Il est devenu un lieu commun de lire ou d’entendre dans les médias, accolé au nom d’Alain Juppé, le titre de « favori des sondages ». Il est vrai que le maire de Bordeaux est aujourd’hui premier en termes de popularité dans de nombreuses études. Pour s’en tenir aux derniers baromètres politiques publiés, Alain Juppé apparaît effectivement comme la personnalité politique dont les Français souhaitent le plus qu’elle joue « un rôle important au cours des mois et des années à venir » (41 % se prononcent dans ce sens, soit 10 points de plus pour les deux personnalités qui arrivent ex-æquo en deuxième place, Martine Aubry et Ségolène Royal, dans l’étude de TNS Sofres) ; il est également la personnalité dont les Français ont la meilleure image selon le baromètre de CSA (56 % des Français déclarent disposer d’une image positive du maire de Bordeaux, avec un écart, de nouveau, de l’ordre de 10 points avec les personnalités suivantes, François Bayrou – 45 % d’opinions positives – et Marine Aubry – 43%). Dans ces enquêtes, Nicolas Sarkozy est donc clairement distancé par son rival à la primaire de l’UMP puisque seuls 31 % des Français souhaitent que Nicolas Sarkozy joue un rôle plus important à l’avenir (soit 11 points de moins qu’Alain Juppé) et 32 % disent en avoir une image positive (soit 24 points de moins qu’Alain Juppé).

 

1. Auprès des sympathisants de droite, le match entre Alain Juppé et Nicolas Sarkozy n’est cependant pas plié

Alain Juppé dispose d’une popularité confortable auprès des sympathisants de gauche : 51 % d’entre eux déclarent avoir une bonne image du maire de Bordeaux et 37 % souhaitent qu’il joue un rôle plus important dans la vie politique française. Ces scores élevés s’avèrent même bien supérieurs à ceux qu’obtiennent certaines grandes figures de la majorité présidentielle. En revanche, les sympathisants de gauche sont loin d’avoir un jugement aussi clément sur Nicolas Sarkozy : seuls 12 % déclarent avoir une image positive de l’ancien président de la République et seuls 10 % estiment qu’il devrait jouer un rôle important dans le futur.

L’image très clivante de l’ancien chef de l’État permet à Alain Juppé de distancer Nicolas Sarkozy auprès de l’ensemble des Français. Car, auprès de leur propre camp, le tableau est loin d’être aussi clair. Si l’on regarde les résultats des sondages de popularité auprès des seuls sympathisants de l’UMP, les deux hommes bénéficient de soutiens à peu près comparables et pour certains de ces indicateurs de popularité, Nicolas Sarkozy devance même Alain Juppé. Ainsi, 71 % des sympathisants de l’UMP estiment que Nicolas Sarkozy doit jouer un rôle important à l’avenir, contre 60 % souhaitant de même pour Alain Juppé (TNS Sofres).

Ces chiffres assez proches ne doivent cependant pas occulter que les qualités reconnues aux deux prétendants à la primaire sont très différentes. Un sondage Ifop pour le JDD réalisé fin novembre montrait que, par rapport à son adversaire, Alain Juppé se voit davantage attribuer trois qualités personnelles par les sympathisants de l’UMP : le sérieux (56 % des sympathisants de l’UMP considèrent qu’Alain Juppé dispose davantage de cette qualité que Nicolas Sarkozy, 35 % l’inverse), l’honnêteté (47 % contre 27% pour Nicolas Sarkozy) et la sympathie (45 % contre 40%). Ces trois traits de personnalité davantage reconnus à l’Ancien Premier ministre expliquent pourquoi il affiche aujourd’hui une forte popularité, même si ces résultats peuvent interroger lorsqu’on invoque le passé : que l’homme « droit dans ses bottes » et qualifié de « très froid » par Bernadette Chirac soit aujourd’hui considéré comme sympathique ou que celui qui se soit exilé au Canada après sa condamnation par la Justice pour prise illégale d’intérêts puisse aujourd’hui apparaître comme honnête peut susciter une certaine ironie et interroger sur la solidité de cette image, car ces opposants politiques ne devraient pas se priver de jouer sur ces paradoxes.

