Pour les élections de dimanche dans cette région au statut spécial, le chef de la Ligue a mis de côté son discours souverainiste.
Da pagina 1 ITALIE Plaisante localité touristique de 6000 habitants, Borgo Valsugana voue un culte à l’enfant du pays, le père de la démocratie italienne, Alcide De Gasperi, député à Vienne en 1911 (quand le Trentin était autrichien), à Rome en 1921 (après son rattachement à l’Italie au lendemain de la Grande Guerre), et premier président du Conseil de la République italienne en 1945. Dans l’auditorium Alcide-DeGasperi, au centre du lycée technique du même nom, sur la place éponyme, Matteo Salvini tient son meeting de campagne pour les élections régionales de dimanche, le premier des quinze qu’il a tenus le week-end dernier dans cette riche région à statut spécial. Dans la salle, trois cents militants l’ont attendu une heure et demie. Une petite foule reste massée dehors. L’assistance applaudit à tout rompre quand son « Capitano » escalade l’estrade, pantalon de toile bleu et chemise blanche au col échancré. « Dimanche 21 octobre, nous changerons l’histoire. Nous allons mettre fin à trente ans de règne de la gauche. Je défendrai votre autonomie », lance-t-il.Dans cette région du Trentin-HautAdige qui jouit d’une large autonomie, le leader de la Ligue sait qu’il ne sert à rien de parler souverainisme, identité nationale. Ici prévalent les particularismes, l’esprit de clocher, la défense des traditions. Il s’adapte vite, fait l’apologie des réformes adoptées, à commencer par la principale à ses yeux, le coup d’arrêt porté à « l’invasion des migrants », à « ces faux immigrés qui envahissent nos rues et nos places » : « J’ai bloqué un navire de migrants. La magistrature m’a inculpé pour séquestration de personnes. Qu’importe : s’il le faut, j’en bloquerai trente autres. » La vigueur des applaudissements surprend.Matteo Salvini prend la défense des petites exploitations agricoles menacées par les importations venues de l’étranger. Dans la salle, Mauro Piva acquiesce : « mes myrtilles et mes framboises subissent la concurrence de la Pologne et de l’Espagne. C’est vraiment dur », se plaint-il. Il approuve Salvini qui « veut revoir les accords internationaux livrant le marché italien à l’étranger sans compensation ». Le ministre de l’Intérieur promet de rouvrir les hôpitaux de campagne et de redonner vie aux permanences médicales « abandonnées par la gauche ». De réintroduire le service militaire obligatoire – applaudissements à tout rompre. De donner la préférence des emplois aux Italiens, et surtout de renforcer la sécurité « menacée par les immigrés ». « Bravo, bravo. Mettez plus de police dans les trains », lance le cheminot Rolando, assis au premier rang. Son discours expédié en une demi-heure, Matteo Salvini invite toute l’assistance à le rejoindre sur l’estrade pour les inévitables selfies : « dans l’ordre. Préparez vos cellulaires. Montez par la droite, descendez par la gauche », enjoint-il. Une queue interminable se forme dans l’enthousiasme. Stefania Segnana, élue députée de Trente en mars dernier, règle le ballet : une accolade, une photo, visage contre celui du leader, et déjà elle tire l’électeur par la manche pour faire place au suivant. La kermesse du selfie se répète à chaque meeting, avec la même ferveur.« Ce ne sont pas ses électeurs »Dans le Trentin, 500 000 habitants, un revenu régional de 18 milliards d’euros et 3,4 milliards d’euros d’exportation, la Ligue veut arriver en tête le 21 octobre. Dans la province voisine du Haut-Adige, mitoyenne de l’Autriche, qui compte autant d’habitants, aux deux tiers d’origine allemande, avec 41300 euros de revenu par tête et 3,4de chômage, Matteo Salvini sait qu’il devra composer avec le puissant SVP (Südtiroler Volkspartei), le parti populaire sud-tyrolien, qui dirige la région depuis la Libération, et depuis 1992 en association avec la gauche. Son objectif est de supplanter le Parti démocrate (PD) dans le gouvernement régional. Pas question pour lui de revenir sur les accords d’autonomie signés en 1946 par Alcide De Gasperi avec Karl Gruber, le ministre des Affaires étrangères autrichien de l’époque, et dont le Trentin- Haut-Adige a amplement bénéficié, conservant longtemps 100 % de ses impôts (70 % aujourd’hui) pour l’aménagement de son territoire : « Dimanche prochain, la SVP confirmera certainement son rôle de leader dans la province de Bolzano. Dans celle du Tren- tin, les électeurs ont toujours vu dans la coalition de centre gauche le défenseur le plus ardent de leur autonomie », relève l’historien Giuseppe Zorzi. C’est un défi que Matteo Salvini lance à la gauche, dans cette élection qui sera la première depuis la formation du gouvernement populiste le 1er juin.À Laives, localité de 18000 habitants dans la verte vallée de l’Adige, à 10 km au sud de Bolzano, il se garde bien d’attaquer de front la Commission de Bruxelles comme il le fait partout. « Dans le Haut-Adige, on se prononce avec conviction pour l’Europe. Avec l’espoir qu’elle sorte renforcée des élections de mai 2019. Dans le cas contraire, des problèmes se poseraient, non seulement économiques, mais aussi pour la coexistence interethnique », relève Pierangelo Giovanetti, directeur du principal quotidien local, L’Adige.Sur la place de la mairie où Matteo Salvini tient son meeting en plein air, des panneaux vantent un concours national de théâtre dialectal, autre particularisme dont la province est fière. Répondant à la foule qui l’acclame, le leader de la Ligue met en avant sa loi sur la sécurité, les 400000 postes de travail que sa réforme des retraites est censée libérer pour des jeunes, et sa volonté d’arrêter les flux migratoires. Applaudissements, selfies : le rituel ne change pas.Étape suivante à Castelrotto, perché au coeur des Dolomites germanophones, un fief de la SVP. Quelque huit mille Tyroliens, shorts de cuir, bretelles et chapeaux à plume pour les hommes, robes à fleurs et tabliers pour les femmes, célèbrent avec entrain sous une immense tente la traditionnelle fête de la bière et de la saucisse, reprenant en choeur les refrains d’un très populaire orchestre bavarois en battant des mains. « Je suis ici pour unir les deux communautés, allemande et italienne, qui veulent la sécurité, plus de travail et moins d’immigrés », lance encore au micro Matteo Salvini, entre deux refrains. L’accueil reste froid. Comme le dit l’enfant de ces montagnes, l’alpiniste Reinhold Messner, quatorze 8000 mètres à son palmarès et député européen de 1999 à 2004 sous l’étiquette des Verts, « ce n’est pas son podium, pas sa tente, pas son public, pas ses électeurs. Salvini n’a rien à faire ici. Je redoute qu’il ne ruine ce pays ».