour son conjoint pour savoir où et avec qui il est. Et quand celui-ci cherche à prendre une seconde épouse, elle lui passe un savon : ” Toi, tu es là, tu dis aux frères : ““Trouvez-moi une deuxième femme !” Ça t’fait rire quand t’es assis avec les frères et tout ça, alors que ça fait même pas un an que t’es marié, c’est rien du tout et tu veux déjà une deuxième femme ! “ Et quand son époux, le futur tueur de Montrouge et de la porte de Vincennes, tente de rétorquer d’un timide ” Mais… “, elle le coupe : ” Non ! Laisse-moi terminer ! S’il te plaît ! “ A l’issue de la conversation téléphonique, la question de la polygamie ne sera plus abordée.
Lady MacbethLe futur tueur de Charlie Hebdo n’a pas plus voix au chapitre. Sur une écoute, le 17 mai 2010, il fait part de ses doutes à la perspective de retrouver son épouse Izzana : ” Je vais voir, est-ce que madame est toujours fâchée. (…) Si elle est fâchée, je vais dormir chez mon frère… “ Mais quand, le lendemain, les forces de l’ordre frappent à la porte, le couple a retrouvé son unité. Le mari demande aux policiers d’attendre car sa femme doit se voiler. L’audition de celle-ci se fera en niqab. Les enquêteurs lui demandent :
” Etes-vous une femme dépendante de quelqu’un ou de quelque chose ?
– Non.
– Pas même de votre mari ?
– Non. “
Sur ce, la jeune femme refuse de signer le moindre de ses procès-verbaux.
Lors de sa garde à vue le 9 janvier 2015, Izzana Kouachi assure que son beau-frère était venu de Reims chercher son mari pour faire les soldes. Elle dit s’être étonnée de leur silence radio durant la journée. Les deux frères étaient en train d’abattre douze personnes dans les locaux de Charlie Hebdo.
Au cours de son interrogatoire, Imène Belhoucine défie les policiers. Quand ils lui demandent ce que signifie ” Oussama911 “, le pseudo utilisé par son cyberdjihadiste de mari, elle répond : ” Je sais que ses parents voulaient un moment l’appeler Oussama. Pour le chiffre 911, je ne vois pas… “
Il serait erroné de voir en ces femmes de simples victimes. Hayat Boumeddiene est décrite avec son conjoint, dans un réquisitoire du 26 juillet 2013, comme sujet d’” une radicalisation conjugale “. Aujourd’hui, les enquêteurs s’interrogent sur l’objet des 500 appels passésen 2014 à Izzana Kouachi alors que leurs époux préparaient les attentats. S’esquisse le portrait d’une Hayat Boumeddiene en Lady Macbeth terroriste qui aurait encouragé son conjoint à commettre ses crimes.
Dans sa bibliothèque numérique se trouvait, dès 2010, LesSoldats de lumière, un ouvrage signé Malika El-Aroud, veuve d’un des deux kamikazes qui ont assassiné le commandant Massoudle 9 septembre 2011, en prélude aux attentats du World Trade Center. Dans son livre, cette égérie du djihad glorifie le ” martyre “ de son mari, vante ” le grand honneur “ d’être la veuve d’un ” moudjahid “, ” la dimension grandiose “ du sacrifice de leur amour terrestre. Aujourd’hui, c’est au tour de sa lectrice, Hayat Boumeddiene, de camper le rôle de veuve noire.
” Les femmes de djihadistes partagent leur idéologie, la soutiennent, considère Farhad Khosrokhavar, directeur de recherches à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Elles n’ont pas subi de lavage de cerveau. Au contraire, il s’agit d’une nouvelle forme de féminisme. Elles veulent s’assumer comme les hommes, se constituer comme des combattantes de l’islam à part entière. Face à une société où elles n’ont plus de repères, elles compensent par une surenchère dans la radicalisation. “
D’après le parquet de Paris, dix femmes sont à l’heure actuelle mises en examen en France pour des actes de terrorisme liés à l’islam radical. ” Elles rendent des services, servent de boîtes aux lettres, envoient de l’argent aux djihadistes “, détaille le magistrat précité. Une centaine d’autres seraient en Syrie. Parmi elles, désormais, Imène Belhoucine, Kahina Benghalem et Hayat Boumeddiene. En Algérie, Aïcha Belkacem attend un nouveau titre de séjour pour venir voir son époux condamné à perpétuité. Linda B. a, elle, abandonné Allah et son salafiste antillais. A sa sortie de garde à vue après la tuerie de Charlie Hebdo, Izzana veuve Kouachi est rentrée chez elle.
La dernière de la bande illustre toute l’ambiguïté de ces femmes de djihadistes. Lors de sa déposition au printemps 2010, Sondes Bouchnak se démarquait très clairement de son mari : ” Je ne savais pas que c’était un monstre, j’ai l’impression de ne pas le connaître. (…) Qu’est-ce que je vais dire à sa famille ? A la mienne ? Je vais quitter la France, je serai mieux dans mon pays, la Tunisie. “ Cinq ans plus tard, Sondes Bouchnak a trouvé du travail et élève seule ses deux enfants. Dans l’attente que son mari sorte de prison.
Matthieu Suc