Par ailleurs, Alain Juppé est également plus reconnu pour sa capacité à rassembler les électeurs de droite et du centre (49 % contre 40 % pour Nicolas Sarkozy), ce qui se comprend naturellement du fait de son positionnement plus modéré que l’ancien chef de l’État. En revanche, ce dernier est un peu plus perçu comme le mieux à même de rassembler les Français dans leur ensemble (45 % contre 41% pour l’ex-Premier ministre), même si les résultats sont assez serrés sur ce point.

Nicolas Sarkozy se voit, de son côté, attribuer d’autres qualités personnelles, sur lesquelles Alain Juppé semble aujourd’hui incapable de rivaliser : d’abord le dynamisme (80 % des sympathisants de l’UMP estiment que Nicolas Sarkozy dispose davantage de cette qualité que le maire de Bordeaux), mais aussi l’autorité (69 % contre 23%) et le courage (65% contre 24 %). En outre, l’ancien président est clairement crédité de compétences plus fortes pour diriger le pays et mener la campagne présidentielle : 52 % des sympathisants de l’UMP estiment que c’est Nicolas Sarkozy qui a le plus la capacité à sortir le pays de la crise (contre 29 % pour Alain Juppé), 57 % qu’il est le plus capable de représenter l’UMP lors de l’élection présidentielle (contre 34 %) et 53 % qu’il peut davantage remporter cette élection (contre 36%). De surcroît, si les avis restent assez partagés, il est davantage perçu comme celui se montrant le plus sensible aux préoccupations des Français (45 % contre 41 % pour Alain Juppé).

Auprès de l’ensemble des sympathisants de droite et plus seulement de ceux de l’UMP, les différences d’image que renvoient les deux hommes restent globalement les mêmes. Néanmoins la sensibilité aux préoccupations des Français est, auprès de cette cible élargie, un peu plus attribuée à Alain Juppé qu’à Nicolas Sarkozy (36 % contre 34 %).

Cette analyse plus fine de la popularité de ces deux personnalités rappelle qu’un score global peut cacher des réalités très différentes, tant en termes de structure (qui sont ceux qui disent avoir une « bonne opinion ») qu’en termes de contenu (quelles sont les qualités effectivement reconnues au candidat et quelles sont celles qui lui font défaut). Ces deux éléments sont essentiels lors d’un scrutin. Pour un candidat, il faut être apprécié de son camp, c’est-à-dire de ceux qui sont prêts à voter pour vous et ne se porteront pas sur un autre candidat du fait de leurs préférences partisanes, et disposer des qualités et compétences qui seront celles qui compteront lors du choix du bulletin de vote. Par conséquent, la popularité ne fait pas la victoire car elle ne se capitalise pas automatiquement en électeurs. Ainsi, si le « favori des sondages » de popularité auprès de l’ensemble des Français avait été élu à la précédente élection présidentielle, c’est François Bayrou qui occuperait l’Élysée (70 % de « bonnes opinions » dans le baromètre Ifop / Paris Match de mars 2012 contre 54 % pour François Hollande et 41 % pour Nicolas Sarkozy). Les déterminants du vote sont complexes et les préférences ne peuvent être approchées par de simples sondages de popularité.

D’ailleurs, dans le cas qui nous occupe, la structure des soutiens de Nicolas Sarkozy, ainsi que les qualités qui lui sont reconnues, entraînent une préférence claire pour l’ancien président dans le cadre de la primaire pour l’élection présidentielle, bien qu’il ne soit pas le plus « populaire » dans les sondages regardés auprès de l’ensemble des Français.

2. Pour la primaire de l’UMP, Nicolas Sarkozy est le « favori des sondages »

Oublions désormais les sondages de popularité pour nous pencher sur ceux portant sur les préférences des électeurs de droite dans le cadre d’une primaire pour l’élection présidentielle. Ces derniers montrent clairement que Nicolas Sarkozy domine, à l’heure actuelle, ses concurrents. Ce résultat n’est pas surprenant étant donné qu’il est, nous l’avons vu, davantage qu’Alain Juppé, considéré comme possédant les qualités pour exercer la fonction présidentielle et la conquérir.

Ainsi, dans un autre sondage de l’Ifop réalisé les 30 novembre et 1er décembre, les sympathisants de l’UMP choisissent Nicolas Sarkozy pour représenter l’UMP en 2017 (à 52 %). Alain Juppé est en deuxième position, assez nettement derrière l’ancien président (36 %), tandis que les autres candidats testés ont, pour l’heure, du mal à émerger, avec 5 % pour François Fillon et 3 % pour Xavier Bertrand.

Auprès de l’ensemble des sympathisants de droite, l’écart entre les deux principaux candidats est moins important mais Nicolas Sarkozy reste en tête, avec 41 % contre 34 % pour Alain Juppé (6 % pour François Fillon et 4 % pour Xavier Bertrand). L’ancien Premier ministre comble légèrement la distance grâce aux sympathisants du centre qui le préfèrent très nettement (73 % contre 9 % pour Nicolas Sarkozy parmi les sympathisants de l’UDI). En revanche, l’ancien président est un peu plus soutenu par les sympathisants du FN (36 % contre 23 % pour Alain Juppé).

La composition du corps électoral sera donc très déterminante lors de cette primaire : si celui-ci se réduit aux sympathisants de l’UMP, sans que les autres composantes de la droite se mobilisent, cela devrait favoriser Nicolas Sarkozy à moins d’une évolution importante du rapport de force d’ici le scrutin. Une mobilisation des électeurs qui se situent plus à droite ne devrait pas non plus le handicaper, mais celle-ci est loin d’être garantie étant donné l’exceptionnelle santé du Front national et la déception que l’ancien président a pu faire naître dans cet électorat. A l’inverse, une primaire ouverte au centre ou à laquelle les centristes viendraient participer massivement renforcerait les chances d’Alain Juppé. Cependant, les velléités d’indépendance de l’UDI pourraient pousser ce parti à s’orienter vers une candidature en son propre nom. A moins que la nécessité, pour la droite, de faire un score maximal au premier tour pour ne pas y être éliminée, dans un contexte où le FN devrait être en mesure de se qualifier, soit la plus forte.

3. Alain Juppé joue le rôle du challenger

Loin d’être le « favori des sondages » dans le cadre de la primaire de l’UMP, Alain Juppé apparaît plutôt être le challenger face à Nicolas Sarkozy, qui séduit toujours très largement au sein de son parti, comme l’a d’ailleurs montré sa nette victoire lors de l’élection à la présidence de celui-ci. Cependant, les résultats de ce scrutin ont également mis en lumière que l’ancien président était loin d’être hégémonique au sein de son propre camp, puisque l’autre enseignement de cette élection a été que plus d’un tiers des adhérents (36%) se sont portés vers les autres candidats.

Pour la primaire, Nicolas Sarkozy, s’il peut être désigné comme le favori aujourd’hui, n’est donc pas certain de l’emporter au moment du vote. Au-delà des enjeux stratégiques sur la composition du corps électoral, force est de constater que l’ancien chef de l’État est en perte de vitesse, même auprès des sympathisants de l’UMP, tandis qu’Alain Juppé, lui, progresse. L’évolution des sondages portant sur la préférence des sympathisants pour la primaire dessine une progression de l’ancien Premier ministre, qui a gagné plus de 10 points entre la mi-septembre et aujourd’hui, au détriment de l’ancien chef de l’État.

En outre, dans ces scrutins primaires pour sélectionner le candidat, la perception de la capacité de celui-ci à l’emporter ensuite à l’élection générale apparaît souvent comme un facteur de vote déterminant. Or, pour Nicolas Sarkozy, cette capacité à gagner l’élection présidentielle, si elle lui est toujours plus reconnue qu’à Alain Juppé par les sympathisants, devrait cependant être de plus en plus discutée. Selon une récente enquête d’Odoxa, seuls 33 % des Français souhaitent que Nicolas Sarkozy se présente à la prochaine élection présidentielle.

Bien qu’en tête des préférences à l’UMP, Nicolas Sarkozy perd donc du terrain dans sa course vers la présidentielle. La dynamique qu’il entendait enclencher avec son retour dans l’arène politique  n’a pas fait long feu. Si sa courbe dans les sondages pour la primaire s’est bien élevée après l’annonce de son retour dans la vie politique par le bais de Facebook le 19 septembre, cette avance est désormais effacée. Aujourd’hui, c’est Alain Juppé qui bénéficie d’une dynamique positive, alors que Nicolas Sarkozy recule. Si le maire de Bordeaux poursuit sur cette tendance jusqu’à la primaire, encore lointaine, il pourrait bien devenir « le favori des sondages ». Pour l’heure, ceux-ci ne le désignent nullement comme le futur gagnant